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Section III : De la communication à la communication responsable 1 Les impacts liés aux effets de l’action de communication

B) Contre la vision technique :

6. Pour une conception éco-systémique :

Tenter de plaquer abusivement une référence environnementale sur la notion de communication pourrait friser l’imposture sur la forme238 et l’effet boomerang sur le fond en proposant une conception darwinienne de la communication fondée sur la compétition et la sélection des messages comme des publics. La conception éco-systémique de la communication dépasse la conception systémique traditionnelle en ce qu’elle reconnait le primat de la notion de rupture sur celle de stabilité du système, bien que plusieurs conceptions écologiques en fassent le cœur de leur théorie à l’exemple de l’hypothèse Gaïa et de certains penseurs de la « deep ecology »239.

La pensée éco-systémique emprunte à la théorie des systèmes le principe central de l’interaction et à l’écologie la notion d’impacts. Entendue dans ses composantes amont et aval, il s’agit de reconnaitre que la communication puisse engendrer des conséquences négatives dans son émergence et son processus de production, mais également en aval dans l’interprétation incontrôlée des messages.

La théorie éco-systémique de la communication découle des travaux d’Edgar Morin, dont l’œuvre se situe souvent au croisement de la pensée crisologique240, environnement et communicationnelle. Pensée de la complexité, elle emprunte aux théories physiques et mathématiques et reconnaissance de l’aléa, du désordre des fractales, du chaos et de l’effet papillon. Elle emprunte aux sciences de gestion la théorie relative de l’organisation décrite par

236-D. Kruckerger& K. Stark, « The role of ethics of community building for consumer products and services »,

Journal of Promotion Management, n°10, 2004, p. 132.

237- Robert Cox, Environnement Communication, op, cit, p.36. 238

-sur ce point, voir Alain Sokat et Jean Brincmont, Impostures intellectuelles, Paris, LGF, 2° éd, 1999.

239-James Lovelock, La terre un être vivant. L’hypothèse Gaia, Paris, Flammarion, 1993. 240- Edgar Morin, « Pour une crisologie », Communication, vol, 25, 1976, p.149-163.

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Lawrence et Lorsch241 et l’accent porté au principe de contingence et à la sociologie pragmatique, notamment par les travaux de Luc Boltanski et la « multiplication de rencontres et de connexions temporaires »242

La théorie éco-systématique est donc une pensée de :

- La temporalité : elle prend en considération ses racines et ses effets à long terme au-delà de la situation immédiate ;

- La transdisciplinarité : elle incarne la pensée complexe par la reconnaissance de l’impératif d’ouverture aux autres disciplines ;

- La vision matricielle : émetteur et cibles s’interpénètrent en permanence dans une coopération/conflit communicationnels incessants ;

- La modération : théoricien de l’école de la communication, Abraham Moles introduisit l’idée d’ « opulence communicationnelle », calquée sur le concept d’opulence matérielle proposé par J.K. Galbraith pour signifier le fait que chacun se retrouve « doté de plus de facilités de communication qu’il n’en utilisera ou n’aura envie d’en utiliser »243. Tant sur le plan individuel que sur le plan organisationnel, une communication désormais capable de fournir la relation avec n’importe qui, n’importe quand, n’est pas neutre en énergie, en temps, en effets psychologiques ou sociaux. Le consensus sur l’impératif de l’extension communicationnelle (il faut communiquer), conjugué à la perception apportée par l’école de Palo Alto d’une impossible non-communication (on ne peut pas ne pas communiquer), à réduit tout débat sur l’intérêt d’une juste communication ;

- La tonalité : En dehors du contenu du message et du canal de diffusion, l’éco- systémisme reconnaît la « manière » de communiquer. « Adapter une posture d’humilité, apporter des preuves à son discours »244 forment une des bases de cette conception ;

- La réticularité : « La communication environnementale amène une restructuration du fonctionnement des sociétés en réseaux interactifs qui se substituent aux structures pyramidales hiérarchisées »245. Entre la progression de l’idée de développement durable et la généralisation d’internet et des réseaux sociaux, il

241- Paul Lawrence et Jay Lorsch, Adapter les structures de l’entreprise, Paris, éd. d’organisation, 1989. 242- Mohamed Nachi, introduction à la sociologie pragmatique, Paris, Armand Colin, 2006, p.72. 243- Abraham Moles, Théorie structurale de la communication et société op. Cit. p.151.

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- ADEME, le guide de l’éco-communication, Paris, Eyrolles-Ed. D’organisation, 2007, p.17.

245- Jaques Vigneron et Laurence Francisco, La communication environnementale, Paris, Economica, « Poche

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existe une similarité de perception des échanges sociaux. La théorie éco- systémique de la communication pense l’homme en termes d’appartenance à un réseau, fragile, fugace, temporaire ;

- La diversité : Lorsque Dominique Wolton affirme que « l’émergence de l’écologie comme enjeu politique se traduit par le fait d’unifier les problèmes du monde »246, on constate que cette prétention à l’universalisation, à l’unification, voire à la standardisation est également en germe dans le discours communicationnel et de l’environnement, reconnait cet élan naturel à la mise à l’écart : « Dialoguer, c’est poser un tiers et chercher à l’exclure ; une communication réussie, c’est ce tiers exclu »247. La protection des espèces comme celle des cultures et des langues sont reliées dans une démarche d’attention à l’autre contre les prétentions totalisantes de la communication ;

- La rupture : A l’instar du catastrophisme éclaire prôné par Jean-Pierre Dupuy248, la pensée communicationnelle doit intégrer l’idée de rupture en opposition à la vision linéaire du siècle précédent. La communication est chaos et rupture.

Cette perception de la communication renouvelée par l’approche développement durable ne vise nulle tentative de cadre théorique global. Elle devait être enrichie de l’apport des réflexions autour de la transformation des processus de communication par les réseaux sociaux, et ce d’autant que plusieurs concepts comme ceux de la co-construction des contenus, de redéfinition des rôles émetteur/récepteur, d’ouverture, de conversation de communautés, de suppression des notions de cibles, de porosité des disciplines communicationnelles se retrouvent au cœur des deux cadres d’interrogation de nos modes et pratiques de communication.

Son objectif sera atteint si cette réflexion peut servir de première étape d’une perception communicationnelle capable d’intégrer le concept majeur du développement durable au lieu d’en constituer le point de focalisation instrumental en se réfugiant dans la réponse aux modalités opérationnelles de la communication et en déniant celle, majeure, portant sur les finalités et les interactions.

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- Dominique Wolton, l’autre mondialisation, Paris, Flammarion, 2003, p.53.

247- Michel Serres, la communication Hermés I, Paris, Edition de Minuit, 1968, p.41. 248- Jean-Pierre Dupuy, pour un catastrophisme éclairé, Paris, le seuil, 2002.

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Section IV : La communication au cœur du développement durable