• Aucun résultat trouvé

Section IV : La communication au cœur du développement durable 1 La communication est le quatrième pilier du développement durable

3. La communication, composante spécifique du développement durable :

Dans une perspective plus opérationnelle, la communication apparait de plus en plus incontournable dans le développement durable, et cela pour deux raison.

Une raison d’ordre politique au sens large. Sans une reconnaissance formelle de la part à la communication, la démarche de développement durable ne peut éviter le piège de la « deep ecology ». Sauf à réduire la communication à un flux unidirectionnel d’information et qui ne saurait s’appeler autrement que propagande, la communication est une nécessité du développement durable et le sera de plus. Si l’on accepte l’hypothèse d’un dérèglement climatique, que la plupart des scénarios envisagent désormais de considérer sous forme de rupture limitant nos capacités d’adaptation, cela implique des mesures dont le caractère tardif conduit à l’accroissement de la violence de leur mise en œuvre.

Le retard pris à la pleine prise de conscience du danger climatique rend celui-ci de plus en plus brutal. En conséquence, les actions pour en limiter les impacts négatifs et pour inverser la tendance auront des effets risquant d’être brutaux pour le corps social.

Cela signifie que l’hypothèse d’une radicalisation n’est pas à exclure, puisque, au regard de l’histoire, c’est précisément lors des périodes ou les tensions sont les plus fortes que le germe autoritaire prospère. Il n’y a certes aucune inéluctabilité, mais l’expérience de l’histoire conjuguée à la vision de tensions aiguës à moyen et long terme incite à ne pas restreindre les analyses du changement climatique à de simples visions techniques, économiques ou financières, mais aussi et surtout à sa composante politique.

La seconde raison réside dans la reconnaissance de principes de communication dans la mise en œuvre effective des principes du développement durable. Il en est ainsi de deux notions essentielles, la participation et la transparence. Les deux notions sont intimement liées, puisque le simple accès à l’information sans possibilité d’influer sur la décision serait illusoire. Au niveau européen, la charge d’Aarhus conclue par les Etats européens le 25 juin 1998 se référait directement à l’obligation de transparence. En France, l’article 7 de la Charte de l’environnement reconnait le droit d’accéder aux informations « et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».

En conséquence, la reconnaissance d’une sphère communicationnelle au développement durable ainsi que celle du principe de la transparence et de la participation aux côtés des principes pollue-payeur, de prévention ou de précaution ne peut que renouveler la vision et l’effectivité du développement durable. C’est aussi et surtout un moyen d’éviter une vision instrumentale de la communication limitant celle-ci au rôle de transmission et souvent de valorisation. A défaut, l’angle promotionnel d’une communication descendante et

151

centralement contrôlée freinera toute avancée et réduira la notion même de développement durable à un simple développement accompagné d’une communication sociale et environnement. Il ne peut exister de réel développement durable fondé sur le secret ou l’absence de participation du public, et il en est de même pour toute organisation publique ou privée. L’intégration communicationnelle dans le développement durable n’a pas pour utilité d’enrichir ou de renouveler celui-ci, elle a pour fonction de lui assurer une réelle pérennité. 4. La disparition des publics :

L’entreprise n’a plus de clients, elle a des stakeholders. Le déplacement sémantique apporté par le développement durable est considérable. Les cibles sont devenues des parties prenantes, et la notion incontournable de marché, dominante au siècle dernier, a cédé la place à celle de social. Formalisée par Freeman en 1984, trois ans avant l’apparition du concept de développement durable, la théorie des stakeholders s’est imposée comme constituant incontournable de responsabilité sociale de l’entreprise. Plutôt qu’un cadre théorique, voire qu’une simple clé explicative des nouvelles interactions, le discours stakeholder apparait davantage au service modèle économique, ce que reconnait pleinement son concepteur lorsqu’il affirme que le rôle de chef d’entreprise est de « garder le soutien de tous ces groupes, soupesant leurs intérêts respectifs, tout en faisant de l’organisation un endroit où les intérêts des parties prenantes peuvent être maximisés à travers le temps »253.

Issue des sciences de gestion, la théorie des stakeholders a été progressivement préemptée par la recherche en sciences de la communication, au point de devenir incontournable dans l’organisation des relations publiques, l’élaboration des stratégies de communication et la détermination des cibles. Marquée par une vision normative et instrumentale, l’approche des stakeholders a permis de renouveler les conceptions trop rigides des démarches traditionnelles et balistiques de la communication d’entreprise.

Or, si elle apporte une approche constructive et dynamique qui semble faire consensus et que renforce la traduction française de parties prenantes en élargissant davantage l’image d’une ouverture de l’entreprise, la théorie des stakeholders a l’inconvénient de faire l’impasse sur un interlocuteur non négligeable, celui de la société dans son ensemble, voire de la notion d’espace public. Auteur d’une étude sur le glissement sémantique dans les rapports d’activité et de développement durable du groupe Shell entre 1998 et 2007, un professeur de l’Université d’Oslo a noté la diminution massive de l’emploi du mot « société » ; présent à 48

253- R. Edward Freeman & Robert A, Phillips, « Stakeholder theory: A libertarian defense », Business Ethics

152

reprises en 1998, il tombe à 10 en 2006. A l’inverse, le terme de stakeholder était présent 12 fois en 1998, il atteint 23 occurrences en 2006.

Les mots ne sont pas neutres, et l’auteur indique que l’apparition du terme est souvent en lien avec une connotation économique et l’indication d’une conviction que la relation aux stakeholders permette au groupe d’être davantage « constitutif et rentable, dans le court et dans le long terme»254.

Si l’approche par les stakeholder peut se prêter à la modélisation et d’être immédiatement transcodable au plan managérial, elle a l’inconvénient d’exclure l’opinion qui ne peut avoir un intérêt en jeu. Terminant son étude sur les mots utilisés par Shell et constatant l’amenuisement de la sphère publique, OyvindIhlen255 notait que « l’inconvénient le plus sérieux du concept de stakeholder est peut-être qu’il peut amener l’organisation à ignorer le processus social de formation des opinions ». L’opinion publique connaitrait son deuxième acte de décès256, mais, derrière la notion habermassienne d’espace public, c’est principalement la perception d’un socle minimum de cohésion sociale au travers du concept d’intérêt général qui entre en débat. Si l’espace public disparait de la théorie de l’entreprise, l’intérêt ne peut être défini qu’en tant que somme constamment renégociée d’intérêts particuliers.

La théorie de l’opinion publique suppose une opinion distincte de celle de ses parties, la théorie des relations publiques s’est effectuée par la certitude d’une nécessaire confrontation dans un espace public, sous-entendu commun. La disparition de l’opinion ou de la société au profit de l’approche par les stakeholders améliore l’opérationnalité de la démarche au service de l’entreprise, mais réduit fortement l’efficacité de ses clés de compréhension sociales et politiques.

254- “the Shell Report 2003, “Meeting the Energy Challenge”, p.7 255

OyvindIhlen, “Mapping the environnement for corporate social responsibility. Stakeholders, publics and the public sphere”, Corporate communications, vol. 13n°2, 2008, p.142

153