• Aucun résultat trouvé

Prise en compte de la dimension macrosociologique dans la construction identitaire des

2 Pour une approche psychosociale de la construction des identités professionnelles enseignantes

2.1.4 Prise en compte de la dimension macrosociologique dans la construction identitaire des

Manifestation d’un phénomène historique et social, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, plus particulièrement au cours de ces quarante dernières années, les enseignants, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, assistent à une remise en question de leur identité professionnelle dans

54 Gohier, C., Anadòn, M., Bouchard, Y., Charbonneau, B, Chevrier, J. (2001). La construction identitaire de l’enseignant sur le plan

71

un contexte d’incertitudes sociales, économiques, culturelles et institutionnelles qui connaît des mutations de fonds.

Couplé à un second exode rural massif ainsi qu’à de nouvelles aspirations des peuples et des sociétés, le baby-boom des années 1950-1960, accompagnera une modification significative du paysage social, économique et culturel trouvant ses résonnances dans des mutations rapides qui affecteront non seulement les systèmes scolaires, mais tous leurs acteurs, qu’ils soient enseignants, élèves, parents d’élèves ou institutions. Ce contexte socio-économique porte également une nouvelle vision du métier d’enseignant que traduisent les préconisations ou injonctions des organisations internationales (OCDE, UNESCO, FMI, Banque mondiale, UE, etc.). Il place également l’éducation dans une perspective de concurrence et semble vouloir subordonner l’offre de formation aux évolutions du marché.

Si la construction identitaire des enseignants est une entreprise permanente au cours de la carrière, on peut comprendre que les mutations sociétales peuvent en fragiliser la consolidation. Ce que les sociétés semblent attendre d’eux, au-delà d’une activité essentiellement d’instruction et de formation, c’est qu’ils acceptent un rôle de personnes relais et ressources qui instruisent et en même temps assurent aux jeunes générations une initiation aux changements sociétaux, ou pour Jacques Delors (1996, cité par UNESCO, 1998, p. 48) un rôle décisif qui devrait permettre aux

[…] préjugés ethniques et culturels […] de céder devant l’universalisme et la tolérance […]. Dans un contexte économique et culturel mondial traduit par une grande diversité des publiques scolaires et des systèmes éducatifs, l’enseignant reçoit une mission humaniste, qui revêt une dimension philosophique dont la noblesse des objectifs vise l’épanouissement de l’individu mais aussi participe au développement social, culturel et économique des sociétés. De toute évidence, la mise en pratique de ces objectifs dignes du Siècle des Lumières, se heurte à des choix économiques plus matérialistes dont le but avoué vise la maîtrise du budget aux dépens d’un idéal éducatif. Ce contrôle très serré des dépenses éducatives se traduit trop fréquemment par des lourdes compressions financières. Ce qui semble caractériser le métier d’enseignant aujourd’hui trouve par ailleurs son origine dans un ensemble de recommandations émanant des organismes internationaux qui s’accordent sur une éducation à la portée de tous dans une mouvance de démocratisation, mais également dépendante d’objectifs d’efficacité en termes d’évaluation, de performance des résultats, ou encore de qualité de la formation, et qui traduisent une rhétorique néolibérale qui convertit les apprenants en capital humain. On impute alors aux enseignants qui doivent rendre des comptes aux parents, ou à la communauté, une responsabilité dans les résultats attendus par l’ensemble de la communauté sociale.

72

Plusieurs facteurs entrent en œuvre dans ce que l’on peut qualifier d’hésitation identitaire chez les enseignants.

En effet, le changement de public scolaire remet en cause non seulement un certain modèle éducatif, mais également les missions qui étaient associées au métier, autrefois indiscutables et incontestées à tous les niveaux de l’organigramme social. Les élèves attendent de leurs enseignants des relations qu’ils considèrent légitimes quand la société elle-même reconnait leurs spécificités. En conséquence, l’identité des enseignants connait une fragilisation notable que la posture bureaucratique de l’institution aggrave. Les attentes administratives elles-mêmes semblent en inadéquation avec les exigences socioculturelles contemporaines, et la redistribution des missions et rôles éducatifs sur le nouvel échiquier social, déconstruit une identité enseignante jusqu’alors stable. En outre, la reconnaissance des enseignants est en évolution, et remet la légitimité de leurs savoirs en question. Aujourd’hui, l’école n’est plus le lieu unique de développement culturel. Les multimédias la placent en concurrence directe sur le plan des modes et moyens d’acquisition des apprentissages. Les savoirs savants, ainsi que leur transmission, sont des notions sur lesquelles l’école fondait l’enseignement. Elles se trouvent à présent largement remises en question ou du moins fortement diluées dans un véritable maelström d’informations disparates et infiniment accessibles. L’institution elle-même invite les enseignants à plus de créativité et à s’emparer des nouvelles technologies pour la diffusion des connaissances et des savoirs. Ainsi émergent depuis quelques années des méthodes d’apprentissages qui incitent à davantage d’autonomie de la part des apprenants, et qui vont dans le sens d’une génération numérique. L’enseignant s’éloigne du modèle traditionnel des transmissions pour intégrer un modèle constructiviste des apprentissages en favorisant l’expérience individuelle de ses élèves par le biais de pédagogies innovantes telles que la classe inversée (cours mis en ligne sur les plateformes d’apprentissage –elearning ou cahier de texte virtuel), ou encore les serious games (applications informatiques dont l’objectif est de combiner à la fois les aspects sérieux de l’apprentissage avec des outils ludiques issus du jeu vidéo). Ces nouvelles méthodes dont celles citées en exemple, réactivent l’apprenant en tant qu’acteur de ses apprentissages au lieu de le cantonner au rôle de simple récepteur passif dans une classe. Cette rupture traditionnelle de la pédagogie transmise favorise l’interaction et le travail de classe, plaçant l’enseignant dans un rôle de tuteur dans une classe hybride, virtuelle et réelle, où les élèves de la classe voire, plus loin à travers le monde, peuvent collaborer dans une dynamique d’apprentissage et œuvrer à leur autonomie. Cela traduit chez l’enseignant une remise en question de son rôle, interroge également l’identité du professeur type magister qui apparaît dès lors désuète. Le type pédagogue, modèle d’enseignant plus orienté vers l’élève, trouve ici un sens plus affiné. L’enseignant reconnaît la complexité et l’hétérogénéité des modes d’apprentissage, admettant que les connaissances varient d’un individu à

73

l’autre et que l’émergence d’un acteur social plus indépendant passe par de nouvelles manières de pratiquer et de penser l’enseignement.

Cette attitude réflexive de l’enseignant et qui entre dans le cadre d’une posture écologique, l’invite également à intégrer les nouvelles technologies, à ne pas craindre leur entrée massive dans les classes, mais à en maîtriser non seulement les techniques mais les contenus. Dès lors, l’identité enseignante s’enrichit d’expériences nouvelles qui s’inscrivent dans une démarche prédictive et proactive, dans la mesure où elles lui permettent de mieux appréhender les interrelations complexes qui existent dans ce nouveau jeu identitaire, de les synthétiser afin de construire une identité individuelle et de groupe social et professionnel en résonnance avec ses environnements. On comprend ainsi que l’incertitude et la fragilisation des identités enseignantes nécessitent un questionnement réflexif du Je dans le groupe et du groupe en tant qu’acteur social, afin de développer une nouvelle identité professionnelle. Si ce travail de reconstruction identitaire n’est pas effectué, alors un risque de crise, de souffrance voire de repli, menace de s’installer durablement et de nuire au processus de construction de l’individu qui se reconnait dans le groupe, et par voie de conséquence, du groupe lui-même.

Au bout du compte, ce qui semble émerger de ce nouveau profil des enseignants relève de la nécessité d’une réelle professionnalisation de l’enseignement, qui affirme leur fonction de travailleur social. C’est bien la raison pour laquelle, depuis la fin des années 1990, il s’est créé une forme de consensus autour de la formation des enseignants afin de développer en eux une nouvelle identité forte acquise au cours des années universitaires et qui vise non seulement la maîtrise des savoirs, un approfondissement des connaissances, mais également des compétences dans les stratégies et techniques d’enseignement et d’apprentissage. Ainsi, la formation initiale des enseignants semble être la clef dans la construction de leur identité professionnelle, également du processus de professionnalisation au sein d’une communauté éducative, qui les rend aptes à réagir efficacement devant la diversité des publics scolaires. En amont, afin d’y parvenir, la formation initiale doit pouvoir former des enseignants autonomes, de bons communicants capables de s’investir, au-delà d’un simple rapport pédagogique, dans une logique de développement professionnel, auprès de tous les acteurs de l’éducation, actants ou non de la communauté éducative. Ces nouvelles attentes obligent donc les enseignants à une évolution dans l’approche et la pratique de leur métier, une mutation obligatoire s’ils veulent gagner en crédibilité, mais donner également aux citoyens de demain les outils nécessaires à leur intégration dans la société de la connaissance, leur insertion dans un marché du travail dont les exigences dépassent celles du siècle dernier.

Alors, peut-être les enseignants se verront-ils accorder la confiance dont ils bénéficiaient, dans une action sociale et éducative équitable qui ne laisse derrière elle aucun laissé pour compte.

74