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2 Pour une approche psychosociale de la construction des identités professionnelles enseignantes

2.1.1 Les représentations du métier aujourd’hui

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2.1.1 Les représentations du métier aujourd’hui

Il est loin le temps où les enseignants vivaient protégés dans un temple du savoir érigé au cours de plusieurs siècles d’histoire institutionnelle « hors du monde » pour reprendre Dubet (Dubet, 2002, p.27). Or leur métier vit un ensemble de mutations qui effacent progressivement l’image de l’enseignant véhiculée par un art cinématographique décomplexé des années 1950-1960, « un pauvre type […] qui végétait » (Prost, 1981, p.326), ou encore un « minable d’antan »

(Prost, 1981, p.326)47. La représentation que l’opinion publique s’en fait (et qu’il se fait de lui-même)

connaît elle aussi une transformation sensible.

Elle s’éloigne de celle plus traditionnelle du « professeur magister » évoquée par Blin (Blin,1997, p.193) pour celle du pédagogue, à savoir un individu qui donne de l’éducation, enseigne les manières de se comporter, également un professionnel qui transmet des connaissances, enseigne, une personne ressource, un travailleur social, c’est à dire un travailleur de la société pour la société des hommes. Paradoxalement, certains aspects dans la représentation traditionnelle du métier d’enseignant semblent vouloir résister aux changements sociétaux parce qu’ils constituent finalement l’essentiel d’une profession dont les missions visent la maîtrise du savoir disciplinaire, et la capacité à « l’enseigner à un public scolaire de plus en plus hétérogène » (Maroy, 2002, p.24348).

Malgré une reconnaissance par les États qui se manifeste certes timidement depuis une décennie, malgré un regard moins agressif que portaient il y a peu les acteurs sociaux sur les enseignants, malgré encore les invitations fermes des organismes internationaux à une meilleure considération de la profession, une pénurie des enseignants s’est amorcée dont les origines se trouvent à la fois dans l’émergence d’un papy-boom qui caractérise les pays développés industrialisés, conséquence évidente d’une décroissance démographique préoccupante, corollaire d’une baisse tout aussi inquiétante du taux de natalité « qui se traduisent par une demande moins forte d’enseignants » et une réduction des ratio maître-élève (Unesco,1998, p.26). Cette pénurie semble également traduire un désamour pour la profession d’enseignant. À quoi est due cette désaffection pour un métier qui représentait encore il y a peu, une réelle promotion sociale ?

47 Prost, A. (1981).Histoire générale de l’enseignement et l’éducation en France. Vol.4. L’école et la famille dans une société en mutation

depuis 1930. Paris : Nouvelle Librairie de France. 1981

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Michel et Sellier (2015)49 tentent d’apporter une réponse qui trouve ses arguments dans plusieurs

facteurs, à commencer par la crise économique de ces dernières décennies qui « limite la possibilité d’actions susceptibles d’accroître l’attractivité » (Michel et Sellier, p.2), même si le salaire ne constitue pas, selon Maroy (2002) l’essentiel des préoccupations. La représentation que la société renvoie aux enseignants de leur métier varie sensiblement selon son origine de diffusion. Une enquête Pisa de 2015 corrobore les préoccupations émises dans le rapport de l’UNESCO de 1998, à savoir une pénurie d’enseignants qui a pour effet un recours à des personnels moins qualifiés, pour ainsi dire de moindre qualité. Aujourd’hui, la question se pose d’un recrutement de qualité, mais aussi sur les moyens à mettre en œuvre pour inciter les « candidats performants et motivés » à embrasser la profession durablement ainsi que le stipule le rapport Pisa de 2015. En effet, malgré une représentation générale qui classe la profession d’enseignant parmi celle des cadres, en raison d’études universitaires longues et diplômante, les générations montantes semblent peu attirées par le métier. Les chiffres avancés par l’enquête Pisa (2015) sont alarmants. Seul 1/10ème des élèves du secondaire qui visent la catégorie socioprofessionnelle de cadre se projettent dans la profession d’enseignant, un métier qui n’intéresse plus vraiment parce que justement, on peut prétendre à mieux après cinq années universitaires, plus particulièrement dans les disciplines scientifiques qui souffrent le plus de désaffection (Pisa, p.1).

Paradoxalement, et contrairement à ce que laissent paraître Perier (2004), et dans une moindre mesure Dubet (2002), Pochart (2008)50 dans son rapport sur l’évolution du métier d’enseignant,

révèle qu’en France, 63% des enseignants qui exercent leur métier le font par vocation contre 59% en 1972 (Pochart, 2008, p.38). Ces données permettent de souligner que cet appel constitue encore aujourd’hui un moteur au cœur de la motivation des enseignants pour leur profession. Ce rapport commandé par le ministère de l’Éducation nationale nous apprend qu’en définitive, les représentations traditionnelles du métier sont encore bien présentes et restent relativement stables malgré tous les changements qui ont pu affecter l’école et la profession enseignante : transmission du savoir, goût pour la discipline enseignée, plaisir du contact avec les élèves, un attrait pour l’autonomie d’organisation, ainsi qu’une certaine forme d’altruisme. Mais alors on peut se demander ce qui a changé dans la perception du métier, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’École?

49 Michel, A., Sellier, M.(2014). L’attractivité du métier d’enseignant en Europe. État des lieux et perspectives.

http://ifgu.auf.org/documents/lattractivite-du-metier-denseignant-en-europe-etat/

50 Pochard, M.(2008). Livre vert sur l’évolution du métier d’enseignant. Rapport au Ministre de L'Éducation Nationale. La Documentation française.

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Selon Blin (1997), la fin des années 1990 a connu l’émergence de nouvelles représentations du métier chez les enseignants, selon la discipline qu’ils enseignent, leurs filières et cycles d’enseignement, ou encore selon les public scolaires accueillis dans les établissements (Blin,1997). Il s’avère que ce qui est perçu de l’enseignant en ce début de millénaire, l’apparente à « praticien réfléchi » (Blin, 1997, p. 217) qui

[…] maîtrise les contenus disciplinaires, […] connaît les théories et principes sousjacents à ses activités, possède les savoirs théoriques[…] (Blin, 1997, p.193), en d’autres termes, un professionnel et un praticien capable, parce qu’il en a les compétences, de réfléchir sur son activité professionnelle, ses échecs, également ses réussites, afin de concevoir un ensemble de remédiations lorsque cela s’avère nécessaire, et qui vise l’amélioration de ses performances professionnelles (Blin, 1997). Cette représentation d’un caractère nouveau souligne également son rôle dans l’action sociale et collective éducative, de même qu’elle l’identifie à un individu susceptible de porter sur son métier un regard renouvelé selon les situations rencontrées face aux élèves, au collectif de travail, à l’institution ainsi qu’à l’environnement social. En résumé, ce qui est proposé dans cette perception de l’enseignant du troisième millénaire reflète l’image d’un pédagogue, qui s’enrichit dans l’art et la manière d’enseigner, d’éduquer, de transmettre les savoirs, ce qui constitue un défi lancé non seulement aux enseignants mais également à l’institution qui les recrute et les forme.

2.1.2 L’identité professionnelle enseignante : quelle est-elle et comment se construit-elle?

La problématique qui se dégage en filigrane de nombreuses œuvres de référence est bien celle de l’identité professionnelle des enseignants autour des représentations qu’eux-mêmes se font de leur métier, mais également celles véhiculées par l’institution et les autres acteurs scolaires, notamment les élèves et leurs familles. Elles trouvent un écho différent auprès de l’opinion publique ou se trouvent déformées par les prismes des crises et mutations socioéconomiques qui entourent la profession enseignante. Il apparait opportun de s’interroger à ce point de la réflexion sur ce que l’on entend par identité/s professionnelle/s et comment elle se construit dans un métier contraint à affronter de multiples transformations.

Cette identité autrefois basée sur les certitudes d’une représentation classique du métier d’enseignant, s’articulait et se développait autour d’activités normées, traditionnelles, puissamment encadrées par une institution ancienne, dont l’efficacité était admise par tous à tous les niveaux de l’organigramme social.