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L’identité professionnelle enseignante : quelle est-elle et comment se construit-elle?

2 Pour une approche psychosociale de la construction des identités professionnelles enseignantes

2.1.2 L’identité professionnelle enseignante : quelle est-elle et comment se construit-elle?

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Selon Blin (1997), la fin des années 1990 a connu l’émergence de nouvelles représentations du métier chez les enseignants, selon la discipline qu’ils enseignent, leurs filières et cycles d’enseignement, ou encore selon les public scolaires accueillis dans les établissements (Blin,1997). Il s’avère que ce qui est perçu de l’enseignant en ce début de millénaire, l’apparente à « praticien réfléchi » (Blin, 1997, p. 217) qui

[…] maîtrise les contenus disciplinaires, […] connaît les théories et principes sousjacents à ses activités, possède les savoirs théoriques[…] (Blin, 1997, p.193), en d’autres termes, un professionnel et un praticien capable, parce qu’il en a les compétences, de réfléchir sur son activité professionnelle, ses échecs, également ses réussites, afin de concevoir un ensemble de remédiations lorsque cela s’avère nécessaire, et qui vise l’amélioration de ses performances professionnelles (Blin, 1997). Cette représentation d’un caractère nouveau souligne également son rôle dans l’action sociale et collective éducative, de même qu’elle l’identifie à un individu susceptible de porter sur son métier un regard renouvelé selon les situations rencontrées face aux élèves, au collectif de travail, à l’institution ainsi qu’à l’environnement social. En résumé, ce qui est proposé dans cette perception de l’enseignant du troisième millénaire reflète l’image d’un pédagogue, qui s’enrichit dans l’art et la manière d’enseigner, d’éduquer, de transmettre les savoirs, ce qui constitue un défi lancé non seulement aux enseignants mais également à l’institution qui les recrute et les forme.

2.1.2 L’identité professionnelle enseignante : quelle est-elle et comment se construit-elle?

La problématique qui se dégage en filigrane de nombreuses œuvres de référence est bien celle de l’identité professionnelle des enseignants autour des représentations qu’eux-mêmes se font de leur métier, mais également celles véhiculées par l’institution et les autres acteurs scolaires, notamment les élèves et leurs familles. Elles trouvent un écho différent auprès de l’opinion publique ou se trouvent déformées par les prismes des crises et mutations socioéconomiques qui entourent la profession enseignante. Il apparait opportun de s’interroger à ce point de la réflexion sur ce que l’on entend par identité/s professionnelle/s et comment elle se construit dans un métier contraint à affronter de multiples transformations.

Cette identité autrefois basée sur les certitudes d’une représentation classique du métier d’enseignant, s’articulait et se développait autour d’activités normées, traditionnelles, puissamment encadrées par une institution ancienne, dont l’efficacité était admise par tous à tous les niveaux de l’organigramme social.

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Or, les exigences économiques, l’évolution des mentalités, mais également les injonctions des organismes internationaux pour plus d’équité et d’harmonisation dans les systèmes d’enseignement, ont considérablement modifié le paysage scolaire, et entrainé dans leur sillage une force de travail dont l’influence était autrefois incontestée dans l’édification d’une jeunesse citoyenne. Cette force de travail (les enseignants), s’est vue obligée de modifier ses comportements, et ses pratiques, prise dans le rythme des réformes successives qui ont jalonné son environnement professionnel depuis plusieurs décennies :

[…] tout cela amène certains de ceux qui [exercent le métier d’enseignant] à des interrogations, des incertitudes, voire des angoisses et d’autres à des revendications de professionnalisme[…] (Blin, 1997, p.189).

Aujourd’hui apparentés à ce que l’on pourrait qualifier de travailleurs sociaux, ou, pour citer Dubet de « travailleurs sur autrui » (Dubet, 2002, p.33)51, les enseignants développent une nouvelle identité

professionnelle émise par les reflets vibrants de représentations multiples et variables selon les strates socioéconomiques, également culturelles et ethniques.

2.1.3 Une identité enseignante plurielle en construction constante.

De nombreux auteurs s’accordent à évoquer une crise d’identité professionnelle qui touche les enseignants (Tardif et Lessard,1998, Barrère, 2002, Perrier, 2004, Lantheaume et Hélou, 2008) entre autres ceux du secondaire, et mettent l’accent sur une détérioration des conditions de travail qui semble à l’origine de cette crise. Ils dénoncent également à l’unanimité un statut social dégradé et se font l’écho des enseignants lorsqu’ils évoquent une hétérogénéité souvent complexe des publics d’élèves qui rend plus difficile leur travail. Résultat de l’effritement du cadre normatif traditionnel, l’exercice du métier connait de profondes modifications qui distribuent aux enseignants de nouvelles tâches et redéfinissent leur rôle au sein de l’école, également de la société.

Dans un article de 200152, Cattonar s’est penchée sur les identités professionnelles enseignantes,

rejoignant en partie la réflexion de Blin (1997). Il en ressort que les enseignants évoluent à l’intérieur d’un « groupe social » (Cattonar, 2001, p.1) spécifique à leur profession et qui leur permet de se distinguer d’autres groupes sociaux. Cet ensemble est constitué d’un certain nombre de sous-groupes comme par exemple les enseignants titulaires, les enseignants précaires contractuels, ceux du primaire, du secondaire ou du supérieur etc.

51 Dubet, F. (2002). Le déclin de l’institution. Seuil, 2002

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Toutefois, comme le remarque Blin (1997) tous partagent un « référentiel commun » qui leur sert de « grille de lecture » (Blin, 1997, p.54, cité par Cattonar, 2001, p.6). On peut ainsi dire que le choix d’embrasser cette profession résulte d’une identification mentalement projetée qui guidera le futur enseignant tout au long de ses études ou encore sera à l’origine d’une réorientation professionnelle, que la raison en soit économique ou personnelle. Une fois intégré à ce groupe socialement défini, l’enseignant construit en parallèle une identité professionnelle qui subit les influences des pairs, des partenaires, également de l’institution et acteurs sociaux variés. Ce « processus de socialisation » (Huberman, 1987, p.12) peut s’effectuer en cinq étapes déterminantes au cours de la carrière que sont : « l’exploration », « la stabilisation dans le métier », « la diversification et l’expérimentation », mais également la « remise en question » et enfin, « la sérénité et la distanciation » (Huberman, 1987, p.12). La construction identitaire des enseignants traduit généralement des « représentations [qui se construisent] en fonction de données psychologiques, biographiques et sociales » (Gohier, Anadòn, Bouchard et Chevrier, 2001, p.3-32)53 ou encore d’un écho idéalisé renvoyé par les ministères de

l’éducation à travers la formation des maîtres et enseignants des différents cycles scolaires. Les idéaux d’accomplissement, d’émulation, de complicité avec les élèves, mais aussi ceux d’appartenir à une communauté éducative au sein d’une institution prête à soutenir et encourager l’innovation pédagogique sont au cœur même de la motivation des jeunes diplômés prêts à embrasser la profession d’enseignant. C’est au cours de leurs années de formation qu’ils développent une identité forte d’appartenance à leur groupe socioprofessionnel et, comme le formule Cattonar (2001) en se référant à Baillauquès (1999)

[…] la formation initiale est un moment important de la socialisation et de l’élaboration identitaire[…] (Baillauquès, citée par Cattonar, 2001, p.18).

Toutefois, lorsque l’on comprend que le processus de socialisation est une succession de constructions et de déconstructions, il est aisé de concevoir qu’une confrontation au choc des réalités pour citer Huberman (1987) et Cattonar (2001) entre autres, ainsi que le vécu d’un certain nombre d’événements professionnels mais également personnels, provoqueront de multiples reconstructions de l’identité professionnelle, de l’entrée dans le métier à la fin de carrière. Selon Huberman le « choc du réel » (Huberman, 1987, p.13) trouve généralement son origine dans la découverte du nouvel univers de travail, des collègues et des élèves. Avoir sa propre classe peut être la source d’un stress positif qui participe d’une reconstruction de l’identité, et s’intègre dans une nouvelle représentation plus concrète de la réalité du métier dans sa pratique quotidienne.

53 Cattonar B. (2001). La construction identitaire de l’enseignant sur le plan professionnel. Un processus dynamique interactif.

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Même s’il s’agit d’une étape souvent brutale entre représentation et réalité au sein d’une institution absente qui fait confiance, cette identité réelle (au contraire d’une vision fantasmée) fait l’objet d’un travail psycho-social important de recomposition. Si cette période peut interroger le jeune enseignant sur ses choix professionnels, la présence, les conseils des collègues, ses « partenaires dans la construction identitaire » (Cattonar, 2001, p.3-32) ainsi qu’une succession de réussites pédagogiques peuvent lui permettre d’acquérir une confiance en soi que l’expérience professionnelle achèvera de consolider. Sujet à des mécanismes de construction de son identité qui mettent en jeu celle de l’individu Je et celle générée par l’appartenance au groupe socioprofessionnel Nous (Gohier, Anadòn, Bouchard et Chevrier, 2001)54, l’enseignant se voit l’objet de nombreuses remises en

questions professionnelles, contextuelles à l’école, l’institution dont il dépend, au groupe même auquel il appartient, mais aussi conséquence du regard social porté sur son travail et son interaction avec les élèves, leurs parents et autres acteurs sociaux éducatifs ou non. Toutefois, ces remises en question sont l’occasion de s’engager différemment dans son métier, d’en explorer les nouvelles possibilités et de procéder à une auto-évaluation, selon ces mêmes auteurs (Gohier, Anadòn, Bouchard et

Chevrier, 2001), expérience qui constitue en soi une redéfinition perpétuelle de l’identité professionnelle. Ce travail de remise en question ne constitue pas nécessairement une manifestation « négative ou désenchantée » mais traduit plus vraisemblablement des

[…] moments de crises caractérisés par l’exploration, l’engagement […] ayant une incidence sur […] sa représentation de lui-même et du groupe[…] (Gohier, Anadòn,

Bouchard et Chevrier, 2001, p.3-32) à savoir un ensemble de considérations d’ordre personnel en rapport avec son métier mais également avec la profession elle-même (les valeurs éducatives, le système scolaire ou encore les demandes sociales par exemple).

2.1.4 Prise en compte de la dimension macrosociologique dans la construction identitaire des