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2 Pour une approche psychosociale de la construction des identités professionnelles enseignantes

2.3 Défis du XXI siècle : quelles perspectives pour les enseignants ?

2.3.2 L’enseignant, un praticien réflexif

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Il faut savoir que les enquêtes de l’OCDE (2013) relaient elles aussi la nécessité de collaboration entre les personnels de l’éducation. Dans la pratique, la collaboration peut revêtir différentes formes, telles que l’enseignement pluridisciplinaire en équipe, une planification collaborative des tâches ou des enseignements, les conseils pédagogiques par un pair, une relation de mentorat, de dialogue professionnel et de recherche collaborative, activités qui ne nuisent en rien à l’autonomie des enseignants, autonomie que l’OCDE relayée par les gouvernements appelle de tous ses vœux. Ils sont au contraire l’occasion d’échanges fructueux entre des professionnels qui se reconnaissent entre eux et s’inscrivent très exactement dans une approche de praticien réflexif selon la formule de Maroy (2002) dans un objectif de qualité et d’efficacité, au profit des élèves, mais également pour leur propre bénéfice.

2.3.2 L’enseignant, un praticien réflexif

Si « l’enseignement est une profession dont les membres assurent un service public, [il] exige […] des connaissances approfondies et des compétences particulières » ainsi qu’ « un sens des responsabilités personnelles et collectives » (UNESCO, 1998, p.23), cela implique également l’obligation de tenir à jour ces mêmes connaissances et compétences, et puisque la professionnalisation fait de lui un expert, un praticien, il en va de sa responsabilité d’ « actualiser et de renouveler périodiquement […] ses aptitudes » dans son domaine d’expertise (UNESCO, 1998, p.23) ce qui relève d’une action d’auto-formation inscrite dans un « acte éducatif complexe, réflexif et interactif » (Gohier, Anadòn, Charbonneau et Chevrier, 2001, p.3). Les bénéficiaires directs de cette pratique réflexive sont les élèves, plus particulièrement ceux en difficulté d’apprentissage. Cela traduit la dimension « interactive de l’acte éducatif » mentionné par ces mêmes auteurs (Gohier, Anadòn, Charbonneau et Chevrier, 2001, p.3). De même, une telle rétroaction pour ainsi dire dans la réflexion, peut amener les enseignant à s’adresser sans jugement à leurs collègues et redynamiser les rapports dans des « assemblées de professeurs…mortes » mais qui pourront rapidement « devenir des institutions fécondes et excellentes si elles sont consultées avec franchise et compétence » comme le prophétisait « le Rapport Ribot en 1899 » (cité par Pochart. 2008, p.16).

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Être un praticien réflexif relève également d’un investissement dans les projets d’établissement. Cette démarche engage l’enseignant à participer aux choix stratégiques éducatifs dont il sera bénéficiaire au même titre que tous les partenaires en lien direct avec l’école, qui, lorsqu’ils sont impliqués explicitement, deviennent plus attentifs, moins passifs, et donc mieux à même de comprendre les objectifs définis par les équipes pédagogiques.

Enfin, cette approche nouvelle du métier place les enseignants en situation d’experts professionnels aptes à communiquer avec les différents acteurs de la communauté éducative, discuter d’égal à égal, d’être reconnus en tant que cadres experts par tous les partenaires intra ou extra établissement. Également, ils peuvent dès lors prétendre à une formation continue enrichissante pour leur pédagogie, leurs pratiques de techniciens spécialistes en éducation.

Depuis quelques décennies, la formation des enseignants semble être devenue un pilier solide non seulement dans le but de créer des experts dans le domaine, mais également afin de développer voire ancrer une réelle identité professionnelle enseignante. Dans son rapport mondial sur l’éducation, l’UNESCO (1998) rappelle à quel point il est indispensable que les enseignants reçoivent une formation « de qualité », tout en insistant sur le fait que

« Le progrès de l’enseignement dépend […] des qualifications, de la compétence du corps enseignant […] des qualités humaines et pédagogiques de chacun de ses membres » (UNESCO, 1998).

C’est probablement la raison pour laquelle les états investissent à présent dans la formation de leurs enseignants, tentant de concilier l’apprentissage d’une efficacité pédagogique par la maîtrise des contenus de programmes «imposés par les systèmes scolaires» avec une efficacité devant la « diversité des besoins et des intérêts de l’ensemble des élèves » (UNESCO, 1998). Ainsi, les enseignants sont-ils formés, au niveau supérieur initial, à l’exercice de l’ensemble des activités enseignantes, (conception, animation de séquences d’enseignement, évaluation des apprentissages en formation initiale et continue, communication). Enfin, si la formation initiale tente de professionnaliser les enseignants, cela signifie également de leur part une formation continue, tout au long de la vie professionnelle, afin de poursuivre un approfondissement de leurs qualifications et un élargissement des compétences dans leur domaine d’expertise. C’est à ce prix très certainement que les représentations du métier d’enseignants pourront être perçues sous un jour différent et plus flatteur par l’opinion publique, dans la mesure où les pratiques professionnelles répondront davantage aux attentes des sociétés.

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2.3.3 Conclusion

Les représentations du métier d’enseignant ont connu bon nombre de perspectives selon les époques, les politiques nationales et internationales, mais également en fonction des bouleversements de société qui ont ébranlé le socle autrefois jugé solide de l’institution scolaire. Longtemps perçu comme un individu ayant reçu une vocation pour ce métier honorable, il professait dans une sorte de

sanctuaire le protégeant du regard peu critique d’une population soumise à l’idée d’une pratique

traditionnelle de l’enseignement, héritage d’une construction de près de deux siècles sur un modèle souvent rigide, fortement encadré par un ensemble de règles normatives définissant l’organisation de, [et dans] l’école, les tâches et obligations scolaires des enseignants, également des élèves. La déferlante démographique amorcée à la fin des années 1950 dans les pays industrialisés a créé un afflux massif dans les établissements élémentaires, puis secondaires, ensuite universitaires. Ces vagues successives d’élèves ont obligé les états à entreprendre une démocratisation de l’école, plus particulièrement secondaire, encore souvent réservée à des classes sociales moyennes aisées. Portés par le souffle nouveau de la reconstruction économique d’après-guerre, ils investissent à la fois dans les moyens et les fins éducatives de transmission des savoirs et d’ouverture culturelle adressés aux classes populaires en pleine expansion démographique. Si les phénomènes de massification et par conséquent de démocratisation de l’école marquent ces années d’après-guerre, ils rencontrent une institution en complet décalage, vieillissante et peu réactive, prise pour ainsi dire dans une gangue bureaucratique qui l’empêche de se mettre au diapason. Sa rigidité guindée creuse le fossé profond qui l’éloigne dès les années 1960 d’une jeunesse en pleine métamorphose sociale et culturelle, accompagnée par un public de parents tout aussi demandeur de changement.

Les années 1970-2000 voient se confirmer un ensemble de mutations sociétales à l’origine d’incertitudes chez les enseignants qui ne se reconnaissent plus dans les représentations que lui renvoient l’opinion publique, les réformes entreprises par les gouvernements, les médias et enfin, les élèves. Victimes et souvent ouvriers dans la désacralisation de l’institution scolaire ainsi que de leur profession en raison d’une posture souvent passéiste, les enseignants acceptent difficilement le regard critique que posent sur eux les acteurs de la société, d’autant plus qu’ils se sentent abandonnés par un état qui se désengage massivement en pratiquant une austérité budgétaire, conséquence d’une crise économique à l’origine de sévères restrictions dans le financement des moyens scolaires.

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Cette pratique restrictive budgétaire des états reflète également l’apparition d’une gestion néolibérale qui cherche à considérer l’école comme une entreprise, l’obligeant à adapter ses performances dans un objectif d’efficacité de résultats, une efficacité attendue également par les instances internationales.

Si le doute et la critique sociale semblent stigmatiser les enseignants et les désigner comme inefficaces dans la résolution des problèmes économiques (employabilité des sortants d’école ou d’université), ces derniers voient progressivement leur métier évoluer vers de nouvelles pratiques qui vont modifier les représentations que la société dans son ensemble, tend à conserver de leur profession. En même temps que les mutations sociales se poursuivent dans un flux migratoire consécutif à un phénomène de mondialisation économique, parents et élèves connaissent eux aussi des modifications profondes dans leur mode de vie, notamment dans les structures familiales et culturelles.

Le rapport à l’éducation et au savoir change, qui tend à complexifier le travail des enseignants et donc modifie substantiellement leur rôle, également la perception qui s’en dégage. Ces nouvelles représentations questionnent une identité qui connaît de nombreuses évolutions.

Elles tendent aujourd’hui à les associer à des professionnels de l’éducation plus qu’à des enseignants. Elles exigent d’eux un professionnalisme tant dans la maîtrise des savoirs et des compétences que dans un rapport éthique aux élèves. Les défis que lance aujourd’hui la société du savoir aux enseignants s’axent essentiellement autour d’une nouvelle pratique de l’enseignement qui les invite à plus de recul, à une réflexion approfondie sur leur métier et leur façon d’enseigner. Il s’agit également pour les enseignants de fournir aux futures générations les moyens de la mobilité leur permettant de s’insérer dans un marché du travail mondialisé qui requiert non seulement des facultés d’adaptation, mais également les outils pour y parvenir. Dans cet objectif, ils doivent renoncer à une certaine routine dans l’exercice de leur métier et pour parvenir à sortir du «sanctuaire» selon la formule de Dubet (2002). Les enseignants doivent accepter leurs nouvelles fonctions de partenaire éducatif, de praticien réflexif, au-delà de l’acte pédagogique, ce qui sous-entend une forme d’introspection professionnelle aboutissant à un investissement prononcé dans une formation tout au long de la vie.

Les bénéfices à tirer de cette nouvelle posture concernent avant tout un intérêt constant dans l’innovation pédagogique, le partage et l’expérimentation au sein d’équipes de professionnels qui reconnaissent leurs propres compétences et celles d’un collectif, prompts à s’engager dans une démarche collaborative au profit de l’école, mais avant tout de celui des élèves dont ils ont la charge.

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Accepter de ne pas être infaillible en plus de modifier ses propres représentations du métier, peut réduire la distance entre les usagers de l’école et les enseignants, également faire d’eux des partenaires crédibles dans le pacte éducatif signé entre les établissements, les parents, les élèves, l’institution, plus largement, la société. Cette attitude peut réduire la fracture ethnoculturelle qui éloigne les parents issus de l’immigration de la scène scolaire, de même qu’elle peut permettre de retisser le lien entre l’école et les classes sociales les plus défavorisées.

En conséquence de l’évolution actuelle du métier, les enseignants ne sont plus de simples professeurs qui entrent en classe pour donner un cours, mais des personnels investis dans un ensemble de missions éducatives qui les rendent plus visibles, plus actifs, également plus fiables. Finalement, si dans le contexte d’incertitudes sociales et institutionnelles qui caractérise ce nouveau millénaire, les représentations du métier obligent les enseignants à réviser leur rôle, ne peut-on considérer également que la société du savoir tente de redonner aux enseignants le rôle fondamental que lui attribuaient la société de l’Antiquité, celui du pédagogue au service du futur citoyen, qui chemine à ses côtés et l’accompagne sur la voie de la connaissance?

2.4 Enseigner dans les lycées Agricoles : un métier aux réalités complexes dans une