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1°) Les principes de l’ordonnance de

La nécessité de construire une justice des mineurs spécifique s’est imposée au début

du XXe siècle, à mesure que les sciences humaines et sociales développent de nouveaux

savoirs sur l’enfant. Simultanément, l’enquête sociale s’impose comme préalable à toute décision judiciaire. En 1912, les tribunaux pour enfants sont créés tandis que les premières mesures de liberté surveillée apparaissent. L’élaboration progressive de la justice des mineurs s’est finalisée par l’adoption de l’ordonnance du 2 février 1945 qui entérine et précise l’orientation éducative du traitement judiciaire des mineurs.

Quel regard sur l’enfant guide l’ensemble du texte de 1945 ? Le mineur est présenté comme un être fragile à protéger, il est décrit comme malléable et par conséquent éducable. Cette représentation s’explique par les nouveaux savoirs dont il fait l’objet, mais également par un contexte économique et social particulier : les nations sont à reconstruire après la guerre et nous entrons dans une phase de prospérité économique. Les enfants sont alors présentés comme l’avenir de la nation. Corrélativement, l’État est désigné comme responsable de la jeunesse et il a, à ce titre, un devoir d’éducation et d’intégration à son égard.

La question de la responsabilité du mineur délinquant découle de cette conception de l’enfant. En effet, on considère que la responsabilité des faits délictueux commis par un mineur ne lui est pas entièrement imputable. Le mineur délinquant est présenté comme une victime des dysfonctionnements sociaux ou des conflits ayant cours dans son contexte familial. L’État, garant de l’éducation des enfants, est perçu comme en partie responsable des délits accomplis par les mineurs, dans la mesure où il aurait failli à sa mission d’intégration de sa jeunesse. La responsabilité de l’acte est partagée : elle est collective et ne se réduit pas à la responsabilité individuelle du jeune.

Par ailleurs, les actes de délinquance ne sont pas considérés en eux-mêmes mais ils sont vus comme le symptôme d’une situation problématique et pathologique dans laquelle le jeune est enfermé : les délits ne sont alors que l’expression d’une souffrance à apprécier et à soigner. De ce fait, le délit est moins considéré que la personnalité du jeune, son histoire de vie, ses conditions d’existence. Ainsi, l’instruction doit porter autant sur l’acte commis que sur ces éléments précités. Cette instruction comportera de nombreux rapports d’experts (enquête sociale, mesures d’investigations…), effectués par des travailleurs sociaux et/ou médecins qui gravitent autour de l’enfant. Ces rapports seront une aide à la prise de décision du magistrat. À noter que les différents travailleurs sociaux occuperont une place essentielle dans l’exécution de la mesure prononcée par le juge des enfants.

Le traitement judiciaire qui se veut avant tout éducatif s’impose comme devant être individualisé. L’individualisation de la prise en charge est rendue possible par des principes procéduraux adaptés. Ainsi, le juge des enfants a la possibilité de prononcer des mesures sans définir leur durée et il peut revenir sur ses décisions à tout moment. La particularité des principes procéduraux concernant la prise en charge des mineurs ne s’arrête pas là. En effet, une procédure judiciaire spécifique est instaurée afin de rendre effective les objectifs éducatifs de la justice des mineurs.

D’une part, la justice des mineurs se caractérise par l’instauration de seuils d’âge auxquels correspondent des réponses judiciaires adaptées. D’autre part, l’ordonnance de 1945 crée une juridiction particulière. La justice des mineurs sera une justice de cabinet présidée par un magistrat spécialisé : le juge des enfants. Ce dernier, qui doit agir dans l’intérêt de l’enfant, se caractérise par la continuité de son action, le juge des enfants étant chargé à la fois de l’instruction, du prononcé de la peine et du suivi de son exécution. De

plus, les mineurs bénéficient d’un privilège de juridiction dans la mesure où le formalisme judiciaire est nettement assoupli par rapport à celui en vigueur pour les adultes. A. Garapon et D. Salas estiment alors que la justice des mineurs est une justice informelle : « La justice informelle, c’est l’assouplissement des règles de procédure par les acteurs de

justice ou par la loi elle-même qui se caractérise par la confusion des lieux, des moments, des acteurs et des faits. C’est la justice de cabinet par excellence qui superpose le jugement et le traitement social du problème dans une même enceinte »23.

Enfin, la valeur temps est fondatrice de la prise en charge éducative du mineur. Par conséquent, les procédures rapides sont rejetées. Un temps de maturation est estimé nécessaire, temps au cours duquel une relation de confiance s’instaure entre le jeune et l’ensemble des personnels chargés de sa prise en charge. Ainsi, le traitement judiciaire et éducatif demande du temps, temps de transmission où l'on offre aux jeunes l’opportunité d’évoluer.

La justice des mineurs s’inscrit alors dans une approche solidariste et une démarche paternaliste, elle est définie comme protectionniste. Dans ce modèle où la priorité est donnée aux mesures éducatives, la prison est perçue comme une exception qui viendrait en bout de chaîne d’une prise en charge éducative. À ce titre, la prison symbolise l’ultime solution face à un jeune pour lequel toutes les « cartes éducatives » auraient été jouées. Mais la prison symbolise aussi la mise en échec du traitement éducatif : « Face aux mesures

éducatives, la prison est ressentie comme signe de l’échec du jeune délinquant… mais aussi de son juge et de son éducateur »24. En outre, les règles de la vie en détention sont décrites comme

contradictoires avec les principes éducatifs de l’ordonnance de 1945. De ce fait, la prison est à éviter et elle doit être une décision qui reste exceptionnelle.