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2°) La prison et les autres structures fermées

ET MODALITÉS DE SORTIE

En prison, Ted est considéré par l’ensemble des surveillants comme un garçon aimable et sans problème. En retour, il affirme que les surveillants sont « cool et sympas », ils « expliquent bien comment ça se passe ici », en bref, ils ne sont « pas casse-couilles » ; il apprécie également le fait qu’ils soient en survêtement plutôt qu’en uniforme. Le quotidien de Ted est marqué par une grande oisiveté :

« Je crois qu’il y a pas sport parce que… j’ai entendu parler y’en a ici, je crois il a fait mal au dos

Alors qu’est-ce que tu fais de tes journées ?

Alors le matin… là normalement, on sort un deuxième tour… on sort de 10 h 00 jusqu’à 11 h 00… après on rentre, midi on mange… si l’après-midi, on sort au premier tour, c’est de 2 à 3 h 00. De 3 à 4 h 00, on a été avec euh… une femme en fait, on fait des jeux de société, Trivial Pursuit… et tout ça.

Le Génepi ?

Ouais. C’est cool… Là, aujourd’hui je sais pas si on a encore… c’est seulement le mercredi je crois.

Ouais ok. Donc à part promenade…

Ouais promenade c’est tout, et Trivial Pursuit avec le Génépi une fois par semaine. C’est promenade ici… Une le matin, une l’après-midi, c’est tout…

Tu ne vas pas à l’école ?

Euh… j’ai été ben une fois… mais bon j’y vais plus. Pendant deux semaines j’étais ici, c’était les vacances. Donc pas de cours. Après, l’autre semaine le temps qu’il se remette avec les autres élèves, et puis la dernière semaine le temps qu’il vienne nous chercher, que je fasse les tests après… voilà quoi. J’y ai été une fois ».

Comme dans chacune des prisons dans lesquelles des jeunes ont été rencontrés, des grilles ont été rajoutées aux fenêtres durant la période de terrain. On retrouve dans le récit de Ted la plupart des ingrédients descriptifs de cette transformation : les grilles ont été posées pour limiter les échanges illégitimes, mais ont également pour conséquence d’empêcher les petites solidarités de la vie quotidienne. Elles renforcent, par ailleurs, la charge de travail des surveillants : ce sont désormais eux qui devront assurer la quasi- totalité des échanges entre cellules. Cette charge supplémentaire à pour contrepartie d’accroître leur marge de manœuvre : un détenu turbulent se verra moins facilement accorder ces petits services.

« T’es arrivé, elles étaient déjà là les grilles ?

Ouais, ouais, ouais. C’est chiant ça. On peut plus rien faire passer… Avant, on m’a expliqué, on pouvait passer des choses. Un paquet de biscuits, on pouvait le passer. Eux ils veulent pas, parce que ceux d’au-dessus ils fument et puis ceux d’en dessous ils fument pas. Et puis ils disent qu’il y a trop de bordel par les fenêtres euh… Quand je suis arrivé, j’avais rien, ben celui d’au-dessus il me dit : "tu veux que je te passe des biscuits tout ça ?". Bah je dis « ouais ». Il me dit : "bah je l’envoie à la gamelle". Et pour la gamelle… tac nous on emmerde les autres, avec la gamelle, parce que c’est la mission quoi avec les cantines. Y’en a un qui passe à l’autre, ça fait que ça… Et là ils deviennent fous, ils savent plus quoi. Avant, On peut envoyer que du sucre en fait !!! ».

Comme pour d’autres, la relative brièveté de sa détention empêche de mettre en place le dispositif de parloir :

« Bah déjà pour la famille c’est trois semaines, euh… le parloir, les demandes… et euh, ici on m’a

dit pour les copines, comme c’est pas la famille, c’est au moins un mois et demi, deux mois. Donc elle m’a écrit c’est tout ».

Son père est décrit par Ted comme investi dans la préparation de sortie de prison. Son réseau relationnel apparaît comme une opportunité sociale forte pour remettre Ted sur le droit chemin :

« Mon père il m’a dit qu’il fallait que je fasse un choix. Et puis il fallait que je me calme, qu’il me

laissait encore une chance… On va chercher ensemble. Il est carrossier. Il bosse pour quelqu'un, avant il était à son compte, mais maintenant il bosse pour quelqu'un. Tu vois mon père, par ici, il est fortement connu en… très bon carrossier quoi. Y’a plusieurs garages qui voulaient le prendre et il connaît tous les patrons, par ici…

Donc il a aucun problème d’emploi pour lui… mais il peut aussi t’en trouver un…

Ouais, ouais… bah à condition que… je fasse pas le con quoi, pour pas que... il se fasse salir après… Parce que c’est quand même lui qui me trouve le stage tout ça… après c’est à moi d’assumer ».

Lors du second entretien que je réalise avec Ted, son mandat de dépôt a été rallongé. Son récit met au jour un processus intéressant : alors que la juge veut le faire rester en prison pour le punir davantage, son éducatrice elle, demande le placement de Ted en CEF. S’instaure un jeu de faux-semblant : certes, le CEF est censé être moins coercitif que la prison, et l’éducatrice doit logiquement défendre cette proposition. Mais parce qu’elle implique une durée de la contrainte beaucoup plus longue, Ted préfère lui rester en prison, et il pense que l’éducatrice a conscience de ce décalage, et que c’est aussi pour le punir davantage qu’elle demande un placement en CEF. L’audience est ainsi le théâtre d’un véritable jeu de faux-semblant, dans lequel les peines les plus dures ne sont pas forcément celles que l’on croit. Son récit permet au passage de saisir également l’incertitude structurelle qui résulte de multiples décalages judiciaires : des affaires anciennes sont jugées après de plus récentes.

« Ben je suis passé lundi, elle a rallongé mon mandat de dépôt, d’un mois, et elle m’a fait tomber mon

mois ferme que j’avais, donc que ça fait que mon mois ferme, je le fais en même temps que mon mandat de dépôt. Donc le 19 je suis libérable. C’est mieux. Après je suis tranquille. Je préfère qu’elle renouvelle le mandat de dépôt et qu’elle efface mes un mois ferme, comme ça je suis tranquille j’ai plus de sursis, et pas aller dans un CEF. Le 19 je suis libérable si le 2 avril je prends pas du ferme. Parce que encore au correctionnel pour encore une autre affaire. J’avais cassé une porte en fait. (…) Bah ouais. La juge elle a pas voulu accepter le CEF. Mon éducatrice, elle, elle a proposé le CEF. Donc la juge elle m’a dit : "bon on est là pour ton mandat de dépôt". Elle m’a dit : "alors c’est soit je le renouvelle, ou soit je te libère". Donc elle m’a dit : "tu veux quoi ?". Alors j’ai dit : "moi, comme tout le monde quoi hein, libérable hein !" (rires). Elle m’a dit : "ouais, mais tu sais que c’est pas la solution que je peux te proposer. Un mois c’est trop court je pense. Je pense pas que tu aies encore compris". Je lui ai dit : "si, j’ai compris, tout ça". Bon après elle a donné la parole à l’éducatrice, elle dit : "moi écoutez, j’ai une place dans un CEF" ta ta ta. Hop, après elle a donné la parole à la procureur. (…) Donc après la juge des libertés elle a dit : "ben, écoutez, on va délibérer quoi, sortez". Et après quand je rentré, elle m’a dit : "ben écoute Thibaut, je vais te mettre en mandat de dépôt".

Il y a un truc marrant dans ton histoire, enfin marrant, façon de parler… c’est que pour elle, elle a décidé ça parce qu’elle pense que c’est une plus grosse punition…

Et ton éducatrice ?

L’éducatrice je pense qu’elle voulait plus… enfin entre moi et vous… elle voulait plus me faire galérer. Je sais pas qu’elle a envie je sorte de prison mais pas que je sois dehors. Elle veut me mettre directement dans le CEF ».

C’est alors l’occasion pour Ted d’expliquer son sentiment : « l’éducatrice, on dirait

qu’elle essaie de m’enfoncer à chaque fois » :

« Ben ouais, dans certaines affaires elle dit : "ouais, il vient pas aux convocations"… Elle me protège

pas… Normalement l’éducatrice c’est quand même fait pour euh un petit peu sauver quoi l’affaire je pense. Pas la sauver à fond, mais mettre un plus, pas s’arrêter uniquement sur… Comme avant, une fois, on était passé en jugement et moi j’allais pas aux convocations de l’éducatrice parce que… elle me convoquait à des moments à 3 h 30, 4 h 30… mais moi je travaillais moi ! C’était toutes les semaines, toutes les semaines, le patron il devenait fou… parce que quand j’étais en couverture on n’était qu’à deux, y’avait que lui, que moi et le patron, à travailler. Parce que moi le patron je le connais depuis le temps que je suis petit. Ça allait nickel, on travaillait qu’à deux. Donc moi si je partais à 3 h 30, le patron il était tout seul à 3 h 30 jusque 5 h 00 sur un chantier. Donc après je lui ai dit ça, donc la juge elle s’est retournée vers l’éducatrice, l’éducatrice, blam : "ouais mais il téléphonait pas, elle dit, moi si tu me préviens pas…". Je dis : "ouais mais écoutez euh… je prends pas tout le temps mon portable sur moi". "Bah, ton patron il a un portable". Elle croyait que j’allais prendre tout le crédit à mon patron pour l’appeler quoi ! ».

Ted passe donc un second mois en détention, durant lequel ses activités seront similaires au premier : promenade, cellule. Il est en régime orange depuis son arrivée, aimerait passer en régime vert pour pouvoir bénéficier de la Play-Station. Sauf exception, il passe 22 heures sur 24 en cellule.

III-CEF ET PROJET DE STAGE : LA FORCE DES SUPPORTS SOCIAUX

Contrairement aux espoirs de Ted, il part en CEF à sa sortie de prison. C’est là que je le rencontrerai une troisième fois, deux mois après sa sortie de prison. L’entretien est structuré par deux éléments principaux. D’abord, la bonne entente et le bon déroulement de son séjour au CEF (« les deux mois, ça va faire deux mois la semaine prochaine, j’ai rien vu

passer. Les deux mois sont passés… pfffff… vite quoi. Ça passe plus vite qu’en prison »). Ensuite ses

projets futurs, rendus possibles grâce à l’implication de son père, qui aura réussi, conformément à ce que Ted me disait en détention, à lui trouver un contrat d’apprentissage. À la suite de ce contrat d’apprentissage, il souhaite faire un CAP, puis un BEP.

« Je me suis trouvé un boulot. Normalement je vais signer mon contrat là, dans deux semaines… Un

Ça se passe bien pour toi ici ?

Ouais, c’est impeccable. Là j’ai eu deux week-ends de retour. J’y suis retourné le week-end dernier et j’y suis retourné il y a trois semaines. Là je retourne le week-end prochain. Donc ça va quoi, c’est impeccable.

Je ne connais pas le CEF ici, comment ça fonctionne…

Bah, là-bas il y a la salle de cours, y a la cuisine, il y a la salle de sport par là, là-bas dans le fond, c’est les chambres… Après il y a… Bah ici, il y a l’administration, là c’est le bureau des éducateurs que tu vois là. Sinon le matin on est levé à 8 h 00, on va déjeuner, on termine la cigarette, après il y a les activités. Donc c’est soit on est en cuisine, soit on est en sport, soit on est en école, soit… Activité, jeux de société, ça dépend, on peut faire du foot et tout quoi. Le week-end on fait une sortie plage, la semaine on va à la piscine, on mange un kebab, des trucs comme ça quoi. (…) Les éducateurs, ils sont impeccables, il n’y a rien à dire ».

Plusieurs éléments jouent en sa faveur, et Ted parvient à « regagner » la confiance des professionnels. D’abord ses sorties le week-end se sont déroulées sans accro : il passe son temps chez sa copine, ne boit pas d’alcool, ne cherche pas à revoir ses deux amis avec qui il faisait les 400 coups. Ensuite, il s’entend bien avec les éducateurs, en insistant sur le fait que ce sont de « vrais éducateurs, pas la PJJ. C’est associatif en fait. Ils sont là pour faire des

activités, c’est tout. Ils sont plus à l’aise, ils sont pas là pour le pénal ». Condamné à 6 000 euros de

dommages et intérêts, son père emprunte pour pouvoir payer la somme. « Quand j’aurais

un boulot, je le rembourse » affirme Ted.

Ted revient sur le rôle de la prison dans son parcours : la prison l’aurait « calmé », lui aurait permis de réfléchir, et « de ne pas avoir envoie de revenir ». Il lui semble que la prison doit être « dure », « pour ne pas avoir envie d’y retourner ».

« La prison qui m’a calmé, parce que j’ai pas envie d’y retourner. Une fois, pas deux. (…) Faut que

ça soit dur, faut pas que ce soit un club Med. Si c’est pas dur, on y retournera de toute façon… Vaut mieux que ce soit une prison comme ça plutôt qu’un truc cool. Parce que si c’est cool, on ne comprendra pas. Là au moins, c’est bien sévère, on comprend.

T’aurais pas pu t’arrêter sans ça quoi ?

Ben… de voir ma copine qui demandait après moi quoi, qui a besoin de moi aussi, donc c’est ça qui m'a calmé. Puis mon père, mes frères…

Ça compte quand même beaucoup tous ces soutiens ?

Oui oui ! Oui oui !

Parce que je rencontre aussi des jeunes qui sont calmés par la prison, mais s’il n’y a aucun soutien derrière…

Ah bah là, c’est sûr, tu ressors, ça y est tu recommences. C’est sûr ».

L’extrait est limpide : ce rôle « positif » de la détention, au sens où elle serait le lieu d’une prise de conscience, un moment où l’on décide de se remettre dans le droit chemin, est directement corrélé (ou plutôt : Ted bascule d’une explication à une autre) aux différents soutiens familiaux et affectifs qui rendent possible ce changement de cap : la

copine qui « l’aime », les frères qui surveillent (« ils m’ont dit qu’il y avait intérêt à ce que je me

calme »), le père qu’il ne faut pas décevoir et qui trouve des opportunités professionnelles.

Comme annoncé en introduction à la mise en forme de ce récit, le discours sur l’efficacité dissuasive de la prison est surtout activé par des jeunes qui disposent des supports qui constitueront un frein social puissant à la réincarcération. Sans préjuger de la suite de la trajectoire sociale de Ted, son récit éclaire aussi les autres : quelle que soit la dureté de la prison, la peur d’y revenir et le rejet d’un mode de vie en proximité constante avec le système pénal, seule l’existence de freins sociaux à l’incarcération peut empêcher le retour en prison.

R É C I T N ° 1 1 :

J É R Ô M E , 1 7 A N S

« Moi c’est, l’argent.

Je ne sais pas encore, je vais voir comment cela va se dérouler, je vais essayer de gagner de l’argent légalement, je vais essayer ».

Jérôme, 17 ans, est incarcéré pour la seconde fois, suite à des vols à l’étalage et des vols à l’arraché. Les vols sont sa spécialité : il a débuté sa carrière déviante en volant dans le supermarché de son quartier où il a développé des techniques pour maximiser ses délits tout en minimisant ses risques. Puis il a commis de nombreux cambriolages et des vols à l’arraché, affinant régulièrement ses techniques. Il explique ces délits par une recherche perpétuelle d’argent dont il a un besoin exorbitant, estimant ne pas envisager de vivre en dessous de 4 000 € par mois. La plupart du temps, ces vols sont commis avec un ami, actuellement en détention. Il est peu inscrit dans un réseau de quartier, ce qui s’explique notamment par les nombreux placements qu’il a connus. En effet, dès le plus jeune âge il est placé chez ces grands-parents, ses parents étant tous deux atteints de maladies psychiatriques. Mais les relations avec ses grands-parents se tendent alors même que ses difficultés scolaires (liées à un comportement très perturbateur) s’accroissent. Il est placé dans différentes familles d’accueil, internats, foyers d’où il se fera toujours exclure. Dans le même temps, il connaît de nombreux établissements scolaires où son comportement est toujours présenté comme problématique. Néanmoins, son parcours scolaire ne sera jamais définitivement interrompu : il est inscrit en seconde lorsqu’il est incarcéré. Sa détention se déroule sans incident particulier. Jérôme se rend aux différentes activités proposées et passe son temps à définir sa stratégie de sortie, à affiner le discours qu’il entend proposer à la juge. Il affirme que cette incarcération a mis un terme à sa

délinquance, « jamais », nous dit-il, il ne recommencera à commettre des délits. Néanmoins, lorsque l’on aborde son besoin d’argent, sa décision semble difficile à réaliser.

Jérôme est décrit par le personnel éducatif comme un mineur très exigeant, « toujours dans la demande », qui ne parvient pas à « entendre ce qui lui est dit », qui reste « enfermé dans ses certitudes et ne se remet jamais en question ». Les enseignants partagent l’idée d’un mineur qui « tourne en boucle » sur ses projets sans parvenir à écouter les conseils qui lui sont donnés. Lors des entretiens, où il se montre très bavard, Jérôme n’a de cesse de définir une stratégie de sortie, d’élaborer des plans d’avenir, sans cependant jamais énoncer la possibilité que cela ne se déroule pas comme il le prévoit. Le personnel de surveillance quant à lui estime que Jérôme est un détenu « agréable » qui ne présente pas de difficulté particulière, même s’il semble maladroit avec des codétenus qui ne sont pas dans son groupe de vie.

Deux mois après sa sortie de prison, les projets élaborés en détention par Jérôme ne sont pas réalisés mais, comme en prison, il ne cesse de re-définir son avenir, ses projets, avec une certitude : celle de ne pas commettre de nouveaux délits. Il se dit très inquiet d’un point de vue financier, exprime des besoins toujours croissants, inversement proportionnels à une réserve financière, mise de côté avant la détention, qui ne cesse de se réduire. Lors de cet entretien, sa situation semble très instable : il effectue un stage de quelques jours mais il a refusé un placement dans un appartement en semi-autonomie, il séjourne alors chez son oncle qui le presse de partir. Aucun établissement scolaire ne l’a accepté jusqu’à présent pour la rentrée de septembre, mais il reste convaincu qu’il parviendra à intégrer une première alors même qu’il n’a effectué que quelques mois de seconde (interrompue par son incarcération). Il entame alors de nombreuses démarches et déplore de ne pas être soutenu (son éducateur à quitté sa structure et la directrice refuse de lui venir en aide, notamment parce qu’il a refusé l’appartement en semi-autonomie, trouvé après de très nombreuses démarches).

I-PARCOURS PRÉ-CARCÉRAL