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Chapitre 4. État des connaissances

4.2 Principes de l’apprentissage collaboratif en équipe

Au cours des deux dernières décennies, la recherche empirique et la littérature se sont intéressées à l’apprentissage professionnel conçu comme activité située à l’intérieur d’un cadre collaboratif où l’individu est amené à travailler activement avec d’autres sur des problèmes concrets de la pratique (par exemple, groupe de travail, communauté de pratique, mentorat, etc.) (Wenger 1998; Garet, Porter et al. 2001; Webster-Wright 2009). Parallèlement, une variété de domaines de recherche a accordé une attention grandissante au concept d’apprentissage collaboratif en équipe (King and Rowe 1999; Mallinson, Popay et al. 2006). Dans les domaines de la santé et de la santé publique, le travail collaboratif et les approches d’apprentissage en équipe ont ainsi été présentés comme des solutions novatrices afin de faire face aux transitions importantes de la pratique et aux défis complexes qu’elle rencontre (Yorks, Marsick et al. 2003; Lemieux-Charles and McGuire 2006; Mallinson, Popay et al. 2006; Nicolini, Powell et al. 2008; Braithwaite, Westbrook et al. 2009; Ceraso, Gruebling et al. 2011; Thistlethwaite 2012). L’apprentissage collaboratif en équipe serait ainsi une approche prometteuse pour renforcer les connaissances des professionnels, faciliter les changements de pratique, améliorer la performance des organisations de santé et promouvoir l’apprentissage organisationnel (Nicolini, Powell et al. 2008; Braithwaite, Westbrook et al. 2009; Ranmuthugala, Plumb et al. 2011). Dans cette section, nous ferons un survol de la littérature concernant l’apprentissage d’équipe de façon à proposer quelques définitions du concept, représenté à la fois comme un résultat et un processus, puis nous terminerons par pointer quelques facteurs cruciaux agissant sur ce type d’apprentissage.

L’apprentissage en équipe a été réfléchi de différentes façons et à partir de perspectives disciplinaires variées (Wilson, Goodman et al. 2007; Decuyper, Dochya et al. 2010). Cette situation peut être considérée désirable parce que favorisant la richesse de la littérature

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produite, mais aussi problématique parce qu’encourageant la prolifération des termes et des significations à l’intérieur de silos disciplinaires qui compliquent tout effort d’intégration significatif. Parmi les perspectives qui ont contribuées à engendrer ce corps de connaissances et de théories fractionné, mentionnons notamment les sciences de la gestion, l’économie, les théories organisationnelles, la communication, les sciences politiques, l’éducation, la psychologie et la sociologie, chacune proposant ses propres étiquettes et définitions. Dans ce contexte, l’apprentissage d’équipe, l’apprentissage de groupe, l’apprentissage coopératif ou collaboratif sont des expressions qui sont quelques fois utilisées pour référer au même concept, quelques fois non13. Du point de vue des sciences organisationnelles et de la gestion, l’apprentissage en équipe peut être conçu comme une forme d’apprentissage organisationnel au niveau meso (Kozlowski, Chao et al. 2010), mais il est le plus souvent considéré comme un type d’apprentissage particulier jouant un rôle pivot entre l’apprentissage individuel et l’apprentissage organisationnel (Yorks, Marsick et al. 2003). Ainsi, l’apprentissage en équipe survient lorsque les individus interagissent pour acquérir, interpréter et utiliser activement de l’information, des connaissances et des expériences de façon à générer une nouvelle compréhension d’un problème et permettre à l’équipe un changement dans sa manière d’y faire face (Edmondson 1999; Argote, Gruenfeld et al. 2001; Wilson, Goodman et al. 2007). Ainsi, ce type d’apprentissage, qui survient au-delà de l’agrégation des apprentissages individuels, se solde habituellement par un changement dans l’étendue possible des comportements du groupe (Huber 1991; Wilson, Goodman et al. 2007). L’apprentissage développé par l’équipe est ensuite diffusé dans l’organisation par l’équipe ou les membres travaillant en association avec d’autres équipes, ce qui modifie possiblement le fonctionnement de l’organisation (King and Rowe 1999).

En raison de l’abondance des perspectives théoriques sur l’apprentissage d’équipe, ce concept a été défini de plusieurs façons, chaque définition mettant l’accent sur un aspect particulier de l’interaction de groupe. Quelques auteurs ont ainsi proposé des définitions basées sur les résultats, où l’apprentissage en équipe est notamment opérationnalisé par « a

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change in the group’s repertoire of potential behaviour » (Wilson, Goodman et al. 2007: 1043). Pour d’autres, tels que Edmondson, (2002 129), l’apprentissage en équipe est principalement un processus « in which a team takes action, obtains and reflects on feedback, and makes changes to adapt or improve ». Malgré la richesse des différentes définitions centrées sur le processus, leur grande diversité n’a pas permis l’émergence d’un consensus en regard des types d’activités et d’étapes impliquées dans les processus de l’apprentissage en équipe (Wilson, Goodman et al. 2007). Par exemple, Huber, adoptant un point de vue informationnel (ou de gestion de l’information), identifies quatre types d’activités liées à l’apprentissage d’équipe et organisationnel : (1) l’acquisition d’information, (2) la distribution de l’information, (3) l’interprétation de l’information et (4) le stockage de l’information et la redistribution (Huber 1991). Kasl et al. (Kasl, Marsick et al. 1997; Yorks, Marsick et al. 2003), qui ont contribué de façon importante à ce champ par leurs travaux, vont pour leur part plus loin en décrivant l’apprentissage d’équipe comme caractérisé par un cinq types d’activités interdépendantes où l’interprétation de l’information et la mise à l’épreuve de cette interprétation occupe une place centrale : (1) l’interprétation (la perception initial d’un enjeu par un groupe); (2) la réinterprétation (la transformation de cette perception en une nouvelle compréhension); (3) l’expérimentation (les actions du groupe afin de tester cette perception); (4) le dépassement des frontières (permettant d’aller chercher et de donner de l’information à l’extérieur du groupe); (5) la perspective intégratrice (la synthèse des différents points de vue par la pensée dialectique). Capitalisant sur une revue de littérature de ce concept et un effort intégratif, Decuyper, Dochya et al. (2010) ont quant à eux décrit le processus d’apprentissage d’équipe comme incluant à la fois des variables de base (partage, co-construction et conflit constructif), des variables facilitatrices (dépassement des frontières, activité d’équipe et réflexivité d’équipe) ainsi que des variables liées à la gestion de l’information (stockage et redistribution de l’information) (Decuyper, Dochya et al. 2010).

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Facteurs influençant l’apprentissage d’équipe

Les facteurs et les variables qui sont conçus comme affectant l’apprentissage d’équipe sont tout aussi nombreux que les perspectives et les modèles développées sur le sujet. Malgré la prolifération des termes et des significations, on peut toutefois identifier quelques récurrences, ou du moins quelques ensembles de variables. Ainsi, compte tenu de son rôle charnière entre l’apprentissage de l’individu et de l’organisation, il apparaît cohérent que l’apprentissage d’équipe soit un processus qui dépende à la fois de variables individuelles, groupales et organisationnelles (Dechant, Marsick et al. 1993; Wilson, Goodman et al. 2007; Decuyper, Dochya et al. 2010). De fait, « generic variables that exist within individuals, groups and organisations (…) become conditions that affect learning when they are particularised to specific situations » (Dechant, Marsick et al. 1993: 7). Decuyper et al. (2010), se basant sur une revue de plus 463 études et ouvrages sur le sujet, identifient par exemple plus de 34 variables individuelles influentes dans l’apprentissage d’équipe, liées soit au caractéristiques mêmes des participants ou à leurs comportements. Parmi celles-ci, les connaissances antérieures des membres, leur motivation et leur ouverture à prendre part au processus d’apprentissage apparaissent comme déterminantes (Johnson and Johnson 1994; Argote, McEvily et al. 2003; Ellis, Hollenbeck et al. 2003; Day, Gronn et al. 2004; Sweet and Michaelsen 2007; Decuyper, Dochya et al. 2010). Toujours selon Decuyper et al. (2010), une variable individuelle des plus importantes est la capacité de chaque membre de réfléchir ‘en système’, en d’autres termes la pensée systémique, qui permet à l’individu de comprendre de quelle façon toutes ses actions sont interdépendantes de celles des autres membres. Au niveau organisationnel, l’étendue des variables identifiées dans la littérature est tout aussi vaste, et comprend par exemple la culture organisationnelle (Senge 1990; Bain 1998; Zellmer-Bruhn and Gibson 2006; Decuyper, Dochya et al. 2010), les systèmes de traitement de l’information, (Argote, McEvily et al. 2003; Zellmer-Bruhn and Gibson 2006; Decuyper, Dochya et al. 2010) et les stratégies organisationnelles (Argyris and Schön 1978), telles que l’intégration globale ou la responsivité locale (Zellmer-Bruhn and Gibson 2006).

Au niveau du groupe, il devient plus difficile de proposer une typification des variables qui influencent l’apprentissage d’équipe, en raison de concepts que certains auteurs ont

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théorisé comme des ‘états émergents catalyseurs’, qui sont en fait des produits émergeants des processus d’apprentissage, immédiatement réinjectés dans le processus pour le stimuler (Decuyper, Dochya et al. 2010). Ces états émergents sont quelques fois des états affectifs qui se créent au sein des groupes. Parmi ceux-ci, on remarque par exemple la ‘sécurité psychologique de l’équipe’, un état qui permet un climat de confiance propice à la discussion, aux essais-erreurs, aux remises en question (Edmondson 1999; Decuyper, Dochya et al. 2010). La cohésion (ou cohésion de tâche) est une seconde illustration d’un état affectif qui facilite l’apprentissage d’équipe. Cet état se définit comme « the shared commitment among members to achieve a goal that requires the collective efforts of the group » (Van den Bossche, Gijselaers et al. 2006: 499). Par ailleurs, la confiance partagée dans la capacité de l’équipe à accomplir la tâche, ou ‘l’efficacité de groupe’, est un autre état émergent basé sur l’affect qui permettrait de renforcer la performance du groupe (Sundström, McIntyre et al. 2000; Sweet and Michaelsen 2007). Un des états émergents les plus étudiés consiste certainement en le concept du ‘modèle mental partagé’ (Klimoski and Mohammed 1994; Kozlowski and Bell 2008; Decuyper, Dochya et al. 2010). De fait, « shared mental models are the team member’s shared, organised understandings and mental representations of knowledge about key elements of the team’s task environment » (Decuyper, Dochya et al. 2010: 121).

D’autres caractéristiques intrinsèques des groupes, qui ne sont pas des états émergents, ont aussi fait l’objet de l’attention dans le champ de l’apprentissage d’équipe (Decuyper, Dochya et al. 2010). Par exemple, la présence d’un leader qui apprend lui-même comment diriger un groupe est conçue comme un élément facilitant l’apprentissage d’équipe, parce que cela agit sur la réflexivité de l’équipe et sa capacité à appréhender les problèmes complexes (Hirst, Mann et al. 2004). Edmondson (1999) a pour sa part démontré qu’un leader inspirant capable de soutenir les membres de l’équipe et de résoudre des problèmes concrets est bénéfique pour l’apprentissage d’équipe. Enfin, des caractéristiques telles que la structure de l’équipe et la répartition des rôles au sein de celle-ci peuvent également avoir des incidences sur l’apprentissage d’équipe, parce qu’elles permettent différents types d’échange et de combinaison de l’information, qui influent conséquemment sur la construction d’une vision collective des solutions possibles (Argote, McEvily et al. 2003; Ellis, Hollenbeck et al. 2003).

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Encadré 4. Définition de l’apprentissage d’équipe

Cette thèse capitalise sur le point de vue des sciences organisationnelles pour envisager l’apprentissage d’équipe comme une approche potentielle de développement professionnel reposant sur un processus interactionnel et interprétatif. À travers ce processus, l’équipe acquiert, interprète et utilise activement de l’information, des connaissances et des expériences de façon à générer une nouvelle compréhension d’un problème ou d’une situation, ainsi qu’un changement dans sa façon d’y répondre.