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Principes de gestion pour un État moderne

Dans le document ETAT ET GESTION PUBLIQUE (Page 178-182)

Dominique Bureau Conseil d’Analyse Économique

2. Principes de gestion pour un État moderne

1. Le gouvernement, ayant pris conscience de sa rationalité limitée, envi-sagera de diversifier les risques de décisions erronées (lorsque cela est possi-ble) en décentralisant les décisions.

2. Le gouvernement organisera le processus décisionnel en arbitrant entre les erreurs du 1er type (prendre une mauvaise décision) et les erreurs du 2e type (rejeter une bonne décision).

Principe 1

L’optimisation des projets d’infrastructures ne porte en général que sur quelques points particuliers car elle ne peut être effectuée véritablement sur l’ensemble des variantes imaginables. Dès lors, certains choix – tels que la préférence donnée aux infrastructures nouvelles par rapport à l’aménagement de l’existant, ou à la vitesse plutôt qu’au confort, ou le choix d’un parti pris technologique, entre métro ou RER par exemple, ou celui de phaser ou non certains projets, de privilégier la maintenance curative ou les opérations de gros entretien, ou le rôle dévolu à la tarification pour orienter l’utilisation des capacités – sont effectués a priori, avec les risques d’erreur que cela comporte.

Ceux-ci sont soulignés par Crémieux qui en fait un argument pour l’implica-tion d’investisseurs financiers, qui apportent la garantie d’expertises contra-dictoires sur tous les aspects des projets : on se trompera donc moins qu’en maîtrise d’ouvrage public où la seule étude initiale tend à rester la référence.

De même, Martinand souligne que la réforme ferroviaire visait à inflé-chir les choix d’investissements pour que les logiques de la demande, de la qualité de service et de l’efficacité prévalent sur les logiques techniques ou logiques d’offre.

La diversification des centres de décision, en décentralisant celle-ci, constitue une solution possible. Lorsque les projets sont cofinancés, l’atté-nuation des risques d’erreur ne sera cependant réelle que si la manière dont l’État intervient ne réintroduit pas des rigidités ou des biais dans les choix.

On s’est trouvé dans ce cas dans le passé à propos des choix entre tramways et métros. La règle qui progressivement a émergé s’inscrit dans cette pers-pective de neutralité puisqu’elle consiste à subventionner les projets de transports collectifs de manière à ce que le choix technologique entre les deux types de solutions ne soit pas affecté.

Principe 2

L’organisation du processus décisionnel pour arbitrer entre les deux ty-pes d’erreurs peut sembler une question plus abstraite. Elle renvoie en fait à des problèmes extrêmement concrets. Ainsi, il y a débat de manière ré-currente à propos de la règle suivant laquelle les collectivités qui deman-dent un projet non rentable à la SNCF doivent en supporter le déficit. Ce débat est souvent rendu difficile par le fait que les deux types d’erreurs doivent être pris en compte pour évaluer l’impact de cette règle : cas où celle-ci permet à l’entreprise d’« extorquer » une subvention exces-sive, mais aussi cas où les collectivités n’auraient pas été dissuadées de demander la réalisation de projets non rentables.

On peut illustrer les enjeux de ce type d’analyse des deux espèces de risque d’erreurs à partir de deux autres exemples :

• arbitrage entre révélation des équipements improductifs et bonne utilisa-tion de ceux-ci. Pour des équipements s’apparentant à un pur coût fixe, le financement par l’usager peut être un moyen de s’assurer que le surplus des

consommateurs est en rapport avec le coût engagé. La contrepartie qu’il faut assumer est que, si l’équipement est effectivement réalisé, il sera sous-utilisé, puisque la tarification idéale aurait été le coût marginal. Là aussi il y a donc un arbitrage de décision statistique à opérer entre les deux types d’erreurs ;

• irréversibilité associée à la réalisation des projets d’infrastructures de transport. Dans ce cas, l’arbitrage est entre satisfaire immédiatement la demande et attendre pour mieux la connaître, de manière à éviter de réali-ser un projet dont la demande demeurera insuffisante pour en assurer l’amor-tissement. À l’encontre de cette reconnaissance des valeurs d’option, qui peuvent être importantes pour des modes en déclin ou pour lesquels des solutions alternatives concurrentes risquent d’émerger, la tendance a été de précipiter le lancement des nouveaux TGV, sans attendre le retour d’expé-rience sur les conditions de concurrence avec l’aérien, malgré sa dérégulation.

Gouvernement bienveillant avec information décentralisée

Ce deuxième groupe de principes vise à se prémunir par rapport aux comportements stratégiques des acteurs auxquels est déléguée la mise en œuvre des politiques publiques, qui disposent en général d’informations privées.

3. Principes de gestion pour un État moderne

3. Si le gouvernement veut utiliser une information décentralisée, il doit se soucier de fournir des incitations adéquates pour obtenir des agents écono-miques une transmission véridique de cette information.

4. Si le gouvernement n’observe que des signaux bruités de l’effort de ses agents, il lui faut mettre en place des rémunérations en fonction des perfor-mances pour motiver ses agents à l’effort.

5. En présence d’information cachée (sélection adverse), un système inci-tatif optimal doit arbitrer entre efficacité et création de rentes informationnelles coûteuses en termes de fonds publics et d’inégalité distributive.

6. En présence d’action cachée (risque moral), un système incitatif opti-mal doit arbitrer entre partage du risque et efficacité de l’effort.

7. Pour optimiser les incitations, on identifiera les prestations attendues que l’on cherchera à mesurer du mieux possible et on veillera à ne pas les multiplier pour faciliter leur mesure et leur valorisation.

8. Le gouvernement a trois façons de lutter contre la capture des régulateurs :

• diminuer les enjeux de collusion ;

• renforcer les incitations des régulateurs en augmentant leur rémunéra-tion s’ils transmettent de l’informarémunéra-tion vérifiable défavorable à l’agent ;

• augmenter les coûts de transaction de la collusion

3. Autant que possible, le gouvernement doit organiser la concurrence dans ses propres services lorsque ce n’est pas un obstacle aux nécessaires coordinations.

Principe 3

Comment éviter que la mise en avant par les opérateurs de soit-disant avantages « indirects » divers, concernant par exemple l’emploi, l’aména-gement du territoire, ou la promotion des exportations, ne forcent la déci-sion d’entreprendre des projets dont la rentabilité socio-économique est en fait douteuse ? Comment se prémunir ensuite contre « l’apparition » de surcoûts ou la révision à la baisse des trafics lorsqu’il s’agit de calibrer les subventions ou compenser les pertes des opérateurs ?

Comme on l’a déjà indiqué, l’application rigoureuse de bonnes prati-ques d’évaluation ne suffit plus dès lors que l’information est en partie décentralisée. Il faut prendre en compte les incitations des acteurs concer-nés, en supprimant, en premier lieu, les dispositifs leur permettant de se comporter en passager clandestin. Il n’est pas surprenant, en matière rou-tière par exemple, que les collectivités locales manifestent une forte préfé-rence pour les parti pris autoroutiers par rapport aux aménagements de l’exis-tant, dès lors que le financement des premiers est perçu comme gratuit par celles-ci, et que la rareté des fonds budgétaires apparaît au contraire extrê-mement contraignante pour les seconds. Il en va de même avec les clés de financement utilisées en région Île-de-France, qui jusqu’à présent impli-quaient de manière très différente les collectivités au financement de l’in-vestissement, du matériel roulant, puis de son exploitation, la région étant fortement impliquée dans les projets d’extension du réseau, mais non au niveau de l’exploitation où interviennent, outre l’État, les départements.

Souvent, les problèmes incitatifs rencontrés à l’occasion de la sélection des projets révèlent des problèmes plus généraux de la politique des transports, qui doit clarifier les responsabilités des uns et des autres (« qui décide paye »), préciser les objectifs fixés aux opérateurs publics, et les contrôler par une gouvernance efficace. Sans cela, il faudrait un miracle pour que les décisions d’infrastructures, qui structurent cette politique, soient prises efficacement.

De manière plus spécifique, il faut éviter les divergences artificielles entre rentabilité sociale et rentabilité privée des projets. Privilégier le fi-nancement par l’usager, notamment lorsque celui-ci est économiquement justifié, y concourt. Le principe de la prise en charge, par les collectivités demandeuses, des externalités telles que le développement régional ou l’em-ploi local que celles-ci mettent en avant s’inscrivait dans cette perspective.

Le développement depuis une quinzaine d’années des mécanismes de cofinancement a cependant réduit la portée de cette approche, puisque l’on est passé de compensations incitatives à des clés de financement fixées a priori. Dans ces conditions, l’évaluation de leur rentabilité collective n’ap-paraît plus comme un élément déterminant du choix des projets, les tra-vaux du Commissariat Général du Plan (groupe Bonnafous) suggérant même qu’il est bien difficile d’apprécier les logiques allocatives ou distributives qui président à leur sélection. Ce constat valide sans aucun doute l’appro-che de Laffont quand il met en avant que l’économiste ne peut négliger les écarts à l’hypothèse du gouvernement bienveillant informé.

Dans le document ETAT ET GESTION PUBLIQUE (Page 178-182)