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Edmond Malinvaud

Dans le document ETAT ET GESTION PUBLIQUE (Page 161-165)

Professeur Honoraire au Collège de France

résultats grâce auxquels nous puissions évaluer les termes de ces arbi-trages. Le plus souvent, ces termes ne sont pas connus. Il y a, dans cette situation, le germe du risque que cet état d’ignorance serve de prétexte pour ne rien faire, ou pire, qu’il soit invoqué pour justifier l’absence totale de rigueur dans les décisions concernant le transfert au privé de certaines activités, la régulation du secteur privé ou la gestion du secteur public.

Je suis sensibilisé à ce risque, car j’ai crû constater que, depuis trente ans, le laxisme a parfois remplacé la rigueur qui avait été antérieurement introduite dans les choix d’investissements publics, cela grâce à la défini-tion et à l’applicadéfini-tion de calculs économiques. Certes, les justificadéfini-tions données de ces calculs n’étaient pas aussi robustes que leurs promoteurs le prétendaient. On l’a d’abord dit, et on l’a ensuite clamé, ce qui a discrédité le calcul économique. Dès lors, il a été loisible de démobiliser les équipes qui s’occupaient de cela dans les ministères et d’en revenir parfois sans vergogne aux pratiques laxistes d’antan.

C’est pourquoi j’ai peur que la littérature remarquable dont Jean-Jac-ques Laffont nous a présenté les lignes de force ne finisse un jour par être prise comme argument pour justifier n’importe quoi, même le moins avoua-ble. Il pourrait en être ainsi si la littérature en question en venait à être dite obscure pour le non-spécialiste et ne conduisant, dans la bouche du spécia-liste, qu’à des résultats non opératoires car trop peu déterminés. Nous de-vrons veiller à ce qu’une telle conséquence perverse ne se concrétise pas.

Jean-Jacques Laffont nous appelle à une révolution intellectuelle. Celle-ci est certes assez voisine de celle qui a affecté l’enseignement de l’écono-mie publique dans le monde académique, voisine elle-même du déplace-ment des objectifs de recherche des théoriciens de l’économie publique. Il y a cependant un écart entre la révolution intellectuelle à laquelle nous sommes conviés, pages 118, 133, 140, 144 et 145 du texte, et ce qui a motivé chez beaucoup le déplacement des objectifs de recherche, donc tous les travaux dont Jean-Jacques Laffont a fait une remarquable synthèse.

Jean-Jacques Laffont nous adjure de tenir compte des changements de la société moderne, de regarder la France telle qu’elle est et non à travers l’image que nous souhaiterions en avoir, de convenir que la bienveillance se rétracte de notre secteur public. Je crains malheureusement qu’il n’ait en grande partie raison. Mais, à ce sujet, je voudrais faire trois remarques :

• ce constat ou ce diagnostic n’est pas un résultat direct des travaux théoriques dont il a fait part ;

• ce constat peut aussi pousser certains d’entre nous à vouloir mener un combat contre la dérive préoccupante des normes éthiques, conjointement avec le combat contre la sclérose d’une partie de notre secteur public ;

• toutefois, ce que les travaux théoriques nous aident à mieux compren-dre, c’est pourquoi des normes éthiques durablement tenables ne peuvent plus être aujourd’hui ce qu’elles nous paraissaient devoir être hier, quand les occasions de leur préférer l’intérêt personnel étaient moins fréquentes.

La complexification croissante des sociétés et des démocraties modernes, jointe à la mondialisation, doivent nous conduire à repenser ces normes éthiques, mais aussi à y valoriser avec acharnement la bienveillance.

Supposons en effet que nous interprétions abusivement la révolution intellectuelle à laquelle Jean-Jacques Laffont nous convie comme consis-tant en la reconnaissance de ce que le monde moderne serait fait d’indivi-dus cyniques exerçant à leur avantage les fonctions professionnelles qui leur sont attribuées (Jean-Jacques Laffont nous demande seulement de re-connaître la possible présence d’une proportion, même faible, de tels indi-vidus). Supposons que les professeurs des universités basent intégralement leur enseignement sur la reconnaissance de ce cynisme. Supposons que les professeurs du secondaire transmettent à leurs élèves cette idée. Eh bien ! Compte tenu d’autres caractéristiques du monde moderne, il y aurait de sérieuses chances que l’idée en question devienne réalité.

Sachons donc regarder avec lucidité les problèmes auxquels nous som-mes confrontés et qui impliquent évidemment de nombreux changements dans les directions suggérées par Jean-Jacques Laffont. Mais « ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ».

Le rapport de Jean-Jacques Laffont traite du dysfonctionnement de l’État lié à la recherche par l’agent public de son intérêt personnel. Ce dysfonc-tionnement est double : l’un, politique, tient au marché conclu entre élus et citoyens (et dont il y a peu de chances qu’il débouche sur l’optimum so-cial), l’autre, administratif, tient au comportement des agents de l’État qui mettent à profit les asymétries d’information pour maximiser leur intérêt personnel. Ses réponses, très synthétiques, réunissent les deux piliers de la modernisation de la théorie économique : d’une part, les apports de la nou-velle économie politique, tant positive que normative, de l’autre, la théorie des incitations. Pour gérer les rentes d’information, et les faire se révéler, il propose, soit le recours au marché (privatisation), soit le recours à des ins-truments qui imitent le marché.

La question de l’information est effectivement centrale, mais il faut néan-moins se demander si des processus de négociation répétée ne donnent pas, comme l’enseigne la théorie des jeux, des résultats plus bénéfiques (pour la révélation de l’information) que le soupçon généralisé auquel semble invi-ter Jean-Jacques Laffont.

Il faut aussi se demander si la notion d’efficacité des services publics est toujours la même, ou si les attentes des citoyens en ce domaine n’ont pas fortement évolué au point que l’on pourrait parler d’un État « post moderne ».

Session 5

Commentaire

Laurence Tubiana

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