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Principe de gestion pour un État moderne

Dans le document ETAT ET GESTION PUBLIQUE (Page 188-193)

Dominique Bureau Conseil d’Analyse Économique

6. Principe de gestion pour un État moderne

18. La privatisation d’activités peut se justifier par les obstacles qu’elle met à la poursuite d’agendas privés par des Gouvernements non bienveillants.

19. La séparation des pouvoirs peut être un moyen de lutte contre la cap-ture des décideurs par les groupes d’intérêt.

20. La limitation de l’engagement, ou la délégation, peuvent limiter les coûts d’éviter la capture ou les méfaits de la capture des hommes politiques par des groupes d’intérêt.

21. La limitation constitutionnelle du pouvoir du Gouvernement doit arbi-trer entre efficacité ex post et fluctuations excessives des politiques.

Principe 18

Le projet de canal Rhin-Rhône était l’archétype de « l’éléphant blanc », coûteux, dont les perspectives de trafic étaient inexistantes, les ef-fets d’entraînement économique impossibles à imaginer rationnellement, et dont les atteintes à l’environnement étaient en revanche manifestes. Ce-lui-ci a été stoppé sur le fil mais ce n’est pas toujours le cas. Ce type de projet dont les coûts sont sans rapport avec les trafics prévisibles, et dont on est bien en peine d’identifier les avantages indirects, occupe en effet une place non négligeable dans les travaux d’études et de programmation des infrastructures. Cet état de fait ne peut s’expliquer seulement par les asy-métries d’information avec les acteurs auxquels est en partie déléguée la mise en œuvre de la politique des transports, et par les contraintes contrac-tuelles régissant les rapports avec ceux-ci. La bénévolence des hommes politiques semble ici en cause, dont les agendas privés se manifestent aussi au niveau des choix de tracé, par exemple.

Le recours au financement privé peut constituer une protection contre ce genre de dérive. Certaines expériences malheureuses récentes (à Lyon notamment) ne doivent pas faire condamner trop vite ce type d’approche, mais plutôt pousser à rechercher les conditions de leur bonne utilisation. La perception d’échec que l’on peut en avoir souvent est par ailleurs biaisée car, dans le cas d’un financement privé, les erreurs ou impasses sur les caractéristiques financières se paient immédiatement et de manière très visible par la nécessité de trouver un refinancement, alors que les mêmes erreurs pour un projet public conduisent essentiellement à des remon-trances des autorités de contrôle.

Principe 19

La capture des décideurs par les groupes d’intérêt est par ailleurs d’autant plus facile que l’organisation de l’État s’y prête. Les phénomènes de cap-ture seront ainsi d’autant plus faciles qu’il y a confusion entre les rôles d’acheteur et d’offreur. Le principe de leur séparation tend à s’imposer vis-à-vis des opérateurs. En revanche, le fait que la séparation entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre relève de la même ligne de partage est sou-vent moins bien perçu, alors même que les difficultés rencontrées pour organiser le débat public sur les projets d’infrastructures semblent résulter pour une part de l’insuffisante séparation des deux tâches, et du manque de formalisation du rôle de maître d’ouvrage, qui doit définir avec soin ses besoins « d’acheteur ».

La régionalisation peut aussi être un moyen d’ouvrir les alternatives entre solutions techniques, alors que le cloisonnement de la tutelle centrale tend au contraire à les restreindre a priori.

Principe 20

En pratique, il est extrêmement difficile de revenir en arrière dès lors que le principe de réalisation d’un projet a été annoncé. Parfois, les pres-sions environnementales font renoncer. Sinon, on finit en général par le financer, même s’il s’agit d’un « éléphant blanc ». L’argument suivant le-quel il est encore temps de stopper un projet dont les avantages attendus sont inférieurs aux coûts restant à engager passe mal. Il apparaît à beau-coup comme une curiosité du raisonnement économique. En conséquence, il est extrêmement facile d’engager la politique des transports pour beau-coup plus que son mandat. La recherche systématique des possibilités de phasage des projets (en tranches fonctionnelles, évidemment) serait un moyen d’éviter ce biais.

Principe 21

Plus fondamentalement, il faut trouver les moyens d’accroître, notam-ment en amont, le rôle des avocats du contribuable, puisque c’est au fond celui-ci qui risque d’être l’oublié de la procédure. Là encore, la définition de programmations financières pluriannuelles peut être utile, si elle permet de faire ressentir l’éviction des projets programmés qui sera induite par la réalisation d’un nouveau projet. Surtout, il faudrait que les financements budgétaires associés à ce nouveau projet soient budgétés tôt, pour qu’ils coûtent à celui qui annonce le projet, et non à ses successeurs qui le subissent.

Pour les projets qui sont réalisés après mise en concurrence des conces-sionnaires possibles, on peut néanmoins admettre que c’est au moment de l’établissement de cette concession que se décide véritablement la réalisa-tion du projet. En revanche, pour les projets où un opérateur public dispose d’un droit exclusif, une règle qui poserait qu’il faut établir les conditions de financement dès la DUP et provisionner dès ce moment les financements budgétaires (quitte à les reprendre si le projet est abandonné) serait

proba-blement préférable à la situation actuelle où faire rêver l’opinion publique avec de beaux projets ne coûte rien, et où la détermination des subventions à verser à l’opérateur public ne peut ensuite être objectivée.

Conclusion

Ce survol de la politique d’infrastructures de transport suggère tout d’abord que des possibilités d’amélioration sont possibles, dans le prolon-gement des travaux en cours sur le calcul économique utilisé dans l’admi-nistration. À cet égard, une lacune importante concerne la prise en compte du risque associé à ce type de projets, qui explique probablement en partie le paradoxe actuel, selon lequel on saurait évaluer parfaitement l’intérêt socio-économique d’un projet sans cerner simultanément sa rentabilité fi-nancière.

L’évaluation de la rentabilité financière des projets d’infrastructures de transport ne soulève pas en effet de difficulté méthodologique spécifique par rapport à celle de leur rentabilité sociale, dont elle n’est d’ailleurs qu’une composante. Que la fragilité de ces estimations soit révélée quand on uti-lise ces calculs pour déterminer la subvention versée aux opérateurs s’ex-plique par le conflit d’intérêt pour le partage du surplus du projet qui se matérialise alors. Cependant, cette fragilité met en cause l’ensemble de l’évaluation. Dès lors, l’insatisfaction exprimée vis-à-vis des estimations financières conduit à s’interroger sur l’ensemble de la procédure de sélec-tion et de mise en œuvre des projets d’infrastructures.

Y remédier nécessite de mieux évaluer dès le départ les facteurs déter-minants de la rentabilité financière des projets (trafics, coûts, y compris d’exploitation). L’évaluation des aléas susceptibles d’en affecter la renta-bilité devrait en particulier faire l’objet d’un examen systématique, justi-fiant notamment les primes de risque retenues.

De telles améliorations du calcul économique utilisé dans l’administra-tion ne peuvent cependant véritablement porter leurs fruits que si nos procé-dures ne sont pas trop sensibles aux groupes d’intérêt, et qu’elles ne privi-légient pas dans ce secteur les mécanismes peu incitatifs, soit directement, soit par manque de capacité d’engagement. Ceci suggère une orientation générale en faveur de la clarification des rôles des différents acteurs, associée à leur responsabilisation au coût de leurs demandes ou de leurs annonces de nouveaux projets.

Sa mise en œuvre nécessite d’accepter de laisser les rentes nécessaires, pour rendre acceptable les décentralisations ou transferts de compétences.

Dans ce cadre, le rôle pris par les mécanismes de cofinancement devrait être réexaminé : si ceux-ci permettent en effet aux uns de pallier les incer-titudes du budget de l’État, et à celui-ci de limiter ses engagements finan-ciers, leur développement va maintenant (sans doute) à l’encontre de la fourniture d’incitations adéquates. La tutelle de l’État est par ailleurs pro-bablement trop dispersée.

Outre l’affirmation du rôle de l’usager dans le financement, le recours à la concurrence est un moyen d’alléger ces contraintes incitatives et informationnelles. Les expériences étrangères méritent donc l’attention, même si l’élargissement des ressources financières apporté par le finance-ment privé n’est pas considérable. Au-delà, l’amélioration de l’efficacité des procédures de sélection des projets dépend des progrès réalisés en matière de programmation budgétaire et de gouvernance des opérateurs publics.

Ce faisant, on reconnaît la pertinence de l’approche proposée par Laffont, puisque toutes ces difficultés traduisent l’acuité des problèmes d’informa-tion et d’incitad’informa-tions auxquels est confrontée la politique des transports, dont la solution est d’abord organisationnelle et institutionnelle. Certes, les vingt et un principes qu’il propose demeurent relativement abstraits. Il est cepen-dant significatif que les différentes étapes de sa démarche et tous ces prin-cipes apparaissent pertinents, et que l’utilisation systématique de sa grille d’analyse conduise à mettre au premier plan des problèmes importants, conditions d’engagement des projets et interrogation sur l’efficacité de la généralisation des cofinancements, notamment.

Ouvrant cette table ronde, Pierre Joxe fait remarquer à Jean-Jacques Laffont qu’une donnée fondamentale de la vie politique semble lui échap-per : parmi les gratifications de l’homme politique, il y a la profonde satis-faction narcissique qu’il retire de la reconnaissance populaire, traduite en succès électoral (et d’autant plus forte qu’il risque la blessure narcissique de l’échec).

Le début du colloque a été marqué par un exposé historique rappelant que les années soixante avaient été celles de la RCB (rationalisation des choix budgétaires), les années soixante-dix celles de l’évaluation, les an-nées quatre-vingt celles d’une école « managériale » (qui inspirait les reaganomics), animée par la recherche de l’efficacité, suivie d’une école

« procédurale », qui recherchait plutôt l’« effectivité » et la transparence.

Dans le document ETAT ET GESTION PUBLIQUE (Page 188-193)