• Aucun résultat trouvé

Principe n°1 : codifier

Dans le document Le travail réel des auditeurs légaux (Page 68-70)

Section 1. L’audit transparent qui rend transparent : une optique taylorienne

1. La codification et le contrôle de la comptabilité et de l’audit légal :

1.1. Principe n°1 : codifier

Selon le premier principe de Taylor, les connaissances traditionnelles développées au fil du temps par les opérateurs doivent être rassemblées, enregistrées, classées, et réduites en règles et lois. Il revient à des départements créés à cet effet de s’y employer, et de suivre pour cela une démarche scientifique.

En comptabilité, les principes et les normes comptables sont le fruit de dispositifs institutionnels agissant comme pourrait le faire un bureau des méthodes. Ces dispositifs codifient et rationnalisent les pratiques existantes sur la base de théories, jadis classificatoires et désormais normatives. Au sein des organisations, les procédures comptables sont élaborées par des centres administratifs chargés du contrôle interne, sur la base des meilleures habitudes observées en la matière. Dans le domaine du commissariat aux comptes, comme nous l’avons vu, l’activité des auditeurs est codifiée par l’Etat, les instituts professionnels et les grands cabinets, qui s’appuient pour cela sur de multiples travaux de recherche.

Taylor vise, entre autres, à réduire au maximum la marge de manœuvre des opérateurs dont il se méfie ; discrétion et transparence sont pour lui antinomiques. Les procédures élaborées doivent être pour cela très détaillées, et leur application rendue obligatoire. Celle-ci est en effet supposée conduire automatiquement à l’atteinte la plus efficiente du résultat souhaité. Les méthodes prescrites, si possible exprimées sous forme mathématique, précisent tout du travail qu’il est nécessaire et suffisant d’effectuer ; nul

besoin de les compléter ni d’en commenter la mise en œuvre : ce dont elles ne disent mot relève au mieux de l’accessoire.

Afin de restreindre la marge de manœuvre des dirigeants en matière de reddition de comptes, les normes comptables sont à la fois nombreuses et détaillées, ou, lorsque tel n’est pas encore le cas, ont du moins vocation à le devenir. Les principes de régularité et de sincérité font de leur correcte application un impératif, car celle-ci est supposée garantir l’atteinte de l’objectif d’image fidèle. Les normes commandent l’opération de calculs mathématiques plus ou moins complexes.35 Commenter leur mise en œuvre et compléter les informations qu’elles permettent de produire est dans une certaine mesure qualifié d’accessoire ; le document qui permet de le faire reçoit en effet le nom d’annexe, ou de footnotes en anglais (notes de bas de page). Au sein des organisations, la correcte application des procédures comptables, souvent très précises et toujours obligatoires, est supposée garantir le respect des normes comptables.

Dans le domaine de l’audit légal, les règles et normes sont de plus en plus contraignantes. Comme le précise le code de déontologie des commissaires aux comptes, leur application revêt un caractère impératif parce qu’elle elle est censée minimiser le risque d’émettre une opinion erronée. La méthodologie de travail – qui repose sur l’équation de l’auditeur (RA = RI x RC x RND), la conduite de sondages statistiques, et plus largement sur l’opération de toute une série de calculs – prend une forme très mathématique. Toujours plus structurée, elle est supposée tout dire des tâches qu’il est nécessaire et suffisant d’effectuer.

Dans la logique taylorienne, donc, bien travailler, c’est appliquer la procédure prescrite à la lettre, sans chercher à en trahir l’esprit. Dans cette perspective, éthique et compétence riment toutes deux avec obéissance aux règles – une obéissance sincère et librement consentie. S’affranchir de la norme, faire preuve de créativité, est un signe d’impéritie ou d’immoralité. La rigueur, la précision, la rapidité et la régularité, sont au contraire valorisées. La machine possède donc toutes les qualités, et doit, si possible, se substituer aux travailleurs humains, plus faillibles et moins dignes de confiance.

35

La mise en œuvre de normes IAS/IFRS réclame par exemple de savoir déterminer un taux de rendement interne, de savoir calculer une valeur actuelle nette, etc.

En comptabilité, les principes de régularité et de sincérité, qui commandent l’application de bonne foi des normes en vigueur, sont de manière significative qualifiés de principes éthiques. Leur respect définit la compétence. Dans l’expression comptabilité

créative, la créativité est synonyme de volonté de tromper, et comme le remarque

Stolowy (1994, 2000), la pratique comptable est souvent qualifiée d’art lorsqu’il s’agit d’en montrer le caractère immoral.36

Nous avons vu l’importance prise par la mécanisation puis par l’informatisation au sein des services comptables. En comparaison de la machine, l’homme est jugé si peu fiable que les comptes falsifiés lui sont souvent comparés ; comme le souligne à nouveau Stolowy (1994, 2000), à qui nous empruntons les références qui suivent, on les dit par exemple « habillés » (Le window-dressing ou

l’habillage des bilans, Audas, 1993), « toilettés » (Elf toilette ses comptes avant la privatisation, Polo, 1994), « maquillés » (rimmel d’amortissements, fard de provisions,

Adege, 1994), ou encore « dopés » (10 techniques pour doper les résultats, Feitz, 1994).

En audit, l’éthique se confond avec la déontologie, donc avec l’obéissance à des règles prédéfinies. De même, la compétence consiste à respecter les normes imposées (comme nous l’avons vu, les recherches centrées sur les comportements dits de réduction de la qualité de l’audit assimilent ces derniers à une mauvaise exécution des procédures prescrites). A la créativité, on préfère la rigueur, la précision, la régularité, que symbolise par exemple le port du costume ou du tailleur de couleur foncée. Là où le jugement des auditeurs s’exerçait autrefois de manière autonome, diverses technologies sont développées pour le guider et le remplacer : la recherche académique « orthodoxe » consacre la majeure partie de ces efforts à l’atteinte de cet objectif-là.

Dans le document Le travail réel des auditeurs légaux (Page 68-70)