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L’audit légal, une pratique voulue transparente

Dans le document Le travail réel des auditeurs légaux (Page 47-50)

L’audit légal, une pratique voulue transparente

Si pour contrôler les dirigeants d’entreprises, les parties prenantes des organisations s’en remettent aux auditeurs légaux, elles entretiennent aussi avec eux, comme avec les patrons, une relation d’agence qui n’est pas sans poser problème. Les auditeurs opèrent en effet – dans une large mesure au moins – sans être vus, formulent une opinion dont la qualité est inobservable par les tiers, et possèdent bien sûr des intérêts particuliers différents de ceux de leurs mandants. Peut-on, dès lors, leur faire confiance ? Qu’en est-il dans les faits ? Si les professionnels de l’audit légal ne bénéficiaient pas de facto de la confiance du public, cette pratique n’aurait pu s’imposer, tel qu’elle l’a fait, comme l’un des principaux mécanismes de la gouvernance d’entreprise. Pourtant, bien que le commissariat aux comptes jouisse d’une légitimité relativement forte, on assiste aussi à une profonde remise en cause du travail des auditeurs légaux, compromis dans le cadre de maintes affaires médiatisées. Pour souligner ce paradoxe, Power écrit par exemple : “This

is the great puzzle of financial auditing practice ; it has never been a more powerful and influential model of administrative control than now, at a time when many commentator talk of an auditing crisis” (1999, p.9). Cette crise est aujourd’hui particulièrement aigüe.

D’un point de vue historique cependant, elle ne constitue pas un phénomène nouveau. Comme le souligne Power (1999, p.26), l’histoire de l’audit légal est faite d’échecs successifs, et de critiques formulées à l’encontre de la profession. Depuis de nombreuses décennies, les auditeurs inspirent ainsi régulièrement la méfiance, notamment lorsque survient un scandale financier (1.) ; à chaque fois que cela se produit, on réclame que leur activité soit rendue plus transparente (2.).

1.Quand les auditeurs légaux en viennent à inspirer la méfiance

Lorsqu’une série de faillites retentissantes fait trembler les marchés financiers et semble indiquer que l’objectif d’image fidèle de la comptabilité n’est pas atteint dans les faits, les acteurs économiques, fébriles, tendent d’abord à s’accuser mutuellement du problème qui les heurte. Normalisateurs, auditeurs, managers, membres de comités d’audit, banquiers, analystes financiers, etc., commencent ainsi généralement par se blâmer les uns les autres.

Avec le temps, la méfiance en vient toutefois régulièrement à se polariser sur les auditeurs légaux. Lorsque tel est le cas, la responsabilité des autres protagonistes reste certes questionnée, mais le problème d’ensemble se trouve redéfini comme un problème d’audit. Si, par exemple, les dirigeants d’une entreprise en faillite sont suspectés d’avoir publié des états financiers trompeurs, ils sont certes critiqués, mais l’on finit par se demander pourquoi les auditeurs en charge du dossier n’ont pas détecté et/ou révélé leurs agissements, et l’ensemble de la profession de commissaire aux comptes en vient à être stigmatisé. Ainsi Power écrit-il :

[…] when things go wrong, someone has to take the blame. As informal methods of regulation have given way to increasing formalisation, auditing has been periodically drawn into the blame allocation process. Legal judgements are the most important part of that process but there are many others, not least of which is critical press comment. (Power, 1994, p.22) When companies collapse, for whatever reason, and have previously received a “clean” opinion from the auditors, public reaction focuses first on those auditors and the possibility of their failure. (Power, 1999, pp.25-26)

Bien sûr, cette polarisation de la méfiance sur les auditeurs légaux n’est pas systématique. Elle s’observe néanmoins de manière régulière depuis de nombreuses décennies. Ainsi le président de l’ICAEW (Institute of Chartered Accountants of England and Wales), le premier chef comptable (Chief Accountant) de la SEC (Securities and Exchange Commission) et le vice président exécutif de l’AICPA (American Institute of Certified Public Accountants) affirmaient-ils respectivement en 1885, 1940 et 1973 :

[…] in cases where […] frauds have been discovered, an immediate outcry is raised for the dismissal of the auditor. Without any careful investigation or enquiry into the facts, his utter ruin is decreed, and the whole profession is attacked and menaced. Audits performed by us are described as useless, wasteful and dangerous; as deceitful and fraudulent pretences; and as traps laid to catch fees and deceive confiding clients and the public. (Griffiths, 1885, p.27)

If there occurs any event which tends to shake the public confidence, and if it gains sufficient attention, sooner or later the Government is likely to turn its attention to the problem. Such an unfortunate event occurred during the past year which has resulted in some critical comment regarding auditing procedures. Financial writers, congressmen, reformers, and others, some informed, and some uninformed, […] have been free with their suggestions and with their criticisms of the public accountants. (Blough, 1940, p.40)

As long as investors suffer losses from a sudden and drastic drop in earning or the bankruptcy of a corporation which was widely regarded as a good investment, our [auditing] profession is going to be criticized in the news media. (Olson, 1973)

Autrement dit, en temps de crise financière, les auditeurs sont souvent suspectés de ne pas mériter la confiance qu’on leur accorde. On ne voit plus en eux que de sombres descendants de Gygès, qui, pouvant opérer à l’abri des regards sans que la qualité de leur travail puisse être évaluée, profitent de cette situation pour assouvir leurs intérêts personnels au détriment de l’intérêt général. On exige alors que leur activité soit elle- même rendue plus transparente.

2.La codification et le contrôle de l’audit, pour plus de transparence

Comment rendre transparente l’activité des auditeurs légaux ? Comme nous l’avons vu, la transparence du travail de reddition de comptes est aujourd’hui supposée garantie par deux mécanismes clés : l’identification de normes à respecter d’une part, et le contrôle de la correcte application de ces normes d’autre part. Pour rendre la pratique de ce contrôle- là, c’est-à-dire de l’audit légal, elle-même tout à fait transparente, une solution identique est employée. Les règles, normes, méthodes et autres techniques à suivre pour réaliser un audit de qualité sont précisément codifiées, auditer de manière transparente consiste à s’y conformer, et une telle conformité fait l’objet d’un contrôle strict. Selon De Angelo (1981, p.146), la qualité d’un audit peut se définir comme la probabilité conjointe qu’un auditeur découvre une infraction dans le système comptable de son client, et qu’il rende compte de cette dernière, le cas échéant. Comme le soulignent Richard et Reix (2002, p.154), la première de ces deux conditions dépend de la compétence des auditeurs ; la seconde renvoie à l’indépendance de ces professionnels. La codification et le contrôle de l’audit légal se concentrent donc sur chacune de ces deux composantes. Trois types d’acteurs s’y livrent : l’Etat, les instituts professionnels, et les grands cabinets d’audit.27 La plupart des chercheurs académiques qui prennent l’audit légal pour objet d’étude les secondent dans leurs efforts.

27

Nous avons synthétisé en ANNEXE A de la présente thèse ce qui existe en la matière dans notre pays. Nos lecteurs pourront ainsi s’y reporter s’ils le désirent.

Dans le document Le travail réel des auditeurs légaux (Page 47-50)