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La normalisation : de la transparence du chemin menant à l’image fidèle

Dans le document Le travail réel des auditeurs légaux (Page 35-41)

Section 1. La normalisation comptable et l’audit légal, au service de la transparence

2. La transparence, par la normalisation comptable et l’audit légal

2.1. La normalisation : de la transparence du chemin menant à l’image fidèle

De multiples principes et normes comptables encadrent aujourd’hui la production des états financiers. La normalisation de la comptabilité est le produit de divers dispositifs institutionnels (2.1.1.) dont les productions s’appuient sur certaines théories scientifiques (2.1.2.). Les normes comptables qu’ils élaborent ont vocation à être de plus en plus nombreuses et détaillées (2.1.3.). Appliquées de bonne foi, elles sont censées permettre de produire une image fidèle de la réalité économique des entreprises (2.1.4.).

2.1.1.Les dispositifs institutionnels de normalisation

Les systèmes de normalisation comptable varient d’un pays à l’autre. En France, comme le souligne Colasse (1997a, p.2719), la codification de l’activité comptable remonte à une ordonnance de Colbert promulguée en 1673, appelée Code Savary. La réglementation et

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la normalisation de la comptabilité ne prennent cependant toute leur ampleur dans notre pays qu’à partir de 1947, année de publication de la première édition du Plan Comptable Général (PCG). En 1957, 1982 et 1999, ce document – aujourd’hui élaboré par le CNC (Conseil National de la Comptabilité) – est révisé.10,11 En 1983, afin de donner suite à une directive européenne sur la structure et le contenu des comptes annuels, le Parlement français vote une loi qualifiée de « loi comptable ». Cette loi est rapidement suivie d’autres textes législatifs, décrets, et arrêtés. Un véritable droit de la comptabilité prend ainsi forme et se développe. Depuis le 1er janvier 2005, suite à un règlement de la Commission européenne, les sociétés françaises faisant appel public à l’épargne doivent présenter leurs comptes consolidés selon les normes IAS/IFRS (International Accounting

Standards/International Financial Reporting Standards) produites par l’IASB

(International Accounting Standards Board) ; les sociétés non cotées peuvent faire de même si elles le désirent ; les comptes individuels, en revanche, continuent d’être régis par le PCG ; celui-ci ne cesse néanmoins de s’aligner sur les normes internationales.12

2.1.2.Les fondements théoriques de la normalisation comptable

Pour normaliser la comptabilité, les dispositifs institutionnels se sont appuyés, dans un premier temps, sur un ensemble de théories qualifiées de classificatoires (2.1.2.1.), avant d’opter, dans un second temps, pour des approches dites normatives (2.1.2.2.).

2.1.2.1.Les théories comptables classificatoires

Fondées sur une démarche inductive, les théories classificatoires visent à dévoiler, à expliciter et à classifier les principes au fondement de la pratique comptable. Développées aux États-Unis de la fin des années 1930 au début des années 1970, elles influencent à

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L’édition de 1982 est également complétée et mise à jour en 1986. 11

Le PCG de 1947 était le fruit du travail de la Commission de normalisation des comptabilités, et celui de 1957, le produit du Conseil supérieur de la comptabilité. Le premier PCG élaboré par le CNC est celui de 1982. Depuis la loi du 06/04/1998 qui fonde le CRC (Comité de la réglementation Comptable), les normes du CNC reçoivent leur force réglementaire de ce nouvel organisme.

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Comme le souligne Colasse (2005b, p.7) : « Cet alignement a pris la forme de trois règlements du CRC

introduisant dans le PCG des définitions et des procédures directement issues du cadre conceptuel (1989) et des normes de l’IASC/IASB ».

l’époque la définition des US-GAAP (Generally Accepted Accounting Principles).13 La première du genre est celle de Paton (1936), commandée par l’AAA (American Accounting Association), et intitulée A tentative statement of accounting principles

underlying corporate financial statements (« Une tentative d’établissement des principes comptables sous-tendant l’élaboration des états financiers d’entreprises »).14 On pourrait également citer le travail de Moonitz (1961), réalisé à la demande de l’AICPA (Accounting Institute of Certified Public Accountants), et titré The basic postulates of

accounting (« Les postulats fondamentaux de la comptabilité »).15,16

En France, le premier ouvrage dédié aux principes comptables paraît en 1981 à l’initiative de l’OECCA (Ordre des Experts-Comptables et Comptables Agréés). D’autres classifications sont ensuite développées, dont celle de Lassègue, particulièrement détaillée (1996).17 Colasse (1997a) en propose également une, que nous exposons ici pour son caractère synthétique. Selon lui (1999, pp.2721-2722), si l’on considère la comptabilité comme un instrument de modélisation de l’entreprise, on peut classer les principes comptables en deux catégories, et distinguer ainsi des principes d’observation et des principes de mesure. Les premiers, comme leur nom l’indique, ont pour objet de définir le

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Normes comptables états-uniennes. 14

L’étude de Paton identifie six principes fondamentaux : (1) le principe de l’entité ; (2) le principe de continuité ; (3) le principe du bilan comme expression du patrimoine de l’entreprise ; (4) le principe monétariste ; (5) le principe des coûts historiques ; (6) le principe de l’identification des produits.

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L’AICPA est aux Etats-Unis l’équivalent de l’Ordre des experts-comptables français. 16

Comme l’indique Colasse (2000, p.1235) : « Dans cette étude, Moonitz identifie quatorze postulats

fondamentaux qu’il classe en trois catégories : des postulats relatifs à l’environnement des entreprises (une économie fondée sur des échanges monétaires entre des agents autonomes dotés d’un patrimoine propre) ; des postulats définissant l’objet et le domaine de la comptabilité (la production périodique d’états financiers établis par référence au marché) ; des postulats exprimant des hypothèses ou des contraintes opératoires (continuité d’exploitation, objectivité, permanence des méthodes, stabilité de la monnaie, bonne information) ».

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Comme le souligne Colasse (2000, p.1236) : « dans la onzième édition de l’ouvrage [de Lassègue] (1996,

p.252-254), cette classification ne comporte pas moins de cinquante-trois principes répartis en deux catégories, selon qu’ils concernent la forme (vingt et un principes) ou le fond (trente-deux principes) de la comptabilité ».

champ d’observation du comptable. Trois principes relèvent de cette catégorie-là : le principe de l’entité, le principe du découpage du temps, et le principe de continuité. Selon le principe de l’entité, il convient de bien circonscrire les frontières patrimoniales de l’organisation dont on veut arrêter les comptes. Selon le principe du découpage du temps, on établit les états financiers à périodes fixes, traditionnellement tous les ans. Selon le principe de continuité, on doit, pour évaluer le patrimoine de la firme, faire l’hypothèse que celle-ci poursuivra ses activités dans un avenir prévisible (si cette hypothèse n’est pas réaliste, il convient alors de recourir aux valeurs de liquidation). La mesure des composantes de l’entreprise obéit, de même, à trois principes : le principe monétariste, le principe du coût historique, et le principe de prudence.18 Selon le principe monétariste, il faut user de la monnaie pour quantifier les éléments à comptabiliser. Selon le principe du coût historique, ces éléments doivent être valorisés à leur coût d’acquisition ou de revient constaté au moment de leur entrée dans le patrimoine. Si la valeur vénale de ces biens (leur prix de revente) est inférieure à leur coût historique lorsqu’on arrête les comptes, c’est toutefois cette valeur-là qui doit être retenue, selon le principe de prudence.

Les théories classificatoires présentent cependant certaines limites. Ainsi, les listes de principes et les critères de classement qu’elles retiennent varient d’un auteur à l’autre, et l’ensemble qu’elles forment manque donc de cohérence. Même au sein d’une théorie donnée, il existe souvent des contradictions entre les principes énoncés. A partir des années 1950, certains chercheurs y voient le signe de l’éclatement et de l’irrationalité des pratiques comptables existantes ; ils concluent à l’inadéquation de la méthode inductive sur laquelle reposent les approches classificatoires, et développent en réaction des théories concurrentes, qualifiées de normatives. Un chercheur australien, Chambers, ouvre la voie.

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Le principe consistant à comptabiliser les actifs et passifs des organisations à leur juste valeur, dont on parle beaucoup depuis un certain temps, conduira cependant à l’abandon du principe de coût historique et du principe de prudence.

2.1.2.2.Les théories comptables normatives

En 1955, dans un article intitulé “Blueprint for a theory of accounting” (« Projet pour une

théorie de la comptabilité »), Chambers définit les fondements d’une nouvelle approche.

Selon lui, une théorie comptable doit se déduire d’un certain nombre d’hypothèses posées

a priori, relatives à l’entreprise, à ses objectifs et à son environnement, et se voir imposée

aux praticiens comme norme à suivre dans un contexte qui correspond à ces hypothèses- là. A la fin des années 1950 et au cours de la décennie suivante, de multiples théories de ce type voient le jour, et retiennent l’attention du normalisateur états-unien. Le FASB (Financial Accounting Standards Board) choisit ainsi d’adopter une démarche déductive, et se dote pour cela d’un cadre conceptuel. En 1989, l’IASC (International Accounting Standards Committee),19

producteur des normes internationales, fait de même. Selon le FASB, un cadre conceptuel est un « système cohérent d’objectifs et de principes

fondamentaux liés entre eux, susceptible de conduire à des normes solides et d’indiquer la nature, le rôle et les limites de la comptabilité financière et des états financiers »

(FASB, 1976). Comme le souligne Colasse (1997a, p.2725) :

Ainsi défini, un cadre conceptuel est conçu comme un guide théorique pour l’élaboration des normes comptables et, à travers celles-ci, la définition des pratiques. Dans la mesure où les principes comptables sont spécifiés et articulés en fonction d’objectifs assignés a priori à la comptabilité et aux états financiers, il devrait y avoir moins de contradictions entre eux.

Les cadres conceptuels du FASB et de l’IASC/IASB postulent « un environnement

au sein duquel les marchés financiers jouent un rôle majeur en matière de financement des entreprises et où les investisseurs (actionnaires et créanciers) sont les principaux destinataires de l’information comptable qu’elles produisent » (Colasse, 2000, p.1237).

Dans un cas comme dans l’autre, la justification est la même : « Comme les investisseurs

sont les apporteurs de capitaux à risque de l’entreprise, la fourniture d’états financiers qui répondent à leurs besoins répondra également à la plupart des besoins des autres utilisateurs susceptibles d’être satisfaits par des états financiers » (cadre conceptuel de

l’IASC/IASB, 1989, §10, cité par Colasse, 2005b, pp.7-8).

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2.1.3.Des normes comptables de plus en plus nombreuses et détaillées

Comme nous l’avons vu, la normalisation de la comptabilité procède de la méfiance qu’inspirent les dirigeants d’entreprises. Sa fonction est de réduire autant que faire se peut leur marge de manœuvre en matière de reddition de comptes. Les normes comptables ont pour cela vocation à devenir, au fil du temps, de plus en plus nombreuses et détaillées. La normalisation par les principes, relativement lâche, et la normalisation par les règles, extrêmement précise, ne renvoient pas selon nous à des logiques opposées, mais à deux étapes successives d’un même processus historique. D’abord assez générales, les normes produites par le FASB sont ainsi devenues, au fil du temps, de plus en plus contraignantes, et il faut parier, avec Colasse (2005a, p.33, note n°6), que celles de l’IASB connaitront sans tarder la même évolution.

2.1.4.Régularité, sincérité et image fidèle

Les principes et les normes comptables que nous avons évoqués jusqu’ici sont dits de modélisation : ils visent à mettre en lumière le chemin à suivre pour atteindre l’objectif d’image fidèle de la comptabilité. Leur correcte application semble donc essentielle, et fait pour cette raison l’objet de deux principes supplémentaires, qualifiés de principes éthiques : le principe de régularité d’une part, et le principe de sincérité d’autre part.

Selon le principe de régularité, le respect des normes comptables revêt un caractère obligatoire. Ces dernières ne constituent pas une simple référence que l’on pourrait choisir d’ignorer : sauf exception, il n’est pas question d’y déroger ; elles doivent être appliquées à la lettre. Ceci, toutefois, ne suffit pas. En effet, pour comptabiliser un événement donné, il arrive que plusieurs solutions puissent être envisagées. Il faut donc non seulement respecter les normes, mais aussi le faire de bonne foi, sans montrer de mauvaise volonté, sans chercher à mentir, et choisir ainsi celles qui reflèteront au mieux la réalité économique de l’entreprise, au lieu de la déformer. Tel est le principe de sincérité. Respectés, ces deux principes sont censés garantir l’atteinte de l’objectif d’image fidèle. En son titre I, le PCG 1982 indiquait ainsi : « A effet de présenter des

états reflétant une image fidèle de la situation et des opérations de l’entreprise, la comptabilité doit satisfaire, dans le respect de la règle de prudence, aux obligations de régularité et de sincérité ». Navarro mène à ce sujet le raisonnement suivant (2004, p.2) :

Si l’on considère que donner une image fidèle est la finalité poursuivie par les comptes annuels, et plus généralement par la comptabilité, la régularité et la sincérité apparaissent nécessairement comme des moyens de l’atteindre. C’est parce qu’ils seront réguliers et sincères qu’ils donneront une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entité. La possibilité de dérogation introduite à l’alinéa 3 de l’article L.123-154 du C.com. et à l’alinéa 2 de l’article 120-2 du PCG 1999 en est la plus parfaite illustration. Ainsi, lorsque dans des cas exceptionnels, l’application d’une règle ou d’une prescription se révèle impropre à donner une image fidèle, il peut y être dérogé. Cela signifie a contrario que, dans des cas non exceptionnels, l’application des règles ou prescriptions comptables conduit à l’image fidèle. Etant donné que cette application ne peut se concevoir que dans le respect de la régularité et de la sincérité – puisque la régularité s’attache aux règles en vigueur et la sincérité à l’application de ces règles conformément à l’alinéa 1 de l’article 120-1 – dans des cas non exceptionnels ce respect permet de donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entité. […].Il faut donc considérer la régularité et la sincérité comme des principes dont les impératifs conduiront à l’image fidèle.

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