• Aucun résultat trouvé

2.4 Un système moléculaire : l'eau

2.4.2 Principaux modèles de potentiels empiriques de la littérature

Compte tenu de la structure particulière de la molécule d'eau évoquée précédemment, décrire

les interactions dans l'eau de façon réaliste n'est donc pas trivial et cela explique pourquoi il

existe de très nombreux modèles [Guillot02]. Si certains sont basés sur des calculs quantiques, la

plupart sont empiriques. La raison principale qui explique que la modélisation de l'eau se fasse

généralement avec des potentiels empiriques est liée à la simplicité des expressions qui décrivent

alors l'énergie du système. D'autre part, comme il a été dit dans la section 2.2, l'avantage de ce

type de potentiels est qu'il permet de simuler de grands systèmes sur de longues périodes.

Dans la littérature, on rencontre une grande variété de potentiels et, si une telle variété existe,

c'est parce qu'aucun n'est capable de reproduire parfaitement l'intégralité des propriétés de la

molécule d'eau dans tout le diagramme de phases. Un modèle qui reproduit bien une propriété

de l'eau, par exemple sa viscosité, n'est pas forcément bon pour modéliser les autres propriétés

comme les propriétés vibrationnelles ou les changements de phases. Ainsi, un modèle peut être

réaliste seulement sur un domaine restreint du diagramme de phases, au point parfois de ne

pas rendre compte de l'existence de certaines phases hors de ce domaine. De plus, la plupart

des descriptions de la molécule d'eau utilisent des caractéristiques géométriques diérentes des

réelles.

Une récente étude fait état de 46 modèles empiriques diérents [Guillot02]. Sur la Fig. 2.9, les

courbes (T-ρ) obtenues à pression atmosphérique pour les modèles de potentiels les plus

popu-laires sont représentées. Parmi ces courbes gurent celles des deux modèles qui seront présentés

et utilisés dans la suite : SPC/E [Berendsen87] et BK3 [Kiss13].

Pour regrouper tous ces modèles, diverses classications existent en fonction du nombre de

points employés pour dénir le modèle (sites), de la rigidité ou de la exibilité de leur structure,

2.4. Un système moléculaire : l'eau

Figure 2.11 Représentation des diérents types de modèles. Les charges partielles sont

loca-lisées sur les sites. Cette gure est extraite de [Web6].

de leur polarisabilité prise en compte ou non. Une première classication de ces modèles s'établit

sur le fait qu'ils soient polarisables ou non (voir g. 2.10). Si tel est le cas, ce type de modèle peut

rendre compte des uctuations du moment dipolaire. Le modèle ajuste ses charges partielles en

fonction de son environnement. En cela, les calculs deviennent vite très longs.

On peut ensuite aner à un niveau supplémentaire en distinguant les modèles rigides des

exibles. Dans le cas des modèles rigides, la forme de la molécule est gée : angles et longueurs des

liaisons sont xes au cours du temps. Le calcul des interactions de paires est ainsi aranchi des

interactions intramoléculaires, permettant une diminution du temps de calcul. Puisqu'il ne sera

pas question dans la suite d'étudier les vibrations intramoléculaires des liaisons, nous laisserons

les modèles exibles de côté au prot des rigides.

Enn, que ce soit pour les modèles rigides ou exibles, on peut les classer en fonction du

nombre de sites qui les caractérisent. Ces potentiels comportent entre 3 et 6 sites. Succinctement,

dans le modèle à 3 sites, une charge ponctuelle q est assignée à chaque atome de la molécule

d'eau. Ce type de modèles reste très populaire en simulation de DM car il est simple et ecace.

Le principe du modèle à 4 sites est que la charge négative repose sur un atome ctifM au lieu

d'être confondue avec l'atome d'oxygène. Cela améliore la distribution électrostatique autour de

la molécule d'eau. Les modèles à 5 sites situent la charge négative sur des atomes ctifs (notés

L) représentant les doublets non liants de l'atome d'oxygène. Le modèle à 6 sites combine tous

les sites des modèles à 4 et 5 sites. Mentionnons encore que tous les potentiels incluent un terme

d'interaction intermoléculaire pris en compte entre atomes d'oxygène, représenté par le biais du

potentiel de LJ. La forme générale du potentiel est donnée dans l'Eq. 1.19 du précédent chapitre.

Comme il l'a été dit dans la section 2.1.2, un modèle doit, en général, satisfaire à deux aspects

pour être considéré comme bon : il doit être transférable, c'est-à-dire utilisable pour un large

ensemble de propriétés et une large gamme de conditions thermodynamiques, et simple pour

que le temps de calcul ne soit pas exagérément long. Le réalisme du calcul augmente avec la

complexité du modèle de potentiel. La complexité augmente avec le nombre de sites, de charges

ponctuelles, et avec l'éventuelle uctuation des dipôles qui doivent être traités dans le calcul des

interactions.

Dans la suite, nous recensons, en les distinguant par leur nombre de sites (Fig. 2.11), les

modèles de potentiels intermoléculaires qui ont été les plus utilisés ces dernières années. La

prin-cipale diérence entre les modèles à trois, quatre, cinq et six sites est la manière dont les charges

partielles sont réparties dans la molécule [Vega11]. Nous porterons une attention particulière aux

modèles polarisables.

• Modèles à 3 sites

Au début des années quatre-vingt-dix, le modèle TIPS (potentiel intermoleculaire

transfé-rable) a été développé par Jorgensen [Jorgensen81]. Au cours de la même période, Berendsen et

ses collègues [Berendsen81] ont présenté le modèle de charges ponctuelles simples (SPC). Dans les

deux modèles, les charges partielles sont situées sur trois sites : la charge négative est située sur

l'atome d'oxygène et une charge positive sur chaque atome d'hydrogène. La principale diérence

entre ces deux modèles est que TIPS utilise la géométrie de la molécule déterminée

expérimenta-lement tandis que SPC emploie l'angle tétraédrique avec une longueur de liaison intramoléculaire

OH égale à 1 Å. Le potentiel TIP3P dérive de TIPS. Les valeurs des paramètres Lennard-Jones

et des charges partielles sont légèrement diérentes [Jorgensen82] et ont été obtenues de manière

à reproduire l'enthalpie de vaporisation et la densité de l'eau liquide sous conditions ambiantes.

Une amélioration par rapport au modèle SPC est SPC/E introduit par Berendsen et al. en

1987 [Berendsen87]. SPC/E a la même géométrie de liaison que SPC, mais un terme correctif est

introduit dans l'énergie pour prendre en compte la polarisation moyenne des molécules. Cela a

pour conséquence d'améliorer l'accord avec l'expérience des fonctions de distribution radiale et

des coeciens de diusion.

• Modèles à 4 sites

Le modèle de l'eau à quatre sites le plus célèbre est TIP4P, proposé par Jorgensen et al.

[Jorgensen83]. Sa principale caractéristique est que le site portant la charge négative

(habituel-lement appelé le site M, charge ctive) n'est pas situé à la position de l'oxygène mais sur la

bissectrice H-O-H, à une distance de 0,15 Å de l'oxygène. En 1933, Bernal et Fowler [Bernal33]

ont été les premiers à construire un modèle utilisant cet artice (modèle BF). Les paramètres

du potentiel TIP4P sont déterminés de manière à reproduire l'enthalpie de vaporisation et la

densité de l'eau liquide à température ambiante [Jorgensen83], contrairement à ceux du modèle

BF qui ne permettent pas de bien reproduire ces propriétés macroscopiques. Une amélioration de

TIP4P a récemment été introduite par Abascal et Vega [Abascal05]. Grâce à des calculs d'énergie

libre, ces auteurs ont obtenu les diagrammes de phases des modèles TIP4P et SPC/E. Ils ont

constaté que celui de TIP4P fournissait une description plus réaliste du diagramme de phases de

l'eau par rapport à SPC/E. Toutefois, ces deux modèles donnent des points de fusion trop faibles

[Vega05]. An d'améliorer le modèle TIP4P, ils ont proposé une nouvelle version modiée appelée

TIP4P/2005. Ce modèle a la même géométrie de liaison et la même répartition de charge que

TIP4P (même si la distance entre le site M et l'atome d'oxygène est légèrement modiée). Des

propriétés spéciques ont été ciblées pour déterminer les paramètres de ces potentiels telles que

la densité de l'eau liquide à pression ambiante, la température de fusion de la glace hexagonale

(Ih) et une description satisfaisante de la région complexe du diagramme de phases impliquant

diérents polymorphes de la glace [Vega09].

2.4. Un système moléculaire : l'eau

• Modèles à 5 sites

En 2000, Mahoney et Jorgensen ont proposé le modèle TIP5P [Mahoney00]. Ce modèle peut

être considéré comme le descendant du célèbre modèle ST2 de Rahman et Stillinger [Rahman72].

L'introduction de deux sites supplémentaires par rapport à TIP3P tient compte de la présence

des deux paires isolées d'électrons sur l'atome d'oxygène [Vega11]. Les paramètres du modèle

ont été xés an de reproduire l'enthalpie de vaporisation de l'eau, la température à la densité

maximale de l'eau liquide, la constante diélectrique et le coecient de diusion. La géométrie de

la molécule d'eau dans TIP5P est choisie à partir de celle en phase gazeuse et cette caractéristique

la distingue de ST2. De plus, dans le cas de ST2, l'intensité des interactions coulombiennes est

modulée à courte distance.

• Modèles polarisables

La molécule d'eau possède un moment dipolaire électrique élevé, supposé constant dans les

modèles non polarisables que nous avons présentés précédemment. En réalité, les molécules sont

exposées à des champs électriques diérents et localement variés. En raison de la polarisabilité

moléculaire, tout moment dipolaire xe représentera donc une approximation médiocre. C'est

pourquoi un certain nombre de modèles d'eau polarisables ont vu le jour au cours des dernières

décennies.

D'après la classication de Schropp et Tavan [Schropp08], ces modèles appartiennent à trois

groupes diérents. La première classe couvre les modèles dits à charges sur ressorts

(Charge-On-Springs `COS') [Yu03, Yu04, Kunz09]. Cela consiste à placer, par exemple, une charge positive à

la position de l'atome d'oxygène tout en attachant une charge négative (vue comme une charge

ctive) à cette position par un potentiel harmonique (modélisant le ressort). L'allongement du

ressort dépend du champ électrique local faisant varier la position de la charge ctive. Ainsi,

le dipôle induit varie linéairement avec le champ électrique et la polarisabilité est isotrope. Les

modèles de la deuxième classe utilisent des dipôles ponctuels induits avec des polarisations

iso-tropes. Ces modèles sont équivalents aux modèles COS, mais moins populaires car les codes de

dynamique moléculaire traitent plus facilement les charges ponctuelles que les dipôles ponctuels.

La troisième classe contient des modèles basés sur l'approche de charge ottante (FQ). Dans

FQ, les valeurs des charges partielles dépendent du potentiel électrostatique sur les sites des

charges. Pour plus de détails sur ces modèles, on pourra se référer à l'article de Schropp et Tavan

[Schropp08]. Le modèle BK3 que nous avons utilisé dans cette étude et sur lequel nous allons

revenir plus en détails est de type COS, avec une seule charge sur ressort par site se déplaçant

sous l'eet du champ électrique.

Comme nous l'avons vu plus haut, la grande majorité des modèles en DM traite la

polarisa-tion de manière implicite en utilisant des charges eectives. Le fait de simplier les modèles en

négligeant la polarisabilité pourrait expliquer qu'aucun potentiel non polarisable existant n'est

capable à ce jour de prédire de façon réaliste l'intégralité des propriétés de l'eau dans les phases

solides, liquides ou gazeuses, ou à l'interface entre ces diérentes phases. De plus,

l'environne-ment local instantané change selon les molécules et, avec lui, le champs électrique local. Ainsi,

la structure de la molécule (angle et longueurs des liaisons, distribution des charges) uctue et,

avec elle, le moment dipolaire de la molécule. La nécessité d'introduire l'eet de polarisabilité

Figure 2.12 Représentation schématique des modèles SPC/E et BK3.

est donc une question légitime [Yu05]. Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer le

manque de développement de ce type de modèles observé jusqu'à présent. D'abord, la complexité

du calcul augmente le temps de calcul. La puissance de calcul disponible permet aujourd'hui de

faire de très longues simulations qui n'étaient pas possibles jusqu'alors.

11

D'autre part, rajouter

l'eet de polarisabilité augmente notablement le niveau de détails de la description. Pour

cer-taines propriétés, la uctuation de la distribution de charge joue un rôle négligeable et l'addition

de cet eet n'a alors aucun impact. Mais pour d'autres comme le facteur de structure dynamique

ou les propriétés diélectriques, il est évident que sa prise en compte aura une incidence sur le

résultat.

Dans ce travail, nous avons évalué l'inuence de la polarisabilité sur les grandeurs qui nous

intéressent, à savoir la viscosité et la diusion. Par ailleurs, comme il a été mentionné plus haut, ce

travail s'insère dans un projet plus vaste de collaboration où le facteur de structure dynamique est

étudié. En eet, cette propriété pourrait être très sensible à l'introduction de termes explicites

de polarisation. An de mesurer son inuence, notre étude est basée sur l'utilisation de deux

potentiels empiriques, les modèles SPC/E [Berendsen87] et BK3 [Kiss13]. Ils sont tous deux

rigides mais l'un est polarisable (BK3), l'autre non (SPC/E). Par ailleurs, BK3 prend en compte

4 sites quand SPC/E n'en fait intervenir que 3. Nous détaillerons ces deux potentiels utilisés

dans la section suivante.