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PRIMUM NON NOCERE

Dans le document DOCTORAT EN MEDECINE (Page 71-76)

1. Primum non nocere et acharnement thérapeutique

Le plus connu des préceptes d’Hippocrate est le « primun non nocere ». Pendant longtemps,

les médecins ont eu peu d’armes thérapeutiques pour lutter contre les maladies : conscients de

leurs limites, ils pouvaient rapidement choisir, face à un malade, de le soigner ou de laisser

entre les mains du destin. Comme le rappelle Jean-Christophe Ruffin

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, la sagesse ancestrale

des médecins leur apprenait le respect de la maladie et de la mort : ils pouvaient s’incliner

devant leurs ennemis invisibles quand ils reconnaissaient les signes de leur toute-puissance

(Annexe 31).

Mais le XXème siècle a rendu les médecins plus orgueilleux : en leur offrant un arsenal

thérapeutique inépuisable, des techniques de détection de plus en plus élaborées, des

méthodes chirurgicales de plus en plus poussées, la science a donné l’illusion aux médecins

de pouvoir combattre à armes égales avec la maladie et la mort, en oubliant, au passage, la

primauté de l’individu malade. Madame Rosa

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explique ainsi à Momo qu’elle ne veut pas se

faire hospitaliser car « les médecins vont [la] faire vivre de force ». Elle lui inculque que « la

médecine doit avoir le dernier mot et lutter jusqu’au bout pour empêcher que la volonté de

Dieu soit faite. » Après les épreuves qu’elle a traversées dans sa vie, elle ne désire pas se

livrer aux soins des hôpitaux et subir un éventuel acharnement thérapeutique des médecins

(Annexe 32 et 32 bis).

Si les peurs de Madame Rosa peuvent paraître naïves dans leur expression, la notion

d’acharnement thérapeutique qui correspond à la

p

oursuite d’un traitement lourd,

disproportionné par rapport au bien qu’en retire le patient, est bien réelle, comme le relatent

certains médecins. Jean-Christophe Ruffin

22

regrette, aujourd’hui encore, de ne pas avoir

écouté, trente ans auparavant, une patiente qui lui demandait de la laisser tranquille et de ne

pas lui voler sa mort (Annexe 33). Antoine Sénanque

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, de son côté, est conscient de tous les

actes nuisibles qu’il a effectués, destinés initialement à améliorer la prise en charge de ses

patients (Annexe 34).

Car la limite entre traitement utile et acharnement thérapeutique est parfois mince. Il est

difficile pour le médecin de se déclarer vaincu par la maladie et d’accepter de n’être plus

qu’un accompagnant qui soulage les souffrances d’autrui. Le docteur Desportes

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, responsable

de l’hospice dans lequel est hospitalisé Montagnard, s’entête à vouloir « gagner du temps »

devant le déclin rapide de son patient. Montagnard souffre atrocement d’une escarre

talonnière mais Desportes ne peut se résoudre à lui administrer de la morphine qui le

plongerait dans l’inconscience (Annexe 35). Jacques Chauviré aborde ainsi la notion de soins

palliatifs qui en sont à leurs balbutiements en France lorsqu’il rédige son roman. Soins actifs

dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave évolutive ou terminale,

l’objectif des soins palliatifs est de soulager les douleurs physiques mais aussi la souffrance

psychologique, sociale et spirituelle. Les traitements et investigations déraisonnables sont

évités et la mort est considérée comme un processus naturel. Les lois de bioéthique encadrent

leur exécution pour éviter les dérives possibles telles que l’euthanasie, et sont régulièrement

actualisées depuis 1999 pour s’adapter à l’évolution des techniques et des thérapeutiques mais

aussi à celle de la société civile. Les Etats Généraux de la bioéthique, qui ont eu lieu en 2009,

vont ainsi permettre d’alimenter les réflexions sur différents sujets, dont l’accompagnement

en fin de vie et les soins palliatifs, pour la révision des lois prévue au cours de l’année 2010.

2. L’euthanasie

Le serment d’Hippocrate prône la primauté de l’individu et le respect de la vie à tout prix :

depuis l’Antiquité, la possibilité de donner ou de conseiller la mort à autrui est considérée

comme un interdit majeur et un manquement au « code d’honneur » du médecin.

Le problème ne se pose bien évidemment pas en termes de meurtre délibéré, où le médecin

serait une arme au même titre qu’un poignard ou qu’un pistolet. Il survient quand le médecin

atteint les limites de son savoir et de ses connaissances et qu’il se retrouve, impuissant,

confronté à la souffrance et à l’agonie de l’un de ses semblables. Le docteur Thibault

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,

praticien rationnel, convaincu des bienfaits de la science et de la médecine, en fait lui-même

l’expérience à deux reprises : une première fois lorsque l’enfant de son collègue dépérit

progressivement des complications de son otite, et une deuxième fois, au chevet de son père

moribond. Son quotidien le met pourtant régulièrement face à la douleur et la mort, mais ces

deux situations le touchent particulièrement et remettent en question son pragmatisme serein

et ses convictions profondes. Quand son confrère Héquet regarde sa petite fille de deux ans

succomber lentement à l’infection dans d’atroces douleurs et lui demande de « faire quelque

chose », Thibault trouve tout d’abord refuge dans le principe majeur de la profession : le

respect de la vie (Annexe 36). Mais les pensées se bousculent dans son esprit : que sont les

notions de morale, de devoir, de bien et de mal face à la souffrance d’une petite fille atteinte

d’un mal incurable, d’un père et d’une mère, spectateurs impuissants de l’agonie de leur

enfant ? Ces considérations le ramènent à ses choix et ses responsabilités d’être social

pensant : comment, dans la même journée a-t-il pu ordonner de noyer les rejetons bien

portants de sa chatte et se justifier de ne pas abréger les tourments d’une enfant condamnée

par respect de la vie ?

Sans qu’il en fasse lui-même aussitôt le rapprochement, Antoine se retrouve quelque temps

plus tard dans une situation quasi-similaire à celle d’Héquet : son père, atteint d’une

insuffisance rénale terminale, présente des épisodes convulsifs de plus en plus rapprochés.

Les reins défaillants n’éliminant plus les médicaments, les médecins s’abstiennent de tout

traitement, notamment antalgique, qui pourrait, par son accumulation dans le sang, accélérer

le décès du vieil homme. Antoine lutte auprès de son père malade : il s’agite et cherche des

solutions alternatives pour le soulager. Mais rien n’y fait : le corps et le visage paternels

portent les stigmates croissants de la douleur. Antoine et son frère Jacques regardent,

impuissants, la déchéance de cet être proche. Las, désespérés, ils conviennent ensemble de

mettre fin à ce calvaire, mais c’est la main d’Antoine, celle du médecin, qui les libère du

spectacle de cette agonie. Le soulagement est immédiat : Antoine, malgré sa peine, ne peut

qu’approuver son comportement et ne se rend compte que le lendemain, après avoir reçu les

condoléances d’Héquet, de la gravité de son acte et de ses conséquences profondes (Annexe

37).

Plus récemment, Antoine Sénanque raconte, dans Blouse

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, son expérience d’interne amené à

« aider à mourir » certaines personnes qui mettent trop de temps à partir. Il dénonce les

pratiques de l’institution et de ses représentants qui n’hésitent pas à faire porter la

responsabilité de la mort d’un être vivant à un jeune médecin qui injecte, seul, le cocktail

lytique et dont la conscience doit, toute sa vie durant, supporter ce poids (Annexe 38).

L’euthanasie est toujours interdite en France à l’heure actuelle, mais la médiatisation de plus

en plus fréquente des cas isolés porte le débat sur le devant de la scène politique et impose

une réflexion citoyenne sur le sujet, tout comme l’interruption de grossesse l’avait fait à la fin

du XXème siècle.

3. Le cas particulier de l’interruption volontaire de grossesse

Le serment d’Hippocrate proscrit l’interruption volontaire de grossesse. Longtemps en France

(et aujourd’hui encore dans de nombreux pays), les femmes ont dû se débrouiller seules ou

avec l’aide de soignants qui risquaient leur carrière, pour empêcher les grossesses non

désirées d’aboutir, bien souvent au péril de leur vie.

A l’image du chirurgien Lartois

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, les médecins se sont longtemps dégagés de leurs

responsabilités sur ce sujet. Une jeune femme, Isabelle, vient le consulter pour un retard de

règles de cinq semaines suite à une relation qu’elle entretient avec un homme marié. Elle

s’effondre à l’annonce du verdict positif de grossesse et envisage tout simplement de se

suicider. Le discours du chirurgien est autre : il lui explique que l’interruption de grossesse est

possible et qu’il peut la diriger vers des mains expertes. En revanche, il ne veut en aucun cas

être associé à cette intervention qui lui fermerait les portes de l’Académie de médecine

(Annexe 39).

Les avortements clandestins étaient donc de mise en France avant leur légalisation par la loi

« Veil », adoptée le 17 janvier 1975 par l’Assemblée Nationale, et parue le 18 janvier 1975 au

journal officiel. Comme le rappelle Olivier Kourilsky dans son roman policier Meurtre avec

prémédication

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, les répercussions de ces actes couramment pratiqués dans des conditions

plus que déplorables, étaient souvent fâcheuses. Son protagoniste, Joël, est médecin et sort

d’une nuit de garde pendant laquelle une femme a failli mourir des suites d’un avortement

clandestin. Les équipes médicales ont pu la sauver en lui retirant l’utérus : elle ne peut donc

plus avoir d’enfants mais ne laisse pas son mari veuf, et son fils, orphelin (Annexe 40).

Certains médecins pratiquaient malgré tout les avortements dans leur clinique ou cabinet pour

éviter ces tristes conséquences. Dans Les Trois médecins

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, Martin Winckler relate comment

son père, gynécologue, avait, dès le début des années cinquante, commencé à faire des

interruptions volontaires de grossesse (Annexe 41). Puis dans La Vacation

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, il raconte sa

propre expérience de médecin « avorteur ». La loi a, entre temps, légalisé l’interruption de

grossesse, mais le recrutement des soignants est toujours réalisé sur la base du volontariat.

Malgré sa volonté profonde d’aider ces femmes en détresse, et empreint le plus souvent d’une

réelle empathie à leur égard, il ne peut cependant s’empêcher parfois d’éprouver de la colère

ou de l’incompréhension à leur encontre. L’interruption volontaire de grossesse utilisée

comme moyen contraceptif lui est difficilement acceptable. Les situations qu’il décrit

montrent que les autorités publiques, les médecins et les patients ont, aujourd’hui encore, de

nombreux efforts à fournir en matière d’éducation et de prévention dans le domaine de la

contraception.

C. LES RAPPORTS A L’ARGENT : GRATUITE DES SOINS ET

Dans le document DOCTORAT EN MEDECINE (Page 71-76)

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