1. Primum non nocere et acharnement thérapeutique
Le plus connu des préceptes d’Hippocrate est le « primun non nocere ». Pendant longtemps,
les médecins ont eu peu d’armes thérapeutiques pour lutter contre les maladies : conscients de
leurs limites, ils pouvaient rapidement choisir, face à un malade, de le soigner ou de laisser
entre les mains du destin. Comme le rappelle Jean-Christophe Ruffin
22, la sagesse ancestrale
des médecins leur apprenait le respect de la maladie et de la mort : ils pouvaient s’incliner
devant leurs ennemis invisibles quand ils reconnaissaient les signes de leur toute-puissance
(Annexe 31).
Mais le XXème siècle a rendu les médecins plus orgueilleux : en leur offrant un arsenal
thérapeutique inépuisable, des techniques de détection de plus en plus élaborées, des
méthodes chirurgicales de plus en plus poussées, la science a donné l’illusion aux médecins
de pouvoir combattre à armes égales avec la maladie et la mort, en oubliant, au passage, la
primauté de l’individu malade. Madame Rosa
28explique ainsi à Momo qu’elle ne veut pas se
faire hospitaliser car « les médecins vont [la] faire vivre de force ». Elle lui inculque que « la
médecine doit avoir le dernier mot et lutter jusqu’au bout pour empêcher que la volonté de
Dieu soit faite. » Après les épreuves qu’elle a traversées dans sa vie, elle ne désire pas se
livrer aux soins des hôpitaux et subir un éventuel acharnement thérapeutique des médecins
(Annexe 32 et 32 bis).
Si les peurs de Madame Rosa peuvent paraître naïves dans leur expression, la notion
d’acharnement thérapeutique qui correspond à la
poursuite d’un traitement lourd,
disproportionné par rapport au bien qu’en retire le patient, est bien réelle, comme le relatent
certains médecins. Jean-Christophe Ruffin
22regrette, aujourd’hui encore, de ne pas avoir
écouté, trente ans auparavant, une patiente qui lui demandait de la laisser tranquille et de ne
pas lui voler sa mort (Annexe 33). Antoine Sénanque
21, de son côté, est conscient de tous les
actes nuisibles qu’il a effectués, destinés initialement à améliorer la prise en charge de ses
patients (Annexe 34).
Car la limite entre traitement utile et acharnement thérapeutique est parfois mince. Il est
difficile pour le médecin de se déclarer vaincu par la maladie et d’accepter de n’être plus
qu’un accompagnant qui soulage les souffrances d’autrui. Le docteur Desportes
40, responsable
de l’hospice dans lequel est hospitalisé Montagnard, s’entête à vouloir « gagner du temps »
devant le déclin rapide de son patient. Montagnard souffre atrocement d’une escarre
talonnière mais Desportes ne peut se résoudre à lui administrer de la morphine qui le
plongerait dans l’inconscience (Annexe 35). Jacques Chauviré aborde ainsi la notion de soins
palliatifs qui en sont à leurs balbutiements en France lorsqu’il rédige son roman. Soins actifs
dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave évolutive ou terminale,
l’objectif des soins palliatifs est de soulager les douleurs physiques mais aussi la souffrance
psychologique, sociale et spirituelle. Les traitements et investigations déraisonnables sont
évités et la mort est considérée comme un processus naturel. Les lois de bioéthique encadrent
leur exécution pour éviter les dérives possibles telles que l’euthanasie, et sont régulièrement
actualisées depuis 1999 pour s’adapter à l’évolution des techniques et des thérapeutiques mais
aussi à celle de la société civile. Les Etats Généraux de la bioéthique, qui ont eu lieu en 2009,
vont ainsi permettre d’alimenter les réflexions sur différents sujets, dont l’accompagnement
en fin de vie et les soins palliatifs, pour la révision des lois prévue au cours de l’année 2010.
2. L’euthanasie
Le serment d’Hippocrate prône la primauté de l’individu et le respect de la vie à tout prix :
depuis l’Antiquité, la possibilité de donner ou de conseiller la mort à autrui est considérée
comme un interdit majeur et un manquement au « code d’honneur » du médecin.
Le problème ne se pose bien évidemment pas en termes de meurtre délibéré, où le médecin
serait une arme au même titre qu’un poignard ou qu’un pistolet. Il survient quand le médecin
atteint les limites de son savoir et de ses connaissances et qu’il se retrouve, impuissant,
confronté à la souffrance et à l’agonie de l’un de ses semblables. Le docteur Thibault
16,
praticien rationnel, convaincu des bienfaits de la science et de la médecine, en fait lui-même
l’expérience à deux reprises : une première fois lorsque l’enfant de son collègue dépérit
progressivement des complications de son otite, et une deuxième fois, au chevet de son père
moribond. Son quotidien le met pourtant régulièrement face à la douleur et la mort, mais ces
deux situations le touchent particulièrement et remettent en question son pragmatisme serein
et ses convictions profondes. Quand son confrère Héquet regarde sa petite fille de deux ans
succomber lentement à l’infection dans d’atroces douleurs et lui demande de « faire quelque
chose », Thibault trouve tout d’abord refuge dans le principe majeur de la profession : le
respect de la vie (Annexe 36). Mais les pensées se bousculent dans son esprit : que sont les
notions de morale, de devoir, de bien et de mal face à la souffrance d’une petite fille atteinte
d’un mal incurable, d’un père et d’une mère, spectateurs impuissants de l’agonie de leur
enfant ? Ces considérations le ramènent à ses choix et ses responsabilités d’être social
pensant : comment, dans la même journée a-t-il pu ordonner de noyer les rejetons bien
portants de sa chatte et se justifier de ne pas abréger les tourments d’une enfant condamnée
par respect de la vie ?
Sans qu’il en fasse lui-même aussitôt le rapprochement, Antoine se retrouve quelque temps
plus tard dans une situation quasi-similaire à celle d’Héquet : son père, atteint d’une
insuffisance rénale terminale, présente des épisodes convulsifs de plus en plus rapprochés.
Les reins défaillants n’éliminant plus les médicaments, les médecins s’abstiennent de tout
traitement, notamment antalgique, qui pourrait, par son accumulation dans le sang, accélérer
le décès du vieil homme. Antoine lutte auprès de son père malade : il s’agite et cherche des
solutions alternatives pour le soulager. Mais rien n’y fait : le corps et le visage paternels
portent les stigmates croissants de la douleur. Antoine et son frère Jacques regardent,
impuissants, la déchéance de cet être proche. Las, désespérés, ils conviennent ensemble de
mettre fin à ce calvaire, mais c’est la main d’Antoine, celle du médecin, qui les libère du
spectacle de cette agonie. Le soulagement est immédiat : Antoine, malgré sa peine, ne peut
qu’approuver son comportement et ne se rend compte que le lendemain, après avoir reçu les
condoléances d’Héquet, de la gravité de son acte et de ses conséquences profondes (Annexe
37).
Plus récemment, Antoine Sénanque raconte, dans Blouse
21, son expérience d’interne amené à
« aider à mourir » certaines personnes qui mettent trop de temps à partir. Il dénonce les
pratiques de l’institution et de ses représentants qui n’hésitent pas à faire porter la
responsabilité de la mort d’un être vivant à un jeune médecin qui injecte, seul, le cocktail
lytique et dont la conscience doit, toute sa vie durant, supporter ce poids (Annexe 38).
L’euthanasie est toujours interdite en France à l’heure actuelle, mais la médiatisation de plus
en plus fréquente des cas isolés porte le débat sur le devant de la scène politique et impose
une réflexion citoyenne sur le sujet, tout comme l’interruption de grossesse l’avait fait à la fin
du XXème siècle.
3. Le cas particulier de l’interruption volontaire de grossesse
Le serment d’Hippocrate proscrit l’interruption volontaire de grossesse. Longtemps en France
(et aujourd’hui encore dans de nombreux pays), les femmes ont dû se débrouiller seules ou
avec l’aide de soignants qui risquaient leur carrière, pour empêcher les grossesses non
désirées d’aboutir, bien souvent au péril de leur vie.
A l’image du chirurgien Lartois
41, les médecins se sont longtemps dégagés de leurs
responsabilités sur ce sujet. Une jeune femme, Isabelle, vient le consulter pour un retard de
règles de cinq semaines suite à une relation qu’elle entretient avec un homme marié. Elle
s’effondre à l’annonce du verdict positif de grossesse et envisage tout simplement de se
suicider. Le discours du chirurgien est autre : il lui explique que l’interruption de grossesse est
possible et qu’il peut la diriger vers des mains expertes. En revanche, il ne veut en aucun cas
être associé à cette intervention qui lui fermerait les portes de l’Académie de médecine
(Annexe 39).
Les avortements clandestins étaient donc de mise en France avant leur légalisation par la loi
« Veil », adoptée le 17 janvier 1975 par l’Assemblée Nationale, et parue le 18 janvier 1975 au
journal officiel. Comme le rappelle Olivier Kourilsky dans son roman policier Meurtre avec
prémédication
42, les répercussions de ces actes couramment pratiqués dans des conditions
plus que déplorables, étaient souvent fâcheuses. Son protagoniste, Joël, est médecin et sort
d’une nuit de garde pendant laquelle une femme a failli mourir des suites d’un avortement
clandestin. Les équipes médicales ont pu la sauver en lui retirant l’utérus : elle ne peut donc
plus avoir d’enfants mais ne laisse pas son mari veuf, et son fils, orphelin (Annexe 40).
Certains médecins pratiquaient malgré tout les avortements dans leur clinique ou cabinet pour
éviter ces tristes conséquences. Dans Les Trois médecins
26, Martin Winckler relate comment
son père, gynécologue, avait, dès le début des années cinquante, commencé à faire des
interruptions volontaires de grossesse (Annexe 41). Puis dans La Vacation
39, il raconte sa
propre expérience de médecin « avorteur ». La loi a, entre temps, légalisé l’interruption de
grossesse, mais le recrutement des soignants est toujours réalisé sur la base du volontariat.
Malgré sa volonté profonde d’aider ces femmes en détresse, et empreint le plus souvent d’une
réelle empathie à leur égard, il ne peut cependant s’empêcher parfois d’éprouver de la colère
ou de l’incompréhension à leur encontre. L’interruption volontaire de grossesse utilisée
comme moyen contraceptif lui est difficilement acceptable. Les situations qu’il décrit
montrent que les autorités publiques, les médecins et les patients ont, aujourd’hui encore, de
nombreux efforts à fournir en matière d’éducation et de prévention dans le domaine de la
contraception.
C. LES RAPPORTS A L’ARGENT : GRATUITE DES SOINS ET
Dans le document
DOCTORAT EN MEDECINE
(Page 71-76)