A. LA QUALITE DE LA RELATION MEDECIN/MALADE
2. L’information du malade
a. Le corps objet
Nous l’avons vu précédemment, l’autorité du médecin fait loi dans la médecine du XXème
siècle. Une des dérives majeures de ce principe établi est l’assujettissement total des malades
aux médecins, qui n’hésitent pas à utiliser leurs patients comme outils d’enseignement ou de
découvertes. Dans cette optique, il est bien évident que l’information du malade n’est pas la
priorité.
Plusieurs auteurs décrivent ainsi « la grande visite » du patron. La scène est toujours la même,
Bicêtre
35: le professeur, personnage central de la procession, se déplace de lit en lit dans le
service et donne son avis sur la prise en charge des patients. L’objectif premier, le traitement
et la santé des patients, est souvent détourné au profit de l’instruction des jeunes étudiants,
qui, généralement, arrivent à peine à entrer dans la chambre, à entendre deux ou trois mots et
à entre-apercevoir le malade. L’humiliation des patients, mis à nus devant une dizaine,
vingtaine ou trentaine de personnes, est réelle mais anodine au regard de la science et de la
formation des futurs médecins (Annexe 22).
L’utilisation du corps des malades comme source d’enseignement a longtemps persisté en
France : Martin Winckler
26reprend un article du journal Le Monde du 10 mars 1978 dans
lequel Claire Brisset relate les Journées Dermatologiques de Paris qui rassemblaient plusieurs
centaines de congressistes à l’hôpital Saint Louis. Les malades étaient pourvus de numéros et
exhibés comme des animaux devant des médecins qui n’hésitaient pas à faire des
commentaires déplacés voire des attouchements. Les progrès de l’audiovisuel et la
contestation de ce genre de pratique par certains professeurs ont permis l’abandon de ces
« expositions » (Annexe 23).
Le corps malade est parfois aussi utilisé comme objet d’expérience. Le Professeur Rohner
15est très satisfait que son assistante Catherine ait attrapé, par contact avec ses cobayes, la
bactérie sur laquelle il travaille depuis tant d’années. Les expérimentations sur l’homme étant
interdites, Catherine lui offre un terrain d’étude très appréciable. Plutôt que de se préoccuper
de sa santé, il est déçu de ne pas voir apparaître suffisamment rapidement les signes de
défaillance cardiaque et rénale, et s’emporte quand la pauvre malade présente une pleurésie
qui ne cadre pas avec son « tableau ». Au décès de la fille, il réalise une autopsie pour prouver
que ses intuitions étaient les bonnes et publie ensuite « un mémoire sur le Stroptoccocus
La mort en effet, ne délivre pas les patients de l’emprise des médecins sur eux : l’intérêt
scientifique prime. Dans Le passage
32, Jean Reverzy décrit la vie de Palabaud à Tahiti puis
son retour en France pour des raisons médicales. Atteint d’une cirrhose avancée, Palabaud
passe entre les mains de plusieurs médecins pour finalement mourir dans le service du
professeur Joberton de Belleville, le plus réputé de la ville. L’éminent professeur, malgré la
certitude de l’origine du décès, réalise une autopsie pour contenter sa curiosité (Annexe 24).
b. De la communication verbale et non verbale au consentement libre éclairé
Tous les médecins n’utilisent bien évidemment pas leurs patients pour contenter leur vanité ou
leur curiosité. D’autant plus qu’au cours du XXème siècle, le malade prend progressivement
sa place dans la relation médecin/malade : l’accès à l’éducation facilite ce changement et
modifie peu à peu les relations de pouvoir au sein du couple. Le langage et la communication
prennent alors toute leur dimension.
Comme tout langage technique, le langage médical est indispensable pour une expression
précise mais peut devenir un jargon qui dresse une barrière entre ceux qui savent et les
profanes. Pendant longtemps, les médecins s’en sont servis pour manipuler les malades, mais
aussi pour les ménager ou cacher leur ignorance.
Le vocabulaire médical est particulier : il n’est pas accessible d’emblée à tout un chacun et
son acquisition contribue à la longueur des études. Antoine Sénanque explique bien dans
Blouse
21comment le médecin peut très facilement se camoufler derrière les mots
hyperspécialisés pour satisfaire la demande du patient et/ou dissimuler son ignorance (Annexe
25). Le chirurgien Lartois
37, lui, utilise les termes savants non « pour se hausser devant
l’ignorant mortel, mais bien plus souvent pour mettre un écran entre le malade et son mal ».
Pour ménager son patient et éviter de lui expliquer que toutes ses artères, des pieds à la tête,
sont « bouchées », il emploie des mots que le vieil homme ne comprend pas et n’hésite pas à
minimiser les conséquences en employant des métaphores : « il faudra peut-être faire des
sacrifices » signifie, dans l’esprit du chirurgien, « amputation ». Le malade, en revanche, n’a
probablement pas perçu les choses de la sorte.
Knock
38, de son côté, a très tôt compris le bénéfice qu’il pouvait tirer du maniement du
langage de manière générale, et du langage scientifique en particulier : la manipulation des
personnes. A une patiente qui vient consulter pour une insomnie, il lui explique, en
agrémentant sa démonstration de termes plus ou moins médicaux, que son cas est d’une
extrême gravité. Puis il utilise les représentations et les peurs de la femme pour la convaincre
de la nécessité d’un traitement qui sera bien évidemment long et coûteux (Annexe 26).
D’autres modes de communication sont utilisés par les médecins pour transmettre des
informations à leurs patients. A une époque où les antibiotiques n’existent pas, le professeur
Philip
16vient donner son avis au chevet d’une petite fille atteinte d’une otite compliquée. Il
l’examine consciencieusement en silence, puis, relevant la tête, croise le regard du père qui a
déjà compris que la mort est certaine. Toujours sans prononcer un mot, il sort de la pièce et
s’apprête à partir mais revient finalement sur ses pas et transmet toute son empathie et ses
regrets au père en lui mettant simplement une main sur son bras. Puis il quitte l’appartement
(Annexe 27). Le professeur n’a pas eu besoin de mettre des mots sur l’issue fatale de la
maladie ou sur ses sentiments : la communication par le silence et le toucher a suffi.
A la fin du XXèmesiècle, la communication sert à l’information du malade. Celle-ci prend de
plus en plus d’importance dans la relation médecin/malade et devient même un point crucial
du serment médical. Les médecins ont maintenant le devoir d’expliquer à leurs patients leurs
pathologies, les traitements prescrits, les tenants et les aboutissants de leur prise en charge.
En effet, la non-information des malades peut avoir des conséquences dramatiques. Martin
d’une tuberculose génitale. Le gynécologue, au vu des résultats, lui annonce qu’elle est
stérile : la jeune femme suit son traitement antituberculeux et se passe de contraception.
Quelques mois plus tard, elle tombe enceinte et se réjouit à l’idée de pouvoir, finalement,
avoir un autre enfant. Mais les médecins l’informent alors que l’un des traitements qu’elle
prend est tératogène, et préconisent une interruption médicale de grossesse. La jeune femme,
suite à l’avortement, fait une dépression et tente de se suicider (Annexe 28). Les médecins,
par négligence ou manque de temps, n’ont pas pris le temps d’informer correctement la jeune
femme et ont mis sa vie en danger.
L’information des malades a son importance tout au long de la consultation, et
particulièrement au cours de l’examen clinique, pour éviter de blesser ou d’humilier les
patients. Notamment quand l’examen touche les zones intimes des personnes : dans La
Vacation
39, le narrateur expose son point de vue médical de l’examen gynécologique d’une
femme, et ponctue son récit de phrases destinées à la patiente, pour l’informer des gestes et
des actes qu’il réalise (Annexe 29).
Mais le but ultime de l’information des malades est de leur permettre de réaliser un choix
éclairé en ce qui concerne leur prise en charge. Pour chaque circonstance, le médecin doit
pouvoir fournir les différentes alternatives possibles au malade, en lui précisant les bénéfices
et les inconvénients de chacune. Le patient peut alors choisir l’option qui convient le mieux à
sa situation personnelle. Le professeur Zimmermann
26nous offre un exemple éloquent de
consentement libre éclairé : lors d’un staff multidisciplinaire, différents médecins se disputent
au sujet de la prise en charge d’un vieux monsieur atteint de métastases bloquant ses deux
reins. Une des options est de le mettre en dialyse, ce qui lui donnerait trois à six mois de
sursis ; l’autre option étant de le laisser tranquille et de le regarder mourir en quinze jours. Les
médecins, n’arrivant pas à se départager, demandent l’avis du professeur Zimmerman.
Celui-ci, au lieu de leur donner son point de vue personnel, propose d’aller voir ce qu’en pense le
malade. Et le patient leur fournit la réponse : il préfère se faire dialyser pour avoir le temps de
terminer d’écrire son livre (Annexe 30).
L’autorité du médecin, imposée au malade pendant de nombreux siècles, a donc vu son
importance diminuer progressivement au cours du XXème siècle pour aboutir à une relation
plus égalitaire dans laquelle le choix libre éclairé est primordial, au bénéfice du patient le plus
souvent.
Dans le document
DOCTORAT EN MEDECINE
(Page 66-71)