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L’information du malade

Dans le document DOCTORAT EN MEDECINE (Page 66-71)

A. LA QUALITE DE LA RELATION MEDECIN/MALADE

2. L’information du malade

a. Le corps objet

Nous l’avons vu précédemment, l’autorité du médecin fait loi dans la médecine du XXème

siècle. Une des dérives majeures de ce principe établi est l’assujettissement total des malades

aux médecins, qui n’hésitent pas à utiliser leurs patients comme outils d’enseignement ou de

découvertes. Dans cette optique, il est bien évident que l’information du malade n’est pas la

priorité.

Plusieurs auteurs décrivent ainsi « la grande visite » du patron. La scène est toujours la même,

Bicêtre

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: le professeur, personnage central de la procession, se déplace de lit en lit dans le

service et donne son avis sur la prise en charge des patients. L’objectif premier, le traitement

et la santé des patients, est souvent détourné au profit de l’instruction des jeunes étudiants,

qui, généralement, arrivent à peine à entrer dans la chambre, à entendre deux ou trois mots et

à entre-apercevoir le malade. L’humiliation des patients, mis à nus devant une dizaine,

vingtaine ou trentaine de personnes, est réelle mais anodine au regard de la science et de la

formation des futurs médecins (Annexe 22).

L’utilisation du corps des malades comme source d’enseignement a longtemps persisté en

France : Martin Winckler

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reprend un article du journal Le Monde du 10 mars 1978 dans

lequel Claire Brisset relate les Journées Dermatologiques de Paris qui rassemblaient plusieurs

centaines de congressistes à l’hôpital Saint Louis. Les malades étaient pourvus de numéros et

exhibés comme des animaux devant des médecins qui n’hésitaient pas à faire des

commentaires déplacés voire des attouchements. Les progrès de l’audiovisuel et la

contestation de ce genre de pratique par certains professeurs ont permis l’abandon de ces

« expositions » (Annexe 23).

Le corps malade est parfois aussi utilisé comme objet d’expérience. Le Professeur Rohner

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est très satisfait que son assistante Catherine ait attrapé, par contact avec ses cobayes, la

bactérie sur laquelle il travaille depuis tant d’années. Les expérimentations sur l’homme étant

interdites, Catherine lui offre un terrain d’étude très appréciable. Plutôt que de se préoccuper

de sa santé, il est déçu de ne pas voir apparaître suffisamment rapidement les signes de

défaillance cardiaque et rénale, et s’emporte quand la pauvre malade présente une pleurésie

qui ne cadre pas avec son « tableau ». Au décès de la fille, il réalise une autopsie pour prouver

que ses intuitions étaient les bonnes et publie ensuite « un mémoire sur le Stroptoccocus

La mort en effet, ne délivre pas les patients de l’emprise des médecins sur eux : l’intérêt

scientifique prime. Dans Le passage

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, Jean Reverzy décrit la vie de Palabaud à Tahiti puis

son retour en France pour des raisons médicales. Atteint d’une cirrhose avancée, Palabaud

passe entre les mains de plusieurs médecins pour finalement mourir dans le service du

professeur Joberton de Belleville, le plus réputé de la ville. L’éminent professeur, malgré la

certitude de l’origine du décès, réalise une autopsie pour contenter sa curiosité (Annexe 24).

b. De la communication verbale et non verbale au consentement libre éclairé

Tous les médecins n’utilisent bien évidemment pas leurs patients pour contenter leur vanité ou

leur curiosité. D’autant plus qu’au cours du XXème siècle, le malade prend progressivement

sa place dans la relation médecin/malade : l’accès à l’éducation facilite ce changement et

modifie peu à peu les relations de pouvoir au sein du couple. Le langage et la communication

prennent alors toute leur dimension.

Comme tout langage technique, le langage médical est indispensable pour une expression

précise mais peut devenir un jargon qui dresse une barrière entre ceux qui savent et les

profanes. Pendant longtemps, les médecins s’en sont servis pour manipuler les malades, mais

aussi pour les ménager ou cacher leur ignorance.

Le vocabulaire médical est particulier : il n’est pas accessible d’emblée à tout un chacun et

son acquisition contribue à la longueur des études. Antoine Sénanque explique bien dans

Blouse

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comment le médecin peut très facilement se camoufler derrière les mots

hyperspécialisés pour satisfaire la demande du patient et/ou dissimuler son ignorance (Annexe

25). Le chirurgien Lartois

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, lui, utilise les termes savants non « pour se hausser devant

l’ignorant mortel, mais bien plus souvent pour mettre un écran entre le malade et son mal ».

Pour ménager son patient et éviter de lui expliquer que toutes ses artères, des pieds à la tête,

sont « bouchées », il emploie des mots que le vieil homme ne comprend pas et n’hésite pas à

minimiser les conséquences en employant des métaphores : « il faudra peut-être faire des

sacrifices » signifie, dans l’esprit du chirurgien, « amputation ». Le malade, en revanche, n’a

probablement pas perçu les choses de la sorte.

Knock

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, de son côté, a très tôt compris le bénéfice qu’il pouvait tirer du maniement du

langage de manière générale, et du langage scientifique en particulier : la manipulation des

personnes. A une patiente qui vient consulter pour une insomnie, il lui explique, en

agrémentant sa démonstration de termes plus ou moins médicaux, que son cas est d’une

extrême gravité. Puis il utilise les représentations et les peurs de la femme pour la convaincre

de la nécessité d’un traitement qui sera bien évidemment long et coûteux (Annexe 26).

D’autres modes de communication sont utilisés par les médecins pour transmettre des

informations à leurs patients. A une époque où les antibiotiques n’existent pas, le professeur

Philip

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vient donner son avis au chevet d’une petite fille atteinte d’une otite compliquée. Il

l’examine consciencieusement en silence, puis, relevant la tête, croise le regard du père qui a

déjà compris que la mort est certaine. Toujours sans prononcer un mot, il sort de la pièce et

s’apprête à partir mais revient finalement sur ses pas et transmet toute son empathie et ses

regrets au père en lui mettant simplement une main sur son bras. Puis il quitte l’appartement

(Annexe 27). Le professeur n’a pas eu besoin de mettre des mots sur l’issue fatale de la

maladie ou sur ses sentiments : la communication par le silence et le toucher a suffi.

A la fin du XXèmesiècle, la communication sert à l’information du malade. Celle-ci prend de

plus en plus d’importance dans la relation médecin/malade et devient même un point crucial

du serment médical. Les médecins ont maintenant le devoir d’expliquer à leurs patients leurs

pathologies, les traitements prescrits, les tenants et les aboutissants de leur prise en charge.

En effet, la non-information des malades peut avoir des conséquences dramatiques. Martin

d’une tuberculose génitale. Le gynécologue, au vu des résultats, lui annonce qu’elle est

stérile : la jeune femme suit son traitement antituberculeux et se passe de contraception.

Quelques mois plus tard, elle tombe enceinte et se réjouit à l’idée de pouvoir, finalement,

avoir un autre enfant. Mais les médecins l’informent alors que l’un des traitements qu’elle

prend est tératogène, et préconisent une interruption médicale de grossesse. La jeune femme,

suite à l’avortement, fait une dépression et tente de se suicider (Annexe 28). Les médecins,

par négligence ou manque de temps, n’ont pas pris le temps d’informer correctement la jeune

femme et ont mis sa vie en danger.

L’information des malades a son importance tout au long de la consultation, et

particulièrement au cours de l’examen clinique, pour éviter de blesser ou d’humilier les

patients. Notamment quand l’examen touche les zones intimes des personnes : dans La

Vacation

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, le narrateur expose son point de vue médical de l’examen gynécologique d’une

femme, et ponctue son récit de phrases destinées à la patiente, pour l’informer des gestes et

des actes qu’il réalise (Annexe 29).

Mais le but ultime de l’information des malades est de leur permettre de réaliser un choix

éclairé en ce qui concerne leur prise en charge. Pour chaque circonstance, le médecin doit

pouvoir fournir les différentes alternatives possibles au malade, en lui précisant les bénéfices

et les inconvénients de chacune. Le patient peut alors choisir l’option qui convient le mieux à

sa situation personnelle. Le professeur Zimmermann

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nous offre un exemple éloquent de

consentement libre éclairé : lors d’un staff multidisciplinaire, différents médecins se disputent

au sujet de la prise en charge d’un vieux monsieur atteint de métastases bloquant ses deux

reins. Une des options est de le mettre en dialyse, ce qui lui donnerait trois à six mois de

sursis ; l’autre option étant de le laisser tranquille et de le regarder mourir en quinze jours. Les

médecins, n’arrivant pas à se départager, demandent l’avis du professeur Zimmerman.

Celui-ci, au lieu de leur donner son point de vue personnel, propose d’aller voir ce qu’en pense le

malade. Et le patient leur fournit la réponse : il préfère se faire dialyser pour avoir le temps de

terminer d’écrire son livre (Annexe 30).

L’autorité du médecin, imposée au malade pendant de nombreux siècles, a donc vu son

importance diminuer progressivement au cours du XXème siècle pour aboutir à une relation

plus égalitaire dans laquelle le choix libre éclairé est primordial, au bénéfice du patient le plus

souvent.

Dans le document DOCTORAT EN MEDECINE (Page 66-71)

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