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La place du maître

Dans le document DOCTORAT EN MEDECINE (Page 51-56)

A. LA TRANSMISSION DES SAVOIRS

1. La place du maître

a. Relation inégalitaire maître à élève

Le serment d’Hippocrate énonce très clairement la nécessité d’une transmission des savoirs,

dans un cadre réglementé qui n’est plus celui de la famille à proprement dit, mais qui met en

place de réelles relations de filiation entre le maître et son élève. Le respect, l’obéissance, la

loyauté et la reconnaissance du disciple envers son initiateur sont les fondements de leurs

rapports inégalitaires, initialement du moins.

Laurent Pasquier

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, narrateur de la chronique familiale du même nom, étudie simultanément

la biologie et la médecine. Il désire plus que tout travailler aux côtés des savants de son

époque, « dans le rayonnement des grands », pour y « respirer le souffle des héros ». Dans le

tome « Les Maîtres », il prépare son doctorat ès sciences avec le professeur Chalgrin au

Collège de France et son doctorat de médecine avec le professeur Rohner à l’institut Pasteur.

Son choix est mûrement réfléchi et non le fruit d’un simple hasard : Laurent veut apprendre

considérablement. Pour lui, « le mot patron veut (…) dire modèle et surtout père, c’est-à-dire

celui qui protège et même celui qui engendre » (Annexe 1). Après avoir été déçu de

nombreuses fois par son véritable géniteur, il est prêt à obéir, à travailler sans relâche, à se

donner corps et âme à ces hommes qu’il considère comme ses nouveaux guides, ses initiateurs

à la vie qu’il s’est choisie.

Au risque même de se désavouer : quand Catherine, l’assistante du laboratoire de Rohner,

meurt d’une endocardite après contact avec les cobayes sur lesquels le scientifique étudie une

nouvelle maladie, Laurent, proche de cette femme, tente pendant un court instant de s’opposer

à la décision d’autopsie. Mais le ton sarcastique de Rohner et sa force de persuasion laissent

Laurent sans voix, dans les abîmes profonds de la lâcheté. Au nom de la science, l’autopsie de

Catherine est réalisée, avec la participation active de Laurent qui en garde longtemps un

souvenir amer. L’autorité du maître a été la plus forte ; Laurent n’a pu que s’y soumettre :

« Tu ne sais pas ce que représente pour nous, jeunes hommes, apprentis de la médecine ou des

sciences, notre patron, notre maître. Tu ne peux comprendre que pour nous, les mots de

respect et d’obéissance ont encore un sens très fort, que ces gens peuvent nous faire, d’un

mot, d’un regard, parfois rougir, parfois trembler et parfois même pleurer. » (Annexe 1 bis).

A l’opposé du dégoût que lui inspire peu à peu Rohner, Laurent trouve un écho plus favorable

dans sa relation avec Chalgrin. Il découvre en lui la quintessence du maître. Leur

rapprochement progressif permet même à Chalgrin de se livrer à des confidences intimes,

comme il le ferait avec son propre fils (Annexe 1 ter). Il ne s’agit pas encore de rapports

égalitaires, mais ces épanchements démontrent que Chalgrin considère Laurent comme son

successeur spirituel et scientifique.

De même, Antoine Thibault

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a trouvé son maître en la personne du docteur Philip, au cours

de l’un de ses stages d’interne. L’attachement est réciproque : le patron reconnaît en lui le

disciple avec lequel il peut parler en toute confiance et liberté. Installé, Antoine exerce la

médecine libérale dans son cabinet mais retrouve parfois son initiateur pour des urgences à

domicile. A ses côtés, il retombe sous tutelle : l’autorité du « Patron » est immédiatement

restaurée malgré l’indépendance et l’expérience propre d’Antoine. Leurs rapports sont

devenus amicaux, professionnellement quasi-égalitaires voire concurrentiels parfois, mais le

respect et la considération du maître persistent malgré les années (Annexe 2).

b. Considération et reconnaissance éternelles du maître

Le maître représente, aux yeux de ses disciples, « l’idéal » et la perfection à atteindre, sur le

plan médical et parfois aussi sur le plan personnel. Son dévouement et sa passion suscitent

l’engouement et le respect des jeunes étudiants : chacun désire apprendre et se surpasser en

travaillant aux côtés de celui qui semble posséder Le Savoir.

Laurent Pasquier

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éprouve une réelle admiration pour ses deux mentors, teintée de sentiments

opposés.

A l’égard de Rohner, Laurent se sent progressivement partagé entre l’exaltation que lui

procurent les idées et travaux du chercheur, et l’aversion que lui inspirent le personnage et ses

méthodes.

En revanche, Chalgrin est son maître absolu, « celui qu’ [il] aime et dont [il sent] qu’ [il l’]

aura vraiment formé »

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: sa considération et son amour perdurent quand un accident

vasculaire cérébral rend son initiateur hémiplégique et aphasique. La décrépitude

intellectuelle définitive de celui qu’il vénère profondément, notamment pour sa vivacité

d’esprit, l’attriste mais il continue à lui rendre régulièrement visite. Les entrevues s’espacent

cependant progressivement au fil du temps : l’homme qu’il va voir n’est qu’un pâle reflet du

maître qu’il a perdu. Sa culpabilité s’exacerbe à la pensée de son désintérêt pour la réalité

physique de son guide. Mais, malgré la maladie de son cher patron, il reste à jamais marqué

par ses brillantes facultés passées (Annexe 3).

L’aura du maître est ainsi inaltérable, souvent même au-delà de la mort. Jean Reverzy, dans

son roman Place des angoisses

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, met en scène le Professeur Joberton de Belleville. Issu

d’une prestigieuse lignée de médecins, il est lui-même chef de service reconnu et respecté

dans toute la ville. Chaque matin, après avoir bu sa tasse de café, il démarre sa visite suivi du

long cortège de ses disciples. Au pas de course, il parcourt tout l’hôpital pour examiner les

patients et délivrer, d’un lit à l’autre, son enseignement à la cinquantaine de personnes

pendues à ses lèvres. Après la visite, le maître se retire et abandonne ses élèves esseulés,

désemparés. Sa mort, quelques années plus tard est l’objet du même rituel : l’enterrement

regroupe la plus longue colonne de disciples que le professeur ait jamais eue (Annexe 4) et

son départ laisse un grand vide que rien ni personne ne vient combler : l’intelligence et

l’esprit du patron sont irremplaçables dans le cœur de ses initiés (Annexe 4 bis).

c. Humilité partagée vis-à-vis de la vie : l’apprentissage permanent du maître

L’étudiant en médecine est, à ses débuts, dépendant de l’enseignement que lui délivrent ses

aînés. Au fil du temps, il enrichit son savoir et son expérience personnelle : l’inégalité

maître-disciple s’atténue alors progressivement. Et comme le souligne le serment d’Hippocrate,

l’initié devient finalement lui-même initiateur.

Antoine Thibault

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découvre ainsi fortuitement qu’il peut lui aussi inspirer le respect à

d’autres médecins et acquérir le statut de maître. Lorsqu’une petite fille que connait M.

Chasle, le secrétaire de son père, se fait écraser par un triporteur, Antoine accompagne

l’homme anéanti à son domicile. Un jeune médecin est au chevet de l’enfant et tente de lui

donner les premiers soins. Lors de son examen, Antoine décèle une plaie de l’artère fémorale

et décide d’en réaliser la ligature sur-le-champ, sur la table de la cuisine. Après de longs

moments d’incertitude, l’enfant est finalement sauvée : le jeune médecin ne peut alors

contenir son admiration et son respect pour Antoine et le lui signifie en l’appelant « Maître ».

L’enivrement et la fierté passés, Antoine répond : « Je ne suis pas un maître […] Un élève,

mon cher, un apprenti : un simple apprenti. Comme vous. Comme les autres. Comme tout le

monde. On essaie, on tâtonne… On fait ce qu’on peut ; et c’est déjà bien. » (Annexe 5).

Antoine comprend alors que tout médecin, maître ou élève, est en perpétuelle formation et

que l’humilité et le surpassement de soi sont indispensables pour soigner correctement ses

semblables.

Jacques Chauviré exprime encore plus explicitement la nécessité d’un apprentissage continu

du praticien qui s’effectue, selon lui, dans la réciprocité du lien maître à élève. Dans son

roman Passages des émigrants

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, le docteur Desportes travaille dans une résidence pour

personnes âgées accolée à un hospice. Pour l’aider dans sa lourde tâche et soigner au mieux

tous les pensionnaires, notamment les grabataires localisés dans les infirmeries de l’hospice,

deux internes, Masson et Fangio, l’assistent. Malgré quelques divergences sur les décisions

prises et les méthodes de travail, l’entente et la confiance règnent entre les trois hommes. Le

docteur Desportes n’hésite d’ailleurs pas à remercier ses jeunes confrères pour leur appui et

leurs compétences tout en soulignant la réciprocité de leur relation :

«

vous m’avez beaucoup

aidé […]. Il faut me seconder encore. Votre présence ici a transformé ma vie. Vous m’avez

non seulement apporté votre jeunesse mais aussi des connaissances nouvelles et un savoir plus

frais. Quant à moi, je vous ai donné ce que j’ai pu de mon expérience. Je crains de vous avoir

parfois appris le doute. Ne faites pas attention à mon scepticisme ». La transmission du savoir

s’effectue dans les deux sens : l’initiateur est conscient de l’apport de ses disciples pour sa

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