• Aucun résultat trouvé

Section 1 : La preuve par les circonstances

I. La preuve par déduction

Face à la difficulté de rendre la preuve de l’état d’esprit de l’accusé, en droit canadien comme en droit français il n’est pas rare de voir les juges tirer une inférence depuis les faits établis pour apporter cette preuve. Dans l’affaire Théroux, le juge McLachlin s’exprime ainsi : « Dans certains cas, la conscience subjective des

conséquences peut être déduite de l'acte lui-même, sous réserve de quelque explication qui vient mettre en doute cette déduction. Le fait qu'une telle déduction soit faite ne diminue en rien le caractère subjectif du critère402. »

Les juges déduiront l’élément moral de la nature de l’acte et des circonstances dans lesquelles il a été posé403. La preuve de la mens rea sera alors déduite de la preuve de

400Merle, supra note 303, p. 62 §58

401Côté-Harper, Rainville et Turgeon, supra note 16, p. 485 402R. c. Théroux [1993] 2 RCS 5, p. 18

l’actus reus404.

En droit français, la preuve de l’élément moral de l’infraction doit aussi être rapportée par la partie poursuivante405. On distingue de la même manière qu’en droit

canadien, l’intention générale de l’intention spécifique, appelés plus couramment le dol général et le dol spécial.

Si l’infraction requiert un dol général, alors l’élément moral sera très souvent déduit de la commission de l’infraction par l’accusé406. Les juges considèrent que, l’individu –

souvent un professionnel – est censé connaître la loi et qu’ainsi, s’il l’enfreint, c’est nécessairement parce qu’il a l’intention de l’enfreindre, qu’il n’a pas pu avoir une autre volonté que celle de commettre l’acte407. Ce raisonnement a été admis pour de nombreuses

infractions telles que la tromperie, la corruption, la prise illégale d’intérêt ou encore le trafic d’influence408. Cela a aussi été le cas pour l’infraction d’appels téléphoniques

malveillants409. Dans une affaire du 4 mars 2003, la Chambre criminelle de la Cour de

cassation a jugé qu’il appartenait à la cour d’appel de rechercher si l’intention de l’accusé ne se déduisait pas du contenu même du message410. Cette déduction supporte bien

heureusement la preuve contraire apportée par l’accusé411.

Si une telle déduction est commune412, il n’en reste pas moins qu’elle est attentatoire

à la présomption d’innocence. Comme l’a récemment rappelé le Conseil constitutionnel : « la preuve de l'intention de l'auteur des faits de préparer une infraction en relation avec

une entreprise individuelle terroriste ne saurait, sans méconnaître le principe de nécessité

404Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2005] 2 RCS 100, §105 :

« Souvent, l’élément moral ressortira de la preuve des éléments constitutifs de l’infraction »

405Guinchard et Buisson, supra note 244, p. 477 §509

406Bouloc, Procédure pénale, supra note 345, p.117 §143 et Dreyer, supra note 15, p. 574 §840 407Guinchard et Buisson, supra note 244, p. 477 §509

408V. not. : Cass. Crim., 21 novembre 2001, 00-87.532 au sujet du délit de prise illégale d’intérêt et Cass.

Crim., 13 juin 2006, 05-87.231 au sujet du délit de tromperie.

409Code pénal, article 222-16

410Cass. crim., 4 mars 2003, 02-86.172 411 Dreyer, supra note 15, p. 574 §840

412V. à ce sujet : S. Pellé, « De l'intention criminelle en général et de l'intention terroriste en particulier », JCP

G, 2017, n°24, 670, §1 rappelant la jurisprudence constante de la Cour de cassation et concluant : « La

volonté criminelle, pourtant si caractéristique de la faute, n'est alors, bien souvent, que la conséquence raisonnable et probable d'une circonstance matérielle. »

des délits et des peines, résulter des seuls faits matériels retenus comme actes préparatoires413 ».

Autrement dit, si l’infraction requiert un dol spécial de la part de l’accusé alors la preuve ne pourra plus être déduite de la simple commission des faits414. Le ministère public

devra nécessairement apporter la preuve que l’agent a commis l’infraction dans un but spécifique. Pour pallier à cette difficulté, la loi a créé certaines présomptions d’existence du dol spécial de l’accusé415.

Cette déduction est distincte de la présomption de common law selon laquelle : « les

gens veulent les conséquences naturelles de leurs actes416 ». En effet, la première porte sur

la nature de l’acte infractionnel et sur les circonstances de sa commission tandis que la seconde en fait abstraction. Cette seconde déduction est parfois utilisée pour prouver la

mens rea de l’accusé417 ; elle signifie que l’agent a nécessairement cherché le résultat

obtenu et pour cela, elle est plus dangereuse pour le respect de la présomption d’innocence, même s’il ne s’agit pas d’une présomption légale mais d’une déduction facultative, sans caractère obligatoire418.

Cette déduction est d’autant plus dangereuse dans le contexte des nouvelles technologies. La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans l’affaire Missions énonce que cette déduction « s’applique à l’utilisation d’un ordinateur, tout comme à toute autre

activité humaine419 ». Il nous semble que ce raisonnement fait totalement abstraction de la

nature particulière des nouvelles technologies qui les rend facilement incontrôlables. En effet, il n’est pas rare pour un internaute de télécharger par inadvertance ou par accident

413Cons. const., 7 avril 2017, n° 2017-625 QPC, consid. 16 414Guinchard et Buisson, supra note 244, p. 478 §510 415Guinchard et Buisson, supra note 244, p. 482 §522

416R. v. Missions, 2005 NSCA 82, §21. V. aussi Côté-Harper, Rainville et Turgeon, supra note 16, p. 487 417Vauclair, supra note 270, p. 258 §584

418V. à ce sujet R. c. Farrant [1983] 1 RCS 124, p.125 : « il s’agit d’une règle de bon sens et non d’une règle

de droit » et R. c. Robinson [1996] 1 RCS 683, §97 ; Côté-Harper, Rainville et Turgeon, supra note 16, p.

488 ; Vauclair, supra note 270, p. 257 §584 ; Fortin, supra note 247, p. 336 §429

419R. v. Missions, 2005 NSCA 82, §21 ; v. aussi : R. c. Panko, 2007 CanLII 41894 (ON SC), §68 ; R. v.

certains fichiers420. Il peut ainsi être en possession d’images de pornographie juvénile sans

l’avoir souhaité et donc avoir posé un acte sans en avoir voulu les conséquences. De la même manière, l’infraction de distribution de pornographie juvénile peut être facilement réalisée sans que l’accusé en ait eu l’intention, et cela par le partage automatique des fichiers que suppose l’utilisation d’un logiciel de partage de fichiers tel que LimeWire ou

Emule. C’est pour cela qu’il nous semble impérieux d’exiger du ministère public la preuve

d’un acte de contrôle positif, d’une action délibérée421 au lieu de se contenter de déduire

l’élément moral de l’infraction par la réalisation d’un acte qui a pu être fortuit, ou accidentel422.