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Section 1 : La légalité des présomptions

I. La notion de présomption

Le législateur comme le juge peuvent édicter des présomptions (A) qu’il appartiendra à l’accusé de renverser (B).

301Code pénal, article 222-16

A. Le développement des présomptions

Face à la difficulté de rendre la preuve de la culpabilité de l’accusé, il arrive aux législateurs et aux juges de chercher à « annuler l’avantage que la présomption

d’« innocence » donne à l’individu poursuivi303 ». Leur objectif est louable : ne pas laisser

impunis les auteurs d’infractions304. Devant le risque de devoir acquitter un accusé, faute de

preuves matérielles suffisantes alors qu’il est très probablement le coupable, ils en viennent à renverser la charge de la preuve par l’élaboration de présomptions. Celles-ci peuvent être édictées par le législateur comme par le juge, on parlera alors de présomptions légales et de présomptions jurisprudentielles.

Pour le Doyen Cornu, une présomption est un « procédé technique qui entraîne,

pour celui qui en bénéficie, la dispense de prouver le fait inconnu, difficile ou impossible à établir directement, à charge de rapporter la preuve plus facile du fait connu305 ». En ce

sens, pour le Professeur Fortin, « elles ne sont qu’une suggestion faite à l’esprit de déduire

un fait inconnu à partir d’un fait connu306 ».

Les présomptions peuvent porter sur différents éléments de l’infraction307. Le plus

souvent elles porteront sur l’un des éléments matériels de l’infraction308. C’est le cas de

l'infraction prévue à l'article 225-6 du Code pénal qui prévoit que celui qui ne peut justifier de ressources correspondant à son train de vie tout en vivant avec une personne qui se livre habituellement à la prostitution est présumé commettre le délit de proxénétisme. Pareillement, l'ancien article 212 (3) du Code criminel, abrogé en 2014309, prévoyait que 303P. Merle, Les présomptions légales en droit pénal, thèse, Nancy, 1970 [Merle] p. 49 §43. V. aussi P. Conte

et P. Maistre du Chambon, Procédure pénale, 4e éd., Paris, Armand Colin, 2002 [Conte et Maistre du

Chambon, Procédure pénale] p. 25 §39 selon qui la présomption d'innocence est « jugée parfois trop

défavorable aux intérêts de la société ».

304Merle, supra note 303, p. 49 §43

305G. Cornu, Vocabulaire juridique, 11e éd., coll. Quadrige, Paris, PUF, 2016, « Présomption »

306Fortin, supra note 247, p. 37 §56

307Merle, supra note 303, p. 49 §43 et Conte et Maistre du Chambon, Procédure pénale, supra note 303,

p. 26 §42

308Merle, supra note 303, p.49 §44

309L'article 212 du Code criminel a été abrogé par la loi sur la protection des collectivités et des personnes

victimes d’exploitation. L.C. 2014, ch. 25, art. 13. Il avait été jugé contraire à la présomption d'innocence par les juges de la Cour suprême dans l'arrêt Downey mais tout de même justifié en vertu de l'article 1er de

celui qui vivait ou se trouvait habituellement en compagnie d'un prostitué était présumé vivre des fruits de la prostitution310.

Les présomptions peuvent aussi porter sur l’élément moral requis chez l’individu311.

Par exemple, l'article 35 bis de la loi française du 29 juillet 1881 prévoit que celui qui reproduit une imputation jugée diffamatoire est présumé agir de mauvaise foi.

Plus rarement la présomption porte sur l’identité de l’accusé. C’est cette dernière présomption qui intéresse notre étude.

Comme nous l’avons vu, il peut être périlleux pour la partie poursuivante de faire la preuve de l’identité de l’individu qui a commis une infraction au moyen des nouvelles technologies, celles-ci offrant un certain anonymat à ses utilisateurs312.

Nous cherchons donc à savoir s’il est envisageable de développer des présomptions de culpabilité à l’égard d’un individu, potentiellement le propriétaire d’un ordinateur, d’un téléphone ou d’un abonné à une ligne donnant accès à internet. Cela pourrait se traduire par une présomption établissant que le propriétaire d’un ordinateur est présumé coupable d’une infraction commise au moyen de celui-ci.

Pour qu’une telle présomption soit valide, elle doit pouvoir subir la preuve du contraire.

B. Le renversement des présomptions

Une présomption peut être simple ou irréfragable. Elle est irréfragable quand celui qu’elle vise n’est pas autorisé à la renverser, en l’espèce à prouver son innocence. Ces présomptions étant manifestement contraires au principe de la présomption d’innocence, ce ne sont pas d’elles qu’il s’agit ici. Nous nous intéressons donc exclusivement aux

310V. Côté-Harper, Rainville et Turgeon, supra note 16, p. 249 311 Merle, supra note 303, p.62 §58

présomptions simples qui peuvent être combattues par la preuve du contraire. Il convient dès lors de cerner comment concrètement l’agent pourra renverser la présomption dont il fait l’objet et à quelle norme de preuve il est contraint.

En droit canadien, il appartiendra à l’accusé d’apporter une preuve, ou des éléments de preuve permettant soit de démontrer son innocence, soit de soulever un doute quant à sa culpabilité313. Dans l’affaire Levigne, le juge Fish, citant la jurisprudence antérieure rendue

par la Cour suprême, rappelle que l’accusé peut se disculper en apportant une preuve ayant seulement une force probante, sans à être solide au point de convaincre le tribunal314. Cette

preuve doit être crédible au point de soulever un doute raisonnable dans l’esprit du juge315.

Le renversement de la charge de la preuve n’a donc pas nécessairement comme conséquence d’imposer à l’accusé une charge de persuasion de son innocence316.

L’atteinte à la présomption d’innocence est alors à nuancer317 : établir une

présomption de culpabilité à l’égard de l’accusé ne signifie pas que son droit à la présomption d’innocence est nécessairement et entièrement bafoué. L’exigence de preuve envers la partie poursuivante pour démontrer la culpabilité de l’accusé reste supérieure à celle requise chez l’accusé. La partie poursuivante doit apporter une preuve hors de tout doute raisonnable pour obtenir la condamnation de l’accusé tandis que celui-ci, en cas de présomption de culpabilité à son égard, doit seulement apporter une preuve mettant en doute sa culpabilité tant que le texte d’incrimination ne prévoit pas une obligation de convaincre318. C’est le cas des nombreuses dispositions établissant des présomptions qui

313Vauclair, supra note 270, p. 258 §586

314R. c. Levigne [2010] 2 RCS 3, §17 ; R. c. Gibson [2008] 1 RCS 397, §51 315La Reine c. Proudlock [1979] 1 RCS 525 p. 542-543

316R. c. Levigne [2010] 2 RCS 3, §17

317Fortin, supra note 247, p. 338 §431.V. aussi Côté-Harper et Manganas, supra note 268, p. 120 : « il existe

certains cas où l'accusé, s'il veut être acquitté, devrait introduire une certaine preuve, soit pour soulever un doute raisonnable ou encore pour persuader le maître des faits par la balance de probabilités la valeur de sa preuve (...) l'accusé ne possède jamais le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable son innocence. »

318Vauclair, supra note 270, p. 258 §586 : « l’accusé n’est obligé de présenter qu’une preuve de nature à

s’imposent « en l’absence de preuve contraire »319. On parle alors de présomption imposant

une charge de présentation320. Ces présomptions peuvent toutefois bafouer la présomption

d’innocence si la preuve de l’élément substitué n’entraîne pas inexorablement la preuve de l’élément présumé321. Ainsi, comme l’a jugé la Cour suprême dans Downey, la preuve que

l’individu vive avec une personne prostituée ne prouve pas inexorablement le fait qu’il vive des produits de la prostitution322.

Il en va autrement des dispositions qui prévoient des présomptions obligeant l’accusé, pour s’en dédouaner, de prouver son innocence par la prépondérance des probabilités. Comme l’énonce le juge Dickson dans l’arrêt Whyte, de telles présomptions violent la présomption d’innocence323 car elles permettent « une déclaration de culpabilité

malgré l’existence d’un doute raisonnable dans l’esprit du juge des faits quant à la culpabilité de l’accusé324 ». On parle ici de présomption imposant une charge de

persuasion325.

Une disposition qui viole le droit à la présomption d’innocence pourra toutefois être sauvegardée par l’article premier de la Charte, et cela qu’il s’agisse d’une présomption imposant une charge de présentation326 ou une charge de persuasion327 à l’encontre de

l’accusé328.

319Vauclair, supra note 270, p. 258 §586 et l'arrêt cité La Reine c. Proudlock [1979] 1 RCS 525, p. 544-545.

V. aussi Côté-Harper, Rainville et Turgeon, supra note 16, p. 247 qui considèrent que l'usage du terme « réputé » implique que l'accusé peut se défaire de la présomption en faisant naître un doute raisonnable dans l'esprit du juge.

320Fortin et Viau, supra note 8, p. 40 §46 321R. c. Downey [1992] 2 RCS 10, p. 27 et p. 29 322R. c. Downey [1992] 2 RCS 10, p. 30

323Cela ne signifie pas ipso facto que ces dispositions sont inconstitutionnelles. Elles pourront en effet être

justifiées par l'article premier de la Charte des droits et libertés. C’est par ailleurs ce qui a été fait par la Cour suprême dans l'arrêt Whyte : R. c. Whyte [1988] 2 RCS 3, p. 20 et s. et p. 27 ; Il convient de préciser

que cette justification n'est pas automatique, il arrive en effet que la Cour suprême juge que la disposition contestée « ne constitue pas une limite raisonnable au sens de l'article premier de la Charte », v. par exemple: R. c. Laba, [1994] 3 RCS 965, p. 1016 ; V. Vauclair, supra note 270, p. 259 §589

324R. c. Whyte [1988] 2 RCS 3, p.18. Solution confirmée notamment dans l'arrêt R. c. St-Onge Lamoureux

[2012] 3 RCS 187, §24

325Fortin et Viau, supra note 8, p. 39 §45 326R. c. Downey [1992] 2 RCS 10, p. 39 327R. c.Whyte [1988] 2 RCS 3, p. 20

328L’arrêt R. c. St-Onge Lamoureux [2012] 3 RCS 187, §31 liste les différents facteurs qui peuvent justifier

En droit français, il est admis que la présomption doit être simple pour pouvoir être constitutionnelle329. Cela signifie que l’agent est autorisé à apporter la preuve de son

innocence. On ignore néanmoins la norme de preuve que l’individu doit apporter pour renverser la présomption de culpabilité pesant à son égard. Doit-il rendre une preuve hors de tout doute raisonnable de son innocence ou alors peut-il se contenter d’apporter une preuve soulevant un doute quant à sa culpabilité ?

La réponse variera selon les présomptions et selon les espèces330.