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Section 2 : le double critère de l’occasion et de l’intention

I. La notion d’occasion exclusive

Ces questions se sont posées dans l’affaire Villaroman dans laquelle un individu était accusé de possession de pornographie juvénile.

Les faits sont les suivants : l’accusé avait confié son ordinateur à un technicien d’un atelier de réparation qui, lors de ses travaux, y a découvert de la pornographie juvénile. Vu le nombre de fichiers, il a contacté les services de police qui ont saisi l’ordinateur. Le propriétaire de l’ordinateur a été accusé des infractions de possession, distribution et accès à la pornographie juvénile. En première instance, le juge du procès l’a déclaré coupable du premier chef d’accusation et l’a acquitté des suivants. La Cour d’appel l’a acquitté du chef de possession de pornographie juvénile et le ministère public a formé un pourvoi qui fut

259R. c. Yebes [1987] 2 RCS 168, p. 186-187 260R. v. Ferianz (1962), 37 C.R. 37 (C.A. Ont.) 261R. c. Yebes [1987] 2 RCS 168, p. 187

accueilli par la Cour suprême.

Une affaire sensiblement identique a été traitée par la cour d’appel de Paris en 2009263. Un individu était poursuivi pour avoir détenu, sur son ordinateur et sur une clef

USB, des images à caractère pédopornographique. Au regard de la preuve de ses relations conflictuelles avec sa femme et du fait qu’elle avait eu accès au matériel informatique de son mari, la cour d’appel a estimé que subsistait un doute raisonnable sur le fait que c’était effectivement l’accusé qui détenait ces images. L’acquittement de l’accusé a donc été prononcé.

Dans ces deux affaires, une des questions posées aux juges des faits consistait à se demander si la seule preuve circonstancielle, établissant que du contenu à caractère pédopornographique avait été trouvé dans l’ordinateur de l’accusé, pouvait lui permettre de déduire que l’accusé savait qu’il possédait ces fichiers et donc qu’il répondait à l’exigence de connaissance requise par l’infraction de possession264.

Précisément, la question intéressait de savoir comment devait être traitée une preuve circonstancielle et si, dans de telles circonstances, les juges étaient tenus d’examiner les autres hypothèses plausibles compatibles avec l’innocence de l’accusé. Ainsi il était demandé si les juges devaient s’interroger sur le fait que d’autres personnes aient pu commettre l’infraction, ce qui aurait pu avoir comme conséquence l’acquittement de l’accusé.

Dans les deux affaires, il pouvait être plausible que le contenu pédopornographique retrouvé dans l’ordinateur de l’accusé appartenait à un tiers ou avait été placé dans son ordinateur par autrui sans que l’accusé ne sache que son ordinateur contenait de la pornographie juvénile265. C’est ainsi qu’a raisonné la cour d’appel de Paris, en constatant

qu’en l’espèce, l’innocence de l’accusé était une hypothèse plausible. Pour cette raison,

263CA Paris, pôle 3, ch. 5, 2 oct. 2009, n° 08/05192 : JurisData n° 2009-012130 cité par A. Lepage, « Un an

de droit pénal des nouvelles technologies », Dt pénal, 2010, §27

264R. c. Villaroman [2016] 1 RCS 1000, §57 265R. c. Villaroman [2016] 1 RCS 1000, §70

l’acquittement fut prononcé266. La Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire Villaroman a

raisonné de la même manière. Elle a estimé qu’en s’abstenant d’analyser les autres hypothèses plausibles compatibles avec l’innocence de l’accusé, le juge du procès avait prononcé une déclaration de culpabilité déraisonnable267.

La question de l’examen éventuel des autres hypothèses plausibles et compatibles avec l’innocence de l’accusé n’est pas nouvelle à cette espèce. Elle a notamment été traitée au cours de l’Affaire Hodge268. Cet arrêt a donné naissance à la règle d’Hodge selon

laquelle le tribunal doit annoncer aux jurés qu’ils ne peuvent décider de la culpabilité de l’accusé uniquement s’ils sont convaincus que la preuve apportée est incompatible avec toute autre solution logique269.

Cette règle a été assouplie270, notamment par l’affaire Cooper au cours de laquelle

les juges affirment qu’il n’est pas nécessaire de formuler une telle directive au jury dans ces termes271. L’arrêt énonce que le jury doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que

la culpabilité de l’accusé est la seule déduction logique qui puisse être tirée des faits prouvés avant de pouvoir fonder un verdict de culpabilité sur une preuve indirecte272.

L’évolution constatée repose plus sur l’usage d’une formule de directive prononcée aux jurés que sur le degré de conviction requis273. Que la preuve soit directe ou

circonstancielle, le juge des faits devra être convaincu hors de tout doute raisonnable274.

266CA Paris, pôle 3, ch. 5, 2 octobre 2009, n° 08/05192 : JurisData n° 2009-012130 267R. v. Villaroman, 2015 ABCA 104, §25 et s. et §37

268G. Côté-Harper et A. Manganas, Principes de droit pénal général, Cowansville, Yvon Blais, 1981

[Côté-Harper et Manganas] p. 135

269R. c. Hodge (1838) 168 E.R. 1136 : « the jury could only convict if [...] the facts were such as to be

inconsistent with any other rational conclusion than that the prisoner was the guilty person. »

270L'auteur M. Vauclair parle plutôt d'une « abolition » de cette règle : M. Vauclair, Traité général de preuve

et de procédures pénales, 23e éd., Montréal, Thémis et Yvon Blais, 2016 [Vauclair] p. 1139 §2498

271R. c. Cooper, [1978] 1 RCS 860, p. 881. V. aussi R. c. Mitchell [1964] RCS 471 p. 478 272R. c. Cooper, [1978] 1 RCS 860, p. 881

273Côté-Harper et Manganas, supra note 268, p. 137: « Nous refusons cependant d'admettre que la décision

dans Cooper impose un nouveau test. Il s'agit plutôt d'une précaution de bon sens que le juge doit mentionner au jury lorsqu'il s'agit d'une preuve totalement ou principalement circonstancielle. Le test pour déterminer la culpabilité du prévenu demeure celui de "hors de tout doute raisonnable" »

La question est alors : quelles solutions logiques incompatibles avec la culpabilité de l’accusé le juge doit-il examiner ? Quelle est la limite à cet examen ? Le juge doit-il prendre en compte toutes les hypothèses a minima plausibles et compatibles avec l’innocence de l’accusé ou doit-il se contenter des plus rationnelles ?

Dans le cas d’une infraction commise au moyen des nouvelles technologies, la question se poserait en ces termes : le juge doit-il rechercher parmi toutes les personnes de l’entourage de l’accusé si l’une d’entre elles avait eu l’intention et l’occasion de prendre possession de l’ordinateur de l’accusé afin d’y commettre un acte répréhensible ?

Les juges ont d’abord exigé que les solutions compatibles avec l’innocence de l’accusé examinées devaient être logiques et fondées sur des déductions tirées des faits prouvés275. Puis, ils ont convenu que les hypothèses n’avaient pas nécessairement à être

fondées sur des déductions « tirées de faits établis »276. La Cour suprême conclut dans

l’affaire Villaroman qu’il s’agit de considérer l’éventail des conclusions raisonnables qui peuvent être tirées de la preuve circonstancielle, ajoutant que s’il existe une autre conclusion raisonnable que la culpabilité de l’accusé, alors la preuve « ne satisfait pas à la

norme de la preuve hors de tout doute raisonnable »277. Il est ainsi affirmé que le juge doit

considérer d’autres thèses possibles compatibles avec l’innocence de l’accusé.

Ce qui nous amène à une nouvelle question : si le juge doit examiner toutes les autres conclusions raisonnables que la culpabilité de l’accusé, qu’est-ce qu’une conclusion raisonnable ? Est-ce une conclusion raisonnable que d’estimer qu’un inconnu a pu avoir accès à l’ordinateur depuis lequel l’infraction a été commise et poser l’acte infractionnel ? Ou au contraire, n’est raisonnable que la conclusion qui implique des individus proches de l’accusé, comme son conjoint, ses enfants, ses amis ? Qu’en est-il alors des individus ayant pu avoir un accès restreint à l’ordinateur de l’accusé, comme un technicien effectuant des réparations sur l’ordinateur, un invité présent au domicile de l’accusé, un collègue de travail ?

275R. c. McIver, [1965] 2 O.R. 475 (C.A.), p. 479 276R. c.Khela, 2009 CSC 4, [2009] 1 RCS 104, §58 277R. c. Villaroman [2016] 1 RCS 1000, §35

Le célèbre arrêt Lifchus nous éclaire en édictant qu’« un doute raisonnable n’est

pas un doute imaginaire ou frivole », et en affirmant que celui-ci doit reposer plutôt sur la

raison et le bon sens ainsi que logiquement découler de la preuve ou de l’absence de preuve278. Le juge Cromwell dans l’affaire Villaroman rappelle que si les juges doivent

considérer les autres thèses plausibles qui ne sont pas compatibles avec la culpabilité de l’accusé279, ils ne sont pas tenus d’examiner et de « réfuter toutes les hypothèses si

irrationnelles et fantaisistes qu’elles soient, qui pourraient être compatibles avec l’innocence de l’accusé280».

Mais est-ce fantaisiste d’imaginer qu’un inconnu ait pu profiter d’avoir un accès à l’ordinateur de l’accusé pour poser l’acte infractionnel ? La Cour suprême ne répond pas à cette question, qui devra donc être réglée selon les espèces281.