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LA PRESENCE DE TOPICALISATION IMPERSONNELLE : L’EXPRESSION DE CE QUI ECHAPPE AU SUJET PARLANT PERÇU

L'ANALYSE ET LES RESULTATS DE LA RECHERCHE

LA PRESENTATION DE SOI COMME SEMBLABLE AUX AUTRES ET L’EXPRESSION DU TRACE EN REGARD DE L’AUTRE

VII.1.2.2 LA PRESENCE DE TOPICALISATION IMPERSONNELLE : L’EXPRESSION DE CE QUI ECHAPPE AU SUJET PARLANT PERÇU

COMME UNE DOUBLE CONTRAINTE

Dans ce qui est dit en troisième personne, les topicalisations impersonnelles représentent environ 15 % de l’expression en troisième personne. Nous avons choisi de mettre notre projecteur sur les entretiens de K, J et Val. Il s’agit des entretiens dans lesquels la présence de constructions impersonnelles est la plus importante. Nous proposons de revenir sur ces entretiens en mettant en regard la construction impersonnelle avec ce qui est dit. A la suite de la présence de l’omnipersonnel "on" dans ce qui est dit, nous avons pu remarquer que la présence de topicalisations impersonnelles participait à exprimer une simulation de son action en position d’observateur. A la différence de ce qui est dit par le recours à l’omnipersonnel "on", le sujet parlant n’exprime plus une relation de re-semblance avec les autres, mais il fait entendre le point de vue distancié de l’observateur vis-à-vis des différentes contraintes qui entrent malgré lui dans la constitution de son tracé ou de son acte graphique. Pour appréhender les questions et les tensions qui s’imposent alors aux sujets, nous aborderons tout d’abord comment le sujet parlant utilise les topicalisations impersonnelles pour exprimer ce qu’il perçoit comme des contraintes extérieures à lui, ou au contraire propres à lui-même, avant d’approcher comment il fait entendre la construction virtuelle de son tracé au regard d’autrui.

Exprimer une contrainte de son environnement

Les constructions impersonnelles sont présentes dans ce qui est dit lorsque le sujet parle d’une contrainte de son environnement : "il fallait choisir la couleur, l’outil..." (Reformulé trois fois en 167*F2). Ces topicalisations impersonnelles impliquent des verbes comme ici, falloir, qui expriment une nécessité à laquelle le sujet ne peut se soustraire. La distance avec ce qui est dit est maximale. Elle fait entendre l’absence de prise sur le contenu de ce qui est dit (les consignes et le cadre institutionnel de l’activité) : le pronom il "impersonnel" correspond au sens que relève Wilmet "s’agissant de moi comme n’en ayant pas les moyens" (Wilmet 2003, p. 506). Dans le contenu de ce qui est dit, F renvoie aux contraintes données par la formatrice ("choisir une couleur"). La topicalisation impersonnelle accompagnée du verbe falloir concourt à exprimer une nécessité qui échappe au sujet parlant.

Exprimer ce qui advient comme l'imperceptibilité du tracé en train de se constituer

Cependant, la construction impersonnelle ne fait pas uniquement référence à une contrainte vécue comme extérieure au sujet parlant. F dit un peu plus loin en faisant référence aux couleurs :

"il fallait contraster un petit peu..." (167*F2). A ce moment-là, il ne s’agit plus d’une contrainte de l’environnement, mais une contrainte que se donne F elle-même. La construction impersonnelle de la phrase fait également résonner en creux, l’absence de prise du sujet parlant et percevant sur ce choix pictural. Suivant le sens commun, celui-ci apparaît comme une "nécessité intérieure". L’impersonnalité de ce qui est dit accompagné du verbe falloir fait donc entendre un choix impérieux qui s’impose à F, en relation avec l’impalpabilité de ce qui a présidé à ce choix, au moment où elle parle.

D'autres formes impersonnelles sont présentes dans notre matériau, comme les expressions "il y a" ou encore "il y en a", qui introduisent une proposition. La construction impersonnelle participe toujours à faire entendre ce qui échappe au sujet ou plus particulièrement ce qui est vécu comme imperceptible au sujet parlant. Son apposition focalise l’attention de l’auditeur sur ce qui suit. En focalisant ainsi l’attention de l’auditeur sur la proposition suivante, le sujet parlant désigne cette proposition comme importante et incite à écouter le contenu de ce qui est dit comme l’objet de son attention. Dans la retranscription des entretiens, nous avons remarqué la présence de cette double construction en relation avec la mise en mots des perceptions (vécues comme) originelles ou fondatrices du tracé calligraphique, et notamment lorsqu’il s’agit de perceptions kinesthésiques.

En ce sens, l’imperceptibilité du tracé en train de se constituer, se fait entendre dans la retranscription du premier entretien de F (F1) :

"il y a une espèce de rythme qui me vient (...) il y a quelques choses dans ce goût-là qui me vient" (50*F1) "il y a un temps d’arrêt" (28*F1).

Dans le contenu de ce qui est dit, F perçoit "un rythme", "un temps d’arrêt". Cependant, la perception est diffuse ("une espèce de", "quelques choses dans ce goût-là"). F souligne que ce rythme est présent pour elle-même ("qui me vient"). Le vécu antérieur est donc vivace pour le sujet parlant. Il exprime ainsi l’impersonnalité de ce qui lui advient. Ce qui advient à F est tout juste perceptible (elle perçoit le rythme kinesthésique) mais cette perception semble trop lointaine pour qu’elle puisse vraiment le com-prendre, au sens strict de prendre avec.

Exprimer contraintes environnementales et contraintes propres : laisser entendre la question de leurs articulations

Dans la retranscription du second entretien avec K, nous relevons :

"il y a une idée du mouvement que l’on a envie de faire

(...) il y a une idée du mouvement qui doit démarrer de là" (134*K2).

Le début de la phrase ("il y a une idée du mouvement que") est répété à l’identique comme une prosodie. Cette répétition crée une structure mélodique, qui guide la com-préhension de

l’auditeur. Contraintes environnementales et contraintes propres se répondent symétriquement par cette répétition, par cette prosodie. Ce faisant, K exprime les contraintes qu’elle prend en compte dans la constitution de son tracé particulier :

- la perception, qui semble hors de portée d’elle-même, est en relation avec l’intentionnalité ("l’envie") du mouvement, et la pré-vision de ce mouvement ("l’idée"),

- les contraintes matérielles liées au format de la feuille, (le mouvement doit démarrer là). Une question non-dite émerge entre ces deux contraintes. Il s’agit d’articuler ces données de contexte ("le mouvement qui doit démarrer là") avec celles du tracé pré-vu : une image ("idée") du mouvement ("que l’on a envie de faire"). Il s’agit bien de com-pendre, au sens strict de prendre-avec, les différents éléments posés comme contraintes.

La construction impersonnelle fait entendre et com-prendre la relation distanciée entre le sujet et ce qui est dit (à savoir : les contraintes environnementales et les contraintes propres, recouvrant elles-mêmes plusieurs champs de perception). Par ricochet, le sujet parlant fait entendre en creux, le processus de mise en relation entre ces différentes contraintes (voire les différentes perceptions) qui est à l’œuvre.

Construire son action au regard d’autrui : "Il y en a"/ "il y a"

J a eu recours amplement à une "voix" impersonnelle. Comme dans les retranscriptions des entretiens avec F, la présence de topicalisations impersonnelles dans ce qui est dit est en relation avec des contraintes environnementales : "il y avait une grande longueur" (12*J1) ; "il y avait toujours un peu de bruit autour" (150*J2). Ensuite, la présence d’ "il y a", dans ce qui est dit, désigne ce que font l’ensemble des acteurs :

"Il n’y a personne, vraiment, qui voulait commencer" (22*J2) "Il y a une phase d’observation" (28*J2).

A ce moment de l’entretien, J fait référence à sa position d’observation. Il exprime à la fois ce qu’il voit (personne ne commence) et ce qu’il projette ("vouloir commencer", et "observer"). Il contracte ainsi, une action visible (l’absence d’engagement dans l’action) et une action virtuelle (l’observation), propre à chacun. Ce qui est dit laisse entendre que les autres, que tous les membres du groupe ("personne") auquel J appartient "observent" et ne "veulent" pas "commencer". L’action propre à chaque acteur devient une action identique pour chaque acteur : ou plutôt J suppose que les autres, comme lui-même, "observent " et "ne souhaitent pas s’engager dans la réalisation de leur tracé.

Le mot "phase" laisse entendre que tous les membres du groupe font la même chose (observer), et que cette action commune répond à des impératifs objectifs, scientifiques. Il adopte un point de vue général qui affirme son objectivité, sa distanciation. En cela, la construction

impersonnelle participe pleinement à cette mise à distance, en même temps qu’à une généralisation du point de vue. Elle contribue également à dépersonnaliser le vécu propre à chacun des acteurs, vécu qui devient identique pour tous les participants. Mais c’est précisément par cette désingularisation du vécu d’autrui, que le sujet parlant parle de lui-même, de ce qu’il vit en lui-même.

J parle de ce qu’il voit chez les autres et en même temps il laisse entendre ce qu’il regarde. Dans ce qui est dit, nous remarquons une alternance entre "il y en a" et "il y a" dans ce qui est dit :

"il y en a qui pensaient chorégraphie" (140*J2) "il y a des mouvements des bras" (228*J2)

"il y a des mouvements où on était plus à quatre pattes, des moments en extension vers le haut" (234*J2) "il y en a qui ont fait des déplacements (...) qui sont restés debout, qui n’ont jamais fléchi les genoux, qui (...) ne se sont jamais trouvés sur la pointe des pieds" (236*J2)

"il y a l’histoire de la longueur (...) il y en a qui avaient fermé les yeux" (74*J2) "il y en a qui étaient allés jusqu’aux bout" (84*J2)

"il fallait en faire en haut en bas" (85*J2)

"il y en a qui marchaient, il y en a qui couraient un peu, il y en a qui se sont retrouvés en marche arrière" (84*J2) "il y en a qui ont ouvert les yeux et qui ont essayé de faire un truc... "

"il n’y a PLUS le déplacement qui est là" (284*J2)

La présence de "il y en a" dans ce qui est dit désigne d’autres participants. La présence d’ "il y a" focalise ce qui est dit, en s’approchant des éléments de l’action observée chez autrui (mouvement des bras, mouvements en extension ou à quatre pattes, déplacement debout). Par le recours à la forme négative ou affirmative, le sujet parlant opère des choix : ce qui est dit laisse entendre ce que le sujet parlant valorise (le déplacement) ou au contraire dévalorise. J exprime par la forme négative ce qu’il ne souhaite pas reprendre pour lui-même : "rester debout sans fléchir les genoux ou sans se mettre sur la pointe des pieds". Ensuite, il parle en positif des possibilités d’action pour lui-même : "mouvement en extension vers le haut ou à quatre pattes". Il fait entendre en creux que ces choix sont à l’opposé des autres : comme " fléchir les genoux ou se mettre sur la pointe des pieds". Pour la question de la longueur du déplacement, il relève des stratégies différentes (ouvrir ou fermer les yeux) et des types de déplacements (marcher courir, marcher en arrière). Par ce jeu de focalisations, J fait entendre, comment il construit, petit à petit, son propre déplacement au regard d’autrui.

La relation entre ce qui est dit en première et en troisième personne exprime justement ce double point de vue entre ce que voit J et ce qu’il regarde : "il y en a qui ...dans leur tête (Je les voyais) avant de passer faisaient déjà le circuit de ce qu’ils allaient faire" (64*J2).

En position de spectateur, J voit d’autres acteurs "le doigt en l’air" (64*) et il suppose qu’il simule leur action en interne. C’est précisément cette simulation qu’il regarde ou qui le regarde en propre. Cette simulation interne n’est pas perceptible directement. En considérant l’autre comme lui-même, il peut mettre sa propre activité interne en regard avec celle d’autrui. Il élabore ainsi son scénario interne, ce qu’il peut faire ou souhaite faire.

Dans la retranscription du premier entretien avec Val, la présence de constructions impersonnelles émerge, tout d’abord en relation avec la préoccupation de s’engager dans la réalisation du tracé, elle-même conditionnée par la place sur le support collectif. Val parle d’autrui depuis sa place d’observatrice ("il y en a") :

"Il y en a qui y vont "franco", qui savent exactement où ils vont aller ; Il y en a d’autres : ils viennent, ils regardent...ils reculent...ils ne savent pas trop où se placer..." (63*Val1)

Elle parle de ce qu’elle a vu: ils vont directement ("franco") vers la feuille, "ils viennent, ils regardent, ils reculent". Elle met en regard ces observations avec les déductions qu’elle a fait pour elle-même: " ils savent exactement où se placer" ; "ils ne savent pas trop où aller".

Elle regarde comment se dessine la place disponible sur le support au fur et à mesure du passage des autres acteurs. La présence d’ "il y a" dans ce qui est dit se manifeste cette fois, en relation avec ces contraintes extérieures, en relation avec l’action d’autrui :

"Il y a juste une place pour moi..." (35*Val1)

"Il y a ce petit espace qui...m’est réservé (...) il ne faut pas que j’attende trop" (37*Val1).

La "voix" impersonnelle s’articule ici à une voix passive (ce petit espace (…) m’est réservé) et souligne l’ab-sence, au sens strict d’être à distance. Le sujet est agi. La situation le "préhende" (de Jonckheere 2001). Les contraintes extérieures semblent échapper au sujet parlant : "une place pour moi", "une place qui m’est réservée". Cette place n’est réservée, suivant le langage courant, que "dans la tête" de Val. Ce sont des contraintes propres au sujet, qui sont sous-entendues et non formulées. La voix impersonnelle fait entendre l’impossibilité de décrire ce qui apparaît trop distant de soi-même, imperceptible. Par contre, en fonction de la place laissée disponible par autrui et de l’espace qu’elle aura estimé destiner à son tracé en son for intérieur, Val décide de s’engager dans la réalisation de son tracé : "il ne faut pas que j’attende trop". La voix impersonnelle signifie (fait entendre) ce qui est "hors-champ", ce à quoi le sujet parlant ne peut accéder, ce qui lui apparaît comme impalpable, imperceptible.

Exprimer ses préoccupations : "Il y a"

Comme nous l’avons remarqué, la présence des topicalisations impersonnelles est rarement isolée. Elle est plus accentuée à certains moments de l’entretien. Le contenu de ce qui est dit semble se répéter, comme une scansion prosodique. La répétition se fait entendre comme une insistance particulière, qui invite l'auditeur à écouter plus attentivement. L’impersonnalité de la

construction de la phrase marque une distance maximale avec ce qui est dit. Par là même, elle fait résonner une tension avec le contenu de ce qui est dit. Ces mises en tension font entendre en creux les préoccupations du sujet parlant.

Dans la retranscription du second entretien avec Val, nous avons relevé cette insistance particulière. La présence de construction impersonnelle ("il y a") est alors en relation avec la question centrale de l’entretien, à savoir l’arrêt du tracé provoqué volontairement par Val elle-même.

Elle revient à plusieurs reprises sur ce moment de l'activité. Elle est alors en position de parole incarnée avec un ralentissement de la voix, un décrochement du regard. Lors des approches descriptives de son action, des gestes des deux bras accompagnent ce qui est dit. Ils reprennent des gestes calligraphiques, qui étaient les siens au moment de l'activité de formation. Après le remontage des entretiens, nous pouvons constater que la présence de "il y a" introduit une tension entre l'inscription de son geste calligraphique sur le support de papier (87*Val.2), l'existence d'un pinceau (267*Val2), et le constat qu'une moitié (un côté) de son tracé n'existera pas (115*Val2) :

"il y a une partie de mon... geste, qui ne sera pas sur le papier" (87*Val.2) "... il n’y a que moitié..." (115*Val2)

"… sûr ;…il y en avait un (pinceau) !" (267*Val2)

"il y a quand même ce côté (...) il y a un côté aussi... (...) il y a un côté où il n’y aura pas de trace" (133*Val1)

La répétition d’ "il y a" s'accompagne d'une reformulation de ce qui a été dit. Cette approche descriptive précise ce que Val perçoit du côté droit et du côté gauche. Nous pouvons relever trois reformulations introduites par "il y a" :

1) "il y a ...il y a un côté, qui a été bloqué par la feuille !" (319*Val2) "il y a un côté qui est libre" (323*Val2)

2) "il y a un obstacle" (325*Val2)

"il y a l’élan" (337*Val.2) (et là l’élan a été freiné)

3) "il y a quelque chose qui retient (...) il n’y a pas d’effort à faire ! (...) il n’y avait pas eu d’effort à faire (...) il y a cette sensation de blocage" (351*Val2)

"il y a une résist...il y a un mouvement qui n’est pas (...) agréable..." (387*Val2) "il y a forcément un geste...il y a ...l’épaule qui bloque..." (391*Val2)

"il y a une moitié, qui n’est pas sur la feuille !" (293*Val2) "il manquait un morceau !" (418*Val2)

Dans l'ensemble du contenu de ce qui est dit, nous relevons d'une part, un côté qui a été bloqué par la feuille, un obstacle, cette sensation de blocage, une résist..., un mouvement qui

n’est pas (...) agréable, l’épaule qui bloque. Et d'autre part, nous relevons : mon... geste, qui ne sera pas sur le papier, un côté où il n’y aura pas de trace, un côté qui est libre, une moitié, qui n’est pas sur la feuille, il manquait un morceau.

Par ailleurs, dans le contexte d'énonciation, les mouvements qui accompagnent ce qui est dit désignent respectivement un mouvement du bras droit et un mouvement du bras gauche.

Dans l'approche descriptive, nous pouvons reconstituer ici que Val décrit ce qu’elle perçoit en relation avec des contraintes de son environnement, comme le support graphique ("la feuille"). Elle procède par comparaison droite-gauche et décrit les perceptions du mouvement : du côté droit et du gauche. Elle énonce des sensations en relation avec ces perceptions : "blocage" et "résistance" d’un côté, "liberté" et "élan" de l’autre. Elle localise ce qu’elle perçoit dans le mouvement au niveau de son épaule (391*Val2). De ce différentiel droite gauche, elle com-prend que seule la moitié de son mouvement sera transcrit sur la feuille de papier kraft.

La présence répétée des topicalisations impersonnelles dans ce qui est dit fait entendre ce qui semble encore imperceptible au moment de l'entretien à Val. En ce sens, la présence de constructions impersonnelles manifeste ce qui semble indescriptible dans un premier temps, mais au fur et à mesure des reformulations, nous comprenons que la situation re-vécue se précise, et des bribes de description émergent dans ce qui est dit. La présence d' "il y a" pose les éléments d'une question non encore explicitée : il existe un différentiel de perception du mouvement à gauche et à droite qui semble incompréhensible au sujet parlant. Soulignons que cette persévérance dans l'approche descriptive est en relation avec la préoccupation centrale du sujet parlant au moment de l'entretien. L'entretien est motivé par l'élucidation de cette question demeurée sans réponse.

Il en est de même pour J. Avec la présence d’"il y a" dans ce qui est dit, nous revenons avec insistance sur un moment particulier qui est également celui de l’arrêt du tracé. Dans ce qui est dit nous pouvons relever :

"il faut être à l’aise avec ces deux trucs là (...) il y a le regard des autres sur le déplacement, et puis sur la trace" (278*J2)

"il y a ton côté trace qui te gêne" (278*J2)

"il n’y a pas que l’engagement du corps (...) il y a une trace (...) il faut en faire complètement abstraction" (244*J2) "Il y a un déplacement qui est là et qui nous gêne" (80*)

"il y a des moments où le pinceau..." (326*J2) "il y a un arrêt dans le... truc" (146*J2)

La construction impersonnelle pose les termes de plusieurs contraintes :

- les contraintes de l’environnement (il y a) avec le regard d’autrui sur le corps de J en mouvement et sur le tracé en train de se faire,

- des contraintes propres à J formulées comme des prescriptions faites à lui-même (il faut) : tantôt exprimées comme des sensations "être à l’aise", tantôt exprimées comme des directives "faire abstraction"

- des contraintes propres à J exprimées comme des sensations ressenties : la gêne dans le mouvement.

Le sentiment de "gêne" ou d’ "aisance "corporelle fait comprendre en creux, le différentiel qui existe ou pas, entre le tracé réalisé (le déplacement) et le tracé escompté (le déplacement escompté). Le sentiment énoncé fait entendre une mesure des écarts entre pré-vu et visible (réalisé effectivement).

Le retour récurent ("il y a") sur ce moment particulier en posant les termes des différentes contraintes correspond à une évaluation de l’action. J sort de ces contraintes (qui touchent conjointement au déplacement et à la trace) en posant de nouveaux éléments : le pinceau, et l’arrêt de l’action. Nous finissons cette reconstitution de l'action sur la question qui se pose entre l'arrêt du tracé et le maniement du pinceau.

La prévision de l’action est marquée par la présence de "il faut" dans ce qui est dit. Val formule les préconisations qu’elle se fait à elle-même :

"il faut qu’on le voit (...) il faut qu’il n’y ait pas quelques choses de...comme une tâche qui attire l’œil...il faut que ça soit..." (87*Val1).

Elle décrit un certain nombre de conditions qui président au dessin du tracé. Ce sont elles sur lesquelles revient Val une fois le tracé terminé :

"il n’y avait pas eu de ...de gros pâté" (149*Val1) "il y a eu un respect" (151*Val1).

La "tâche" ou le "pâté" accroche, perturbe la circulation du regard ("attire l’œil") et de fait,