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Attribuer des rôles

42 Ouvrir la pratique

2. Prendre soin de l'humain

Les gestionnaires sont également amenés à se soucier personnellement des gens qui composent la communauté (les membres) et des gens qui sont touchés par les décisions de la communauté (les élèves). Ce souci se manifeste également entre les membres.

Se soucier des membres

Les membres de la communauté n'ont pas tous la même facilité pour s'inscrire dans une optique de participation et de partage face aux activités de la communauté. Certains membres sont plus gênés ou réticents que d'autres en raison de certaines craintes. L'apport d'idées de ces membres s'en trouve donc réduit par rapport aux autres. S'intéresser personnellement à l'autre permet de surmonter cette difficulté. Un gestionnaire constate dans une communauté de son école qu'un membre manque d'ardeur dans sa participation à une discussion. Ce mutisme, selon lui, est une manifestation d'un inconfort et nécessite une intervention :

Exemple, sur un groupe de trois, si y'en a deux pour qui ça fonctionne et que le troisième ça fonctionne pas bin, c'est pour ça que c'est important d'écouter. [...] j'étais dans un groupe pis on parlait de littératie, puis deux membres du groupe était bin confortable avec un module [...] Je voyais par le non verbal que la troisième personne ça ne semblait pas aller. J'ai donc demandé à cette personne : « Pis toi ça va bien, t'es confortable avec ça? » Pis la personne a dit « non ». J'ai dit : « Ok, si ça te va pas, as-tu une autre stratégie? » La personne m'a fait part qu'elle s'alignait vis-à-

P a il e I 56 vis une autre stratégie en utilisant un autre livre. D o n c o n s'est

arrêté à cette personne-là et on a écouté ce qu'elle avait à dire pour finalement voir que c'était très bien ce qu'elle fait. [Gesnonnaire participant 8, ligne 391]

Par son questionnement, ce gestionnaire contribue à verbaliser l'inconfort et s'intéresse à sa vision. Par ailleurs, cet inconfort laisse place à un partage de la part du membre en difficulté. Ce partage enrichit la discussion de la communauté, désamorce la peur du membre et valorise l'avis ou la méthode utilisée par ce dernier. Toujours dans l'optique du partage, les enseignants ayant le plus d'expérience sont occasionnellement les moins participatifs de ce contexte. C o m m e le constate une enseignante :

Mais dans des cas o ù j'ai remarqué que des personnes hésitaient plus, c'est des enseignantes qui sont là depuis un bout. Elles se sentent moins à l'aise avec le travail d'équipe. Parce qu'elles se sentent comme si ce qu'elles pouvaient apporter est trop ancien ou que ça n'a plus rapport avec aujourd'hui. [Enseignante participante 2, ligne 347]

Dans ce cas, la difficulté est liée à une crainte de paraître « dépassé(e) » aux yeux des autres. Une enseignante constate également ce fait. Pour elle, les membres plus expérimentés sont possédés par des craintes :

Souvent, c'est les enseignantes avec plus d'expérience qui sont plus réticentes parce que, on dirait, qu'elles n'ont pas toujours travaillé en équipe. Elles se sentent dévalorisées quand les enseignantes plus jeunes arrivent. C'est quelque chose que j'ai vu ça : « Ah les jeunes ont toutes des nouvelles méthodes, vous savez mieux blablabla... [Enseignante participante 2, ligne 335]

Les membres plus expérimentés des communautés sont parfois moins participatifs en raison d'une attitude appréhendée de condescendance de la part des autres membres. D e plus, dans un contexte de partage, il est évident que la relation doit être bidirectionnelle ou « donnant à

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donnant ». Dans la pratique il arrive que certains membres doutent de cette relation : « Je pense qu'au départ les gens ont peur de partager leurs choses et de rien avoir en retour [...]. » [Gestionnaire participant 8, ligne 351] Ainsi, la crainte de donner sans recevoir est également un bloqueur dans les relations professionnelles entre les membres. Par conséquent, la participation à une communauté possède son lot de craintes et de facteurs anxiogènes comme : la peur de paraître « dépassé(e) » et l'appréhension de « donner sans recevoir ». Ces craintes sont d'autant plus néfastes pour la communauté, car, contrairement aux difficultés relationnelles entre les membres qui se manifestent par des tensions palpables qui font écho tôt ou tard aux oreilles des autres membres ou des gestionnaires, ces craintes sont plus discrètes et nécessitent une attention particulière. Elles « n'éclatent » pas bruyamment au grand jour, mais viennent subtilement amoindrir la richesse de la relation de partage entre les membres de la communauté. Ces craintes doivent donc faire l'objet d'une attention particulière de la part des membres et des gestionnaires. Pour désamorcer les craintes, une approche teintée de sollicitude doit être mise en place dans les relations entre les participants à la communauté. Comme le constate un enseignant, certains membres sont moins loquaces en contexte d'intégration de nouvelles pratiques comme, par exemple, les nouvelles technologies. Il affirme que :

Parce qu'il y a quand même des enseignants plus âgés qui sont moins familiers avec les technologies. Des fois, ils peuvent nous poser des questions qui, pour nous, nous semblent simplistes. C'est de rester ouvert, prendre le temps de leur expliquer comme il faut, même si, pour nous, ça semble une évidence. [Enseignant

participant 1, ligne 111]

Les membres moins « connaissants » dans le domaine informatique ont souvent des difficultés de compréhension en cette matière. Pour contrer ce problème, les membres doivent être ouverts et patients afin de permettre la compréhension des enseignants moins habiles avec les technologies : « Mais en même temps, c'est la beauté du travail collaboratif, c'est notre travail d'aider ces profs là pour s'assurer qu'eux-aussi se sentent à l'aise là dedans et qu'ils puissent offrir des choses intéressantes à leurs élèves, même s'ils sont un peu moins à l'aise avec ça. » [Enseignant participant 1, ligne 184] L'approche de cet enseignant en contexte de

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difficulté d'un autre membre s'inscrit dans l'optique d'une relation d'aide. De ce fait, les enseignants désirant avoir davantage d'informations sur un sujet qui leur échappent n'ont pas la crainte de ne pas avoir de réponses à leurs interrogations. Dans l'esprit de cet enseignant, les autres membres doivent s'inscrire dans une optique d'entraide. Les interventions de cette autre enseignante envers des membres qui ont de la difficulté à contribuer à la discussion sont structurées comme suit :

Je les encourageais à faire au moins deux petits partages ou les approcher comme : « Moi, j'ai essayé ceci dans ma salle de classe. Est-ce que m as d'autres choses à me proposer qui a déjà été efficace pour toi? » Quand elles voient l'intérêt qu'on leur porte, d y a la confiance qui s'établit. On voit que l'intérêt à vouloir partager est là plus qu'avant. [Enseignant participant 2, ligne 355]

Une enseignante augmente le désir de partager en s'intéressant à la personne et ce qu'elle peut avoir à dire, à son bagage et à son unicité. Elle amorce la discussion en partageant sa propre expérience pour, par la suite, se tourner vers autrui. Elle « brise la glace » suscite la participation des autres. L'intérêt que porte cette enseignante envers les enseignantes plus expérimentées qui vivent des difficultés d'évolution au sein de la communauté participe à une valorisation de leur méthode :

Dans le fond, elles ont un bagage exceptionnel à partager et, déjà là, qu'elles voient que, même si je sors de l'université, je veux encore savoir comment ça fonctionne dans leur salle de classe, elles prennent un certain intérêt et elles se sentent valorisées et elles sont plus encouragées à partager avec d'autres personnes dans le groupe. [Enseignant participant 2, ligne 339]

La participation émerge lorsque les membres constatent que leur opinion ou méthode de travail est appréciée par les autres membres. Se tourner vers autrui en lui montrant de l'intérêt pour ce qu'il pense ou ce qu'il vit facilite le partage et élimine les craintes. Par ailleurs, certains membres de la communauté éprouvent des difficultés au niveau de

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l'engagement. Chez ce gestionnaire, les membres de la communauté se plaignent de l'absentéisme fréquent d'un membre :

Il y en a une qui était toujours absente pendant les CAP. Les mercredis, c'est sûr qu'elle était souvent absente. Donc quand elle devait apporter ses copies d'élèves à l'équipe collaborative, les trois autres enseignants étaient présents avec leurs copies d'élèves, mais les copies d'élèves de la quatrième personne n'étaient jamais prêtes. J'ai donc dû m'assoir avec l'enseignante et lui sortir ses absences des derniers mois. Je la questionnais et je lui ai fait voir les répercussions que ça avait au sein de l'équipe collaborative. Elle m'a dit : « Merci j'suis contente que tu m'en fasses part. » Et on a tout de suite vu une amélioration. Moins d'absence les mercredis de la part de cette personne-là et plus d'engagement envers l'équipe. Des fois simplement une discussion avec la personne pour qu'elle réalise ce que ça génère au sein de l'équipe.

[Gestionnaire participant 10, ligne 292]

Dans ce cas une simple rencontre suffit à régler le conflit. Le gestionnaire s'intéresse à la personne et lui montre qu'elle a un impact important sur la communauté. Pour cet autre gestionnaire : « Lorsque c'est nécessaire, on s'assoit avec eux autres et on les fait se parler. « Si tu penses que tu en fais plus, tu as le devoir de verbaliser à cette personne-là. Comment est-ce qu'on ferait pour partager ça davantage pour être gagnant/gagnant? » [Gestionnaire participant 6, ligne 259] Le gestionnaire actif dans la résolution des conflits ne cherche pas nécessairement un coupable, il cherche également des solutions. Il agit comme intermédiaire entre les membres. De plus, les rencontres individuelles sont plus fréquentes et servent à écouter l'autre : « C'est de faire un retour et de lui demander : « Comment tu vois ça les CAPs? Qu'est-ce que t'aimes pas? » Parfois, juste de permettre à la personne de parler. [Gestionnaire participant 10. Ligne 273] Dans l'approche, le gestionnaire s'intéresse à la vision du membre problématique. Il désire connaître les raisons de son manque d'engagement. Les difficultés relationnelles des membres ne sont pas à prendre à la légère. Un seul membre récalcitrant ou non-motivé peut causer des problèmes à toute la communauté. L'approche des membres et des gestionnaires est donc très axée sur la découverte de l'autre et de sa façon de concevoir le travail en communauté. La manière que trouvent les gestionnaires et les membres pour éliminer ces craintes est d'avoir une approche empreinte de sollicitude

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par l'écoute. Cette écoute se perçoit également dans les communautés qui s'intéressent directement aux cas d'élèves problématiques.

Se soucier des élèves

Les communautés, comme nous venons de le voir, sont très soucieuses des membres qui la composent. Cependant, les élèves n'échappent pas à ce souci. En effet, la communauté a davantage l'habitude à s'intéresser aux particularités singulières des élèves. Dans un sens, la consultation des membres lors de décisions importantes, permet d'avoir un éclairage différent sur une situation critique. Ainsi, le point de vue des membres de la communauté permet une approche plus personnelle. Les différentes opinions des membres, mises ensemble, contribuent à décrire une situation sous tous ses angles. Par exemple, une communauté doit décider de l'avenir d'un jeune au sein de l'établissement :

C'est la direction qui a la décision finale. Par contre, elle est guidée par les enseignants qui vivent au quotidien avec cet élève-là, pis par l'intervenante sociale qui a, des fois, des choses plus confidentielles ou plus personnelles à nous apporter qui nous permettent d'être plus posés par rapport à un élève. [Gestionnaire participant 11, ligne 147]

Dans cet extrait, la direction est fortement influencée par l'opinion d'un autre membre de la communauté. Cet autre avis permet de changer la perspective de départ. Ceci démontre clairement que l'opinion des membres permet de souligner la particularité de l'élève. Les membres, par leur partage sur les décisions impliquant les élèves, ont un pouvoir d'influence accru. Dans l'exemple qui suit, cette gestionnaire explique comment elle et sa communauté ont réussi à garder sur les bancs de l'école une élève vivant des difficultés :

C'est d'avoir su, par ces rencontres-là, donner la chance à des gens qui étaient sur le point de décrocher parce qu'ils vivaient des

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problématiques personnelles pis on pu instaurer avec ces rencontres de suivi là des démarches plus concrètes avec l'intervenante sociale. (...) C'était une situation extrêmement difficile pour elle de s'en sortir, de continuer l'école [...]. C'est une élève extrêmement brillante, mais, côté personnel, elle avait beaucoup de problèmes à être assidue en classe et à gérer son stress. Donc, on a instauré avec elle des rencontres régulières avec l'intervenante sociale pour l'encadrer du mieux qu'on a pu. Ce que ça donné c'est qu'elle a persévéré pis elle a eu son diplôme en comptabilité et elle travaille dans ce domaine-là maintenant pis elle s'en est sortie. Donc c'est quelque chose d'assez spectaculaire. [Gestionnaire participant 11, ligne 267]

Dans ce cas, le point de vue de la communauté a permis d'avoir un tour d'horizon du problème de l'élève, de le cerner et tenter des pistes d'interventions afin de corriger le problème ou amoindrir les difficultés vécues par une élèves. Cet autre gestionnaire continue :

C'est intéressant parce que t'as aussi le partage entre les enseignants qui connaissent la majorité de ces élèves-là, parce qu'à un moment donné ou un autre, ils ont passé par eux autres. Et puis chaque enseignant peut apporter son grain de sel à qui est-ce qui peut fonctionner avec tel ou tel élève. C'est un partage qui est très riche. [Gestionnaire participant 1, ligne 256]

La communauté, par sa diversité des points de vue, permet de s'intéresser davantage à l'individualité plus qu'à la catégorisation et la gestion « en gros ». La diversité combinée des points de vue des membres permet cette différenciation et ce souci. Cette façon de faire montre clairement la sollicitude envers les élèves et le partage du leadership en ce qui concerne les décisions importantes. Les membres combinent leurs perceptions et permettent de mettre en lumière les difficultés personnelles des élèves et participent aux décisions concernant ces élèves.

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3. Conclusion

En définitive, l'éthique du gestionnaire des conflits se manifeste par plusieurs dimensions. D'abord, en se souciant de l'aspect structurel de la communauté, il règle les conflits internes (justice) et prend soin du climat (sollicitude). De plus, les gestionnaires et les membres s'intéressent de près à l'aspect humain de la communauté en portant attention aux membres et aux élèves (sollicitude) et décident en groupe (partage du leadership). Par conséquent, les défis que vivent les membres et la communauté doivent faire l'objet d'une attention particulière de la part du gestionnaire accompagnateur (carer). Il doit se soucier du bon fonctionnement de la communauté, de ses membres et des élèves (cared-for) en faisant preuve d'une grande sollicitude.

6.4 L'éthique du gestionnaire agent de changement et

souteneur de l'innovation

Le gestionnaire doit être le principal allié du changement dans son organisation. Cette particularité met en lumière le rôle d'agent de changement et de souteneur de l'innovation du gestionnaire dans le travail en communauté. Pour ce faire, il doit supporter les initiatives de changement et favoriser par ses pratiques des modifications profondes dans son milieu. Ceci implique de fournir des ressources pour la communauté et mettre en place des changements profonds dans la culture organisationnelle.

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