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Chapitre 4. Le développement de l’intervention ergonomique en conduite du changement89

2 Soutenir le développement des processus décisionnels et la prise en compte du travail

2.2 Prendre en compte le travail dans la conduite du changement

De l’absence de prise en compte du travail en conduite du changement

L’activité au travail et les conséquences du changement sur cette activité sont souvent absentes de la conduite du changement. Les « prescripteurs » du travail (décideurs des transformations, concepteurs

118 Soparnot (2004) souligne que beaucoup d’indicateurs de gestion par exemple mobilisent encore des modèles tayloriens du travail.

119 Di Maggio & Powell (1983) on mis évidence une tendance à l’homogénéité des organisations qui se modifient pour devenir progressivement similaires en fonction de normes acceptées socialement. Cette homogénéisation obéit notamment à une recherche de légitimité par les organisations (Huault, 2008). Un exemple de cet isomorphisme est la pénétration du Lean management dans les entreprises par exemple.

120 Dans ce sens, Rondeau (2008) rappelle qu’une intention de changement peut se traduire par une multiplicité de projets de changements dans les organisations, chaque acteur voyant le changement depuis sa propre logique, sa propre perspective.

de ces transformations) ignorent souvent : (1) la nature de l’activité en jeu dans le système organisationnel à transformer et (2) ses évolutions nécessaires en lien avec la transformation des situations de travail (Daniellou, 1992 ; Garrigou, Daniellou, Carballeda & Ruaud, 1995 ; Combes & Lethielleux, 2008 ; Barcellini, Van Belleghem & Daniellou, 2013). De plus, les opérateurs concernés par le changement sont souvent faiblement associés à la démarche.

La Figure 20 représente schématiquement ce déficit de représentation des évolutions nécessaires de l’activité dans le cas d’une conduite du changement sans – ou avec faible – prise en compte du travail réel, et l’entrave que cela peut constituer pour le développement des futures activités de travail.

Figure 20 Déficit de développement des activités dans les projets de transformation sans prise en compte du travail réel (réalisée par L. Van Belleghem

et publiée dans Barcellini, Van Belleghem & Daniellou, 2013)

Les paramètres requis sont manquants ou erronés.

Cette figure rappelle que la situation initiale de travail – avant transformation – est caractérisée par une forme d’articulation entre :

• un système de prescriptions du travail (tâches, moyens techniques, règles organisationnelles…) socialement déterminées qui est le fruit de processus décisionnels marqués par les différentes logiques de l’organisation (économique, efficacité de production, gestion des ressources humaines, qualité, sécurité, santé…) et leur arbitrage ;

• et des activités de travail qui sont régulées par les opérateurs pour rester performants et préserver leur santé en fonction :

o de leurs ressources internes (en lien avec la mobilisation de leurs corps, en lien avec leurs ressources cognitives et psychiques) et collectives (règles de métiers, critères de qualité du travail, savoir-faire de prudence ; conscience sociale ; référentiel commun ; conscience de la situation…) ;

o de la situation dans laquelle ils agissent ce qui renvoient aux moyens mis à leurs dispositions ;

o et de l’évolution du contexte de leurs actions (variabilité, survenue d’un aléa…) (Leplat, 1997 ; Clot, 2002 ; Leplat, 2000 ; Rabardel, 2005 ; Daniellou, 2005; Daniellou & Rabardel, 2005 ).

Par ailleurs, pour les opérateurs, cette activité de travail est porteuse à la fois d’une dimension productive – quand ils agissent, ils transforment le réel –, mais également d’une dimension constructive – en agissant, les opérateurs se transforment eux-mêmes (Samurcay & Rabardel, 2004) et transforment leurs ressources (internes et collectives) (Rabardel, 2005).

Dans le cadre de projet de transformation, l’activité, la diversité des modes de fonctionnement au travail et les régulations mises en œuvre par les opérateurs pour faire face aux contingences des situations qu’ils rencontrent sont le plus souvent absentes des processus décisionnels et de conception. Les prescripteurs du travail définissent alors un nouveau système de travail qui, une fois mis en œuvre, est supposé être mécaniquement « exécuté », l’activité y étant pensée en termes de tâche prescrite. Les contraintes et les marges de manœuvre relatives à l’activité de travail, les conséquences sur la population au travail, l’organisation du travail, la formation, la santé et sur la qualité de la production des biens ou des services sont peu anticipées (p.ex. Garrigou et al., 2001). Deux écueils apparaissent alors :

• les ressources internes et collectives nécessaires aux opérateurs pour agir dans, et avec, le nouveau dispositif (installation, organisation, artefact technique, espace…) sont insuffisamment développées au cours de la transformation pour être effectivement mises en œuvre au moment de sa « mise en usage ». Autrement dit, il y a une mise en échec des processus d’apprentissage dans la conduite du changement : les ruptures parfois radicales introduites par les transformations ne permettant pas aux opérateurs de développer « assez rapidement » – au regard de la vitesse d’introduction de la transformation – de nouveaux savoirs, de nouvelles stratégies leur permettant de déployer une activité de travail constructive, efficace, et tout en préservant leur santé ;

• le système de prescription conçu (outils matériels et logiciels, espaces, règles…) est alors « incapacitant ». Il ne peut pas jouer son rôle de ressources externes, car sa conception a ignoré ce qui structure l’activité, il entrave la mise en œuvre des capacités des opérateurs. Il en résulte que : (1) les dimensions productives et constructives de l’activité sont entravées. Le changement qui pourrait potentiellement être source de développement devient « destructeur » (Demers, 1999); (2) les nouvelles régulations à construire sont coûteuses (en termes de santé et de performance) pour les opérateurs et l’organisation. La nouvelle activité se développe « dans l’expérience du nouveau dispositif », mais « dans la douleur » : physique, psychique, et cognitive pour les opérateurs et leur hiérarchie qui se retrouvent dans des situations d’activité empêchée et dans l’impossibilité de faire « un travail bien fait » (p.ex. Clot, 2008) ; mais également financière et en termes de qualité pour l’entreprise.

Donner à voir le travail et concevoir des situations de travail capacitantes

Pour faire face à ces limites, il convient donc de chercher à créer les conditions d’une conduite du changement qui permettent :

• une réelle prise en compte du travail dans les décisions de transformation (notamment via la mise en œuvre de diagnostics systémiques basés sur des analyses du travail). Cela nécessite d’organiser des discussions critiques et argumentées autour des prises de décisions, c’est-à-dire un travail collaboratif de prise de décision (puis de conception) ;

• la conception conjointe de futures situations de travail réellement capacitantes et de l’activité pouvant s’y déployer au cours du projet, ce qui passe par le développement de méthodologies projectives basées sur le travail et impliquant les porteurs des connaissances sur ce travail (les opérateurs et leurs hiérarchies de proximité).

C’est la mise en visibilité du travail via le diagnostic ergonomique et la mobilisation de méthodologies projectives de conception (notamment la simulation) qui permettront d’atteindre ces objectifs (cf. section 4).

Cependant, aider à « penser le problème décisionnel» en prenant en compte le travail et à se projeter vers le travail futur ne suffit pas en soi pour conduire un changement de manière effective. Il convient d’y associer une assistance à la conduite de ce processus et de ses suites, c’est-à-dire des réalisations issues de ces décisions. Cela implique donc une réflexion sur la structuration de la conduite du changement.

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