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Chapitre 6. Vers le développement d’Interventions Capacitantes en Conduite du

2 Comprendre et favoriser les apprentissages et la performance dans les Interventions

2.2 Comprendre et agir sur la conception des situations de simulation dans les I3C

On l'a vu, la simulation est présentée comme un moteur de la performance et des apprentissages des démarches d’intervention ergonomique en conduite du changement, et donc de potentielles I3C. Cependant, « ce qui se passe » dans les situations de simulation reste peu étudié tant du point de vue des conditions qui sont mises en place par les ergonomes – de la conception des situations de simulation (choix des scénarios d’action, conception des supports, cadre participatif posé) – que de la dynamique collaborative à l’œuvre dans les situations de simulation – dans ses dimensions productives (conception itérative des scénarios de prescription et de la future situation de travail) et constructives (développement de l’activité) (Figure 36).

Figure 36 Questions relatives à la conception et à la conduite des situations de simulation

Je présente dans la suite de cette section trois axes de recherche permettant de progresser dans la compréhension de ces trois dimensions des situations de simulation, cette compréhension permettant en retour d’agir sur la conception des situations de simulation et sur la formalisation des I3C.

Comprendre et agir sur la conception des situations de simulation

Cet axe de recherche se propose d’identifier les critères de conception mis en œuvre par les ergonomes pour concevoir ces situations (choix des scénarios d'action, choix des supports) en lien avec les dimensions productives et constructives des situations de simulation.

La conception de situation de simulation relève de la modélisation d’une activité de travail de référence. Dans ce cadre, quels sont les critères de choix (fidélité de la situation conçue, éléments retenus de l’analyse du travail dans les situations initiales, difficulté/représentativité des scénarios d’action) mobilisés par l’ergonome-intervenant concevant cette situation ? Dans le même sens, quels sont les éléments retenus par l’ergonome-intervenant pour passer des analyses du travail à la constitution de bibliothèques de situations d’actions caractéristiques (Figure 36) ? Enfin, quel est le rôle du contexte de l’intervention, des objectifs du changement, de ses enjeux, des tensions éventuelles sur ces choix ?

Si l’ergonome assume pleinement le caractère à la fois constructif et productif des situations de simulation, quelles peuvent en être les conséquences sur la conception des situations? Par exemple, la littérature sur la conception des situations de simulation à des fins de formation souligne que les scénarios soutenant les simulations sont organisés de façon à simuler des situations problématiques (et donc, porteuses de développement) de difficultés croissantes. Ces choix sont-ils compatibles avec l’atteinte des objectifs productifs des simulations. Autrement dit est-il possible de tenir, pleinement et dans les mêmes conditions, les objectifs productifs et constructifs des simulations ?

Pour construire le cadre conceptuel et méthodologique permettant de répondre à ces questions, on pourra s’appuyer d’une part sur la littérature portant sur les activités de conception (chapitre 1) et d’autre part sur la littérature qui porte sur la conception des situations de simulation à des fins didactiques (p.ex. Pastré, 2005 ; Horcik, 2014).

Comprendre et agir sur la conduite des simulations

Du point de vue de la conduite des situations, deux éléments mériteraient d’être analysés :

• la gestion de l’engagement172 des participants, et le lien qu’ils construisent entre l’activité professionnelle de référence et l’activité de simulation (Horcik, 2014). La construction et le maintien de l’engagement des participants dans la situation de simulation sont aujourd’hui vus comme des éléments essentiels de la performance des situations de simulation (en tout cas des fins de formation) ;

• le rôle de l’ergonome dans la conduite des simulations (cf. infra), notamment durant les débriefings, qui est une phase cruciale pour le développement de l’activité des participants (Pastré, 2005). Lors de la mise en œuvre de l’activité de simulation à des fins de formation, les relances du formateur portent sur les réactions des participants jugées comme pertinentes, ou sur l’exploration des alternatives aux actions ayant été effectivement réalisées. Ces relances sont importantes pour soutenir les processus de conceptualisation. Dans le même sens, le rôle des débriefings organisés par le formateur est souligné pour soutenir le retour réflexif sur l’action, qui est à dominante principalement productive durant le jeu de simulation. Si l’on raisonne par analogie, on pourrait chercher à comprendre dans quelle mesure l’ergonome-intervenant tient, ou peut tenir, ce rôle dans les séances de simulations du travail, voire à favoriser la tenue de ce rôle, en tant que moteur des apprentissages.

Ces deux axes de recherche impliquent de s’intéresser aux activités qui sont mises en œuvre durant les simulations et au travail collaboratif dans lequel les participants sont engagés. Or, peu de recherches se sont intéressées à ces activités dans les situations de simulation.

Comprendre et agir sur les dimensions productives et constructives des simulations

On a vu que les situations de simulation revêtent une dimension productive et une dimension constructive. Je propose d’analyser ces dimensions en mobilisant les méthodes utilisées pour comprendre le travail collaboratif en conception. Comme dans les perspectives développées en section 2.1, il convient de s’interroger sur les modèles sous-tendant les analyses menées.

La dimension productive de l’activité de simulation (conception de scénarios de prescriptions et de

situations de travail) peut être vue de manière assez classique comme une situation collaborative de conception et ainsi être analysée en convoquant les méthodologies associées à ce modèle (p.ex.

172 Ce concept est importé des recherches sur les jeux sérieux et sur les TIC pédagogiques (Whitton, 2011, cité dans Horcik, 2014). Il est relatif aux moyens (interactifs, narratifs, ludiques, relatifs aux objectifs poursuivis…) mis en œuvre pour « stimuler la curiosité » des participants et donc leur implication dans la situations.

Darses et al., 2001 ; et chapitre 1 et 3). La Figure 37 reprend le formalisme de la Figure 19 et illustre la dynamique potentielle à l’œuvre dans les situations de simulation du point de vue du travail collaboratif de conception (cf. chapitre 4).

Figure 37 Proposition de modèle permettant de comprendre la dimension productive de l’activité de simulation

Dans ce cadre, on pourrait par exemple analyser le rôle des participants dans ce processus, les types d’arguments et de connaissances mobilisés par les participants, en lien avec les logiques en présence, et leurs impacts sur les choix de solutions de conception. Ceci permettrait ainsi de progresser dans la compréhension de l’articulation des différents enjeux de l’organisation dans les choix de conception et du rôle de la simulation (et au-delà de l’I3C) dans cette articulation.

Pour ce qui est de l’analyse de la dimension constructive de cette activité de simulation, par exemple

la situation de simulation peut être vue comme une situation collaborative de conception d'une narration médiée (par les supports de simulation) de ce que pourrait être l'activité future. L’activité de narration comporte une dimension créative et imaginative qui serait source d'apprentissages et de développement potentiel de l'activité. Dans ce sens, le Modéle d'Activité Narrative et Créative (M.A.N.C) proposé par Decortis (2008) me semble être un candidat original – moyennant adaptation – pour « attraper ce qui se passe » dans les situations de simulation et pour renouveler la façon de penser ces situations.

Ce modèle a été initialement conçu pour comprendre et modéliser l'activité narrative d'enfants engagés dans une tâche de récit médiée technologiquement. Il se réfère au cadre proposé par Vygotski (1930 cité dans Decortis, 2008) sur le rôle de l'imagination créatrice. Dans ce modèle, l'activité de récit relève de la navigation dans un cycle composé de quatre phases – l'exploration, l'inspiration, la production et le partage – qui permet d'élaborer les expériences que le sujet fait du

monde (par exemple de la situation de simulation), d'assembler ces expériences « d'une nouvelle façon qui fait sens pour lui » (op.cit., p. 82), et de partager cette production avec les autres173.

La Figure 38 propose un modèle, inspiré du modèle MANC, qui permettrait de comprendre la dynamique constructive à l’œuvre dans les situations de simulation.

Figure 38 Proposition d’un modèle inspiré du Modèle des Activités Narratives et Créatives (Decortis, 2008) permettant de comprendre la dimension constructive des situations de simulation

La phase d'exploration est le lieu où l'imagination se construit : en rassemblant des éléments de la

situation qui sont le fruit de l'expérience du sujet, et en mobilisant des médiations artefactuelles (via le support de simulation) et sociales. Dans la situation de simulation, les scénarios d'actions permettent de rappeler une variété d'expériences aux opérateurs et de les discuter collectivement, ce qui stimulerait cette activité exploratoire174. Dans le même sens, le raffinement des scénarios de prescription par le jeu de la simulation permet aux concepteurs d’étendre l’exploration des solutions de conception possibles.

Le MANC souligne ensuite le rôle de la phase d'inspiration dans le développement de l’imagination créative, dans notre cas dans le développement de la narration de l’activité future. Il s’agit d’une phase d'analyse et de mise en réflexion des expériences, qui permet de dissocier la complexité des expériences et de ne retenir que certains éléments pertinents. Deux déterminants apparaissent essentiels pour favoriser cette dissociation : la présence d'un temps de réflexion laissé aux

173 Ce modèle est pensé en référence à des situations pédagogiques mettant en scène des enseignants et des enfants. Je tente de le décrire ici dans le cadre de la simulation: c'est alors l'ergonome qui joue le rôle de l'enseignant, de l'organisateur, et les participants à la simulation (opérateurs, concepteurs) celui des « enfants ».

174 Decortis (2008) souligne un certain nombre d'exigences à remplir pour favoriser cette phase exploratoire des expériences, dont certaines me semblent appropriées pour la conception des situations de simulation : permettre une exploration au hasard des artefacts, permettre la manipulation d'objets physiques, soutenir la transformation et la modulation de ces objets, soutenir les interactions sensorielles, soutenir les interactions collectives en facilitant l'accès simultané à un même contenu, exploiter l'espace dans ses multiples dimensions, permettre de créer une relation émotionnelle entre les objets et les personnes rencontrées.

participants pour se souvenir et pour décrire ce qui est pertinent pour eux; et la médiation par un tiers – l'ergonome dans le cas de la simulation – pour aider à faire des liens et rappeler l'organisation structurelle de la narration (de l’activité future)175. Il serait alors intéressant d’analyser dans quelle mesure cette phase d’inspiration existe, ou peut exister, dans les situations de simulation, voire de chercher à la favoriser dans le cadre du développement des I3C.

Ensuite, la phase de production (ou d’élaboration collective du récit de l’activité) est la phase durant laquelle un nouveau contenu est produit collectivement, toujours de manière médiée (verbalement, graphiquement, avec incarnation de «personnages»...). Ici aussi, le tiers (l’ergonome dans notre cas) doit jouer un rôle structurant en supervisant l'organisation du contenu narratif (portant sur l’activité future), en posant des questions permettant d'enrichir la narration, notamment en termes de structure et de chronologie, et en suscitant la discussion entre les participants. Dans le cas de la simulation de l’activité, une hypothèse serait que cette phase soit fortement entremêlée avec la phase d’exploration. Dans ce sens, une analyse fine des échanges lors de simulations permettrait de modéliser la dynamique des activités collaboratives de narration en jeu dans les situations de simulation et de comprendre comment est co-élaborée cette narration de la future activité, et notamment le rôle de tiers (ici l’ergonome) dans cette activité.

Enfin, la phase de partage permet de rendre tangible, de cristalliser la narration sous forme de représentations externes présentées aux autres, qui devient alors expérience pour autrui. Dans le cas des situations de simulation, il serait, là aussi, intéressant d’analyser dans quelle mesure cette phase de partage existe ou peut exister, voire de chercher à la favoriser dans le cadre du développement des I3C.

3 Vers le développement de la durabilité des Interventions Capacitantes en

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