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III LA SIMULATION ET LA PLACE DU LANGAGE

4. Vers un vocabulaire commun

4.1. Premiers repérages et points de vue

Nous estimons que la simulation est une modalité particulière d'éducation et de formation. Cette modalité n'est pas nouvelle, ce sont les artefacts associés qui en fonction des évolutions des techniques et des technologies lui font prendre des aspects contemporains. Ainsi, des entraînements à la chasse sur des cibles fixes ou mouvantes, à des simulations de vol dans des cockpits prélevés dans des avions, en passant par la monstration de gestes techniques en Éducation physique et sportive (EPS) ou la préparation d'un skieur imaginant la descente dans laquelle il va se lancer en reproduisant les virages, nous sommes dans le semblable (similis), mais pas dans le réel. Plus généralement, et dans l'idée d'une définition, il s’agit « d’essayer de faire des prévisions à partir de modèle(s) d’objet(s) réel(s) ». « Objet » étant pris ici dans le sens de tout ce qui est animé ou inanimé, matériel ou immatériel et qui affecte les sens ou l’activité. Le terme « prévision » doit être entendu dans le sens d'imaginer ce qui va se produire, projeter les actions, réactions des objets, des éléments de la situation englobant la simulation. Dans le cadre de la formation en alternance, en termes de macro-objectifs, la simulation pourrait s’envisager comme une tentative de rapprochement par modèle(s) interposé(s) entre le milieu de la formation et le milieu des pratiques, souvent représentés par l’école et le terrain.

Il nous semble impossible de classer les différentes modalités de simulation utilisées pour former, d'un point de vue universel. Pour explorer ces diverses modalités, il est indispensable d'adopter plusieurs points de vue, chacun permettant des classements différents. La présentation des divers points de vue ci-dessous va autoriser une vision plus réaliste des diverses modalités utilisées actuellement en simulation et permettre des perspectives d'innovation.

Une précision d'emblée nous semble nécessaire ici. Elle se fera à propos des modèles mobilisés dans la simulation. Nous discernons deux types fondamentaux de modèles, qui, néanmoins, quelquefois interfèrent, interagissent ou se confondent. Dans la programmation d'un dispositif de formation utilisant la simulation, il y a toujours des modèles en jeu. Cependant, il y a les modèles que l'on utilise pour la simulation en tant que représentants ou avatars du réel et il y a les modèles sur lesquels la formation veut agir dans le sens de les développer, de les modifier, de les améliorer par l'intermédiaire de la simulation. Ce sont les modèles préexistants des apprenants. Nous le répétons, ils sont quelquefois confondus, mais peuvent ne pas l'être. Au départ, les premiers relèvent de la mise en œuvre de la simulation, les seconds des visées du dispositif. Ces derniers, auxquels nous consacrons plus loin un chapitre, relèvent le plus souvent des apprenants, et c'est essentiellement ceux-là qui sont concernés par les apprentissages.

Le point de vue de l'objet à simuler

Avec ce point de vue, la simulation peut s'envisager selon deux possibilités qui sont souvent imbriquées l'une dans l'autre et qui peuvent se combiner. Dans les deux cas qui sont

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présentés, la simulation peut s'envisager avec des artefacts matériels ou immatériels, en tant que simulation d'actions concrètes ou en tant que simulations mentales.

− La simulation d'une ou plusieurs actions. L'exemple d'une perfusion, permettant d'apprendre un geste sur un support matériel (bras synthétique), illustre la simulation d'actions concrètes. Le skieur de compétition qui reconstruit dans sa tête la descente si souvent réalisée avant de partir est une simulation mentale. Lorsqu'il la matérialise à l'aide des gestes de virages avec son bâton, il simule ses actions avec un artefact matériel.

− La simulation d'une situation ou d'un environnement. La situation est une situation de travail réelle qui est choisie et modélisée. Ce type de simulation permet de donner des contextes particuliers dans lesquels un acteur va bientôt évoluer concrètement ou... simuler ses actions. La situation simulée peut contenir des scénarios correspondants à des différentes directions que peut prendre la situation selon les actions, réactions, interactions des éléments de la situation habituellement rencontrée dans le réel. Nous pensons ici à une épreuve d’évaluation d’UE du master Conseil et formation en éducation (CFE) que nous avions organisée à l’université Paul Valéry Montpellier 3. Dans le cadre de ce master, centré sur la formation de formateurs, nous demandions à des équipes d’étudiants de préparer une analyse groupale d’une situation de travail dont nous leur donnions l’enregistrement quatre semaines à l’avance. L’épreuve consistait à simuler une réunion d’équipe de formateurs et, à partir de ces analyses de proposer des modalités ou dispositifs de formation (Jean & Etienne, 2010).

Le point de vue des artefacts utilisés pour la simulation

Nous prenons ici une approche instrumentale étendue de Rabardel (1999 ; 2002), selon laquelle toute activité est médiée par des artefacts qu’ils soient symboliques ou matériels. Ces médiations sont de trois natures : le rapport médié à l’objet d’activité externe, le rapport médié à soi-même et le rapport aux autres. Même si Rabardel ne partitionne pas les instruments pour attribuer une médiation aux uns et pas aux autres, du point de vue des artefacts utilisés pour la simulation, deux possibilités sont à envisager: soit les artefacts sont matériels, soit les artefacts sont immatériels. Toutes les combinaisons entre les deux peuvent s’envisager dans une séance de simulation.

− Les artefacts matériels regroupent tout ce qui est matériellement utilisé dans la simulation. Nous pouvons envisager dans ce cas des simulateurs interactifs de haute technologie, dits « pleine échelle », des extraits ou montages de vidéos, des « bricolages » plus ou moins sophistiqués, ou une boîte à chaussures trouée pour simuler une endoscopie. Les ordinateurs, leurs écrans ou leurs interfaces (sans y intégrer les logiciels programmés) sont également compris dans les artefacts matériels. Nous verrons plus loin que nous classons ces artefacts selon des critères particuliers.

− Les artefacts immatériels sont représentés par les dispositifs de formation eux-mêmes, c'est-à-dire les séances, sessions qui réunissent formateurs, artefacts et formés dans une

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unité de lieu et de temps. Nous y intégrons également les modèles mentaux des participants à la simulation. Nous pourrions également classer dans ce type d'artefacts les logiciels de simulation, en tant que programmes binaires qui sans leurs supports de stockage, les ordinateurs qui les matérialisent par écran interposé et les interfaces qui n'ont aucune matérialisation particulière.

Le point de vue des objectifs de la simulation

Il s'agit ici d'un point important que nous développerons plus loin en précisant les dérives possibles. Les publications sur la simulation montrent quatre grands types de visées liés à la simulation.

− Professionnaliser des apprenants dans le cadre de la formation initiale. Dans ce cas, la simulation joue le rôle de rapprochement entre le centre de formation et le terrain en simulant ce dernier.

− Maintenir des professionnels dans des dispositions opérationnelles. Deux cas sont repérés. Les situations et actions visées se présentent dans des contextes rares. Dans ce cas, il est nécessaire de programmer des entraînements réguliers, afin de ne pas « perdre la main », ou ne pas « perdre la tête ». Dans le deuxième cas, ce sont les contextes de travail qui changent dans la réalité, soit par des prescriptions soit par une évolution naturelle. Il est alors nécessaire de simuler ces contextes changeants qui nécessitent des adaptations particulières des acteurs. Dans le domaine de la santé par exemple, les technologies, les techniques et les organisations changent. Dans des situations particulièrement risquées de chirurgie ou d’anesthésie, la simulation peut faciliter ce type d’adaptations.

− Rechercher des performances optimales, afin d'améliorer l'expertise en diminuant les temps d'intervention tout en gardant la qualité des précisions requises ou la qualité des décisions à prendre.

− Former au travail collectif et aux compétences non techniques. Les compétences non techniques « portent sur la communication, la coopération, le leadership, la résolution des conflits, la gestion de situations psychologiquement difficiles... » (Amalberti, 2013, p. 7).

Le point de vue de la place du langage

De toutes les publications de recherches ou d'expériences de simulation que nous avons parcourues, rares sont celles pour lesquelles le langage n'est pas présent. Nous citerons dans ce cas rare, les simulations en « libre-service », mettant à disposition des professionnels, des simulateurs hautes technologies dans des recherches de performances. Le professionnel

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manipule souvent seul et les résultats obtenus sont les seuls éléments recherchés. Si la plupart utilisent le langage, en revanche sa place diffère au sein du dispositif. Nous entendons ici la place chronologique, mais également la « systématicité » de sa mise en œuvre ou de sa programmation dans le dispositif.

− Le briefing. Il s'agit de préparer l'apprenant aux contextes et à la situation qui va être simulée. « Cette phase est souvent finalisée par la construction des connaissances nécessaires à la maîtrise de la situation qui sera traitée par les stagiaires dans la situation de simulation proprement dite. C’est également dans cette phase que se fait la dévolution du problème12 et se négocie le plus souvent le contrat didactique, c’est-à-dire l’activité attendue par l’instructeur. » (Samurçay & Rogalski, 1998, p. 18). Dans les groupes de simulation vidéo, un briefing est nécessaire d’une part sur le concept d’imprévu à observer, d’autre part sur les consignes du dispositif et enfin sur le contexte du support vidéo à la simulation (Jean, 2012).

− Le débriefing. Très peu de formateurs ne conçoivent la formation sur simulateurs sans débriefing (Vidal-Gomez, Fauquet-Alekhine & Guibert, 2011, p. 115). Cependant, ce qui est souvent discuté concerne le guidage du débriefing, le travail sur le stress, l'effet « simu » et la place et les fonctions de l'échec. Les commentaires sur les perceptions des participants à propos des compétences du formateur sont directement proportionnels à leurs commentaires sur le vécu de séances de simulation. En d'autres termes « plus un formateur est apprécié pour ses capacités à l'idée de débriefing plus l'expérience même de la simulation est perçue comme utile et de qualité. » (Savaldeli & Boet, 2013, p. 320). Nous revenons sur le dispositif « groupes de simulation vidéo », dans lequel nous avons prévu deux débriefings. Le premier au plus près de l’action de simulation, le second une semaine plus tard, afin de permettre des constructions faisant suite aux échanges entre pairs. « Un deuxième temps consiste à décrire le traitement que chacun aurait accordé à cet imprévu avant d’échanger sur les traitements de chacun. Un troisième temps est prévu environ une semaine plus tard en individuel, proposant à chacun de rédiger le traitement qu’il accorderait à ce moment-là » (Jean, 2012, p. 78).

− Une verbalisation synchrone. Cela signifie que l'on demande à l'apprenant d'essayer de verbaliser son activité au fur et à mesure de la simulation. Des possibilités d'arrêts, de ralentissements ou d'accélérations sont quelquefois disponibles afin de résoudre ce qui doit l'être, au moment opportun.

− Des analyses de pratiques. C'est une forme particulière du débriefing, insistant sur la protection de l'apprenant dont on analyse ses pratiques. Dans ce cas, les débats du groupe permettent à l'apprenant de verbaliser ses pratiques. Il s'agit plus ici d'un retour sur soi que de conseils ou critiques sur les actions menées en simulation.

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Ces différents points de vue, émanant de publications sur ce sujet et des éléments de recherches menées avec Courtin (2015), au sujet de sa thèse que nous avons co-dirigée avec Étienne, permettent de retenir que la simulation actuellement est mise en œuvre selon cinq aspects.

− La simulation utilisant des simulateurs matériels interactifs de haute performance technologique, ils permettent à l'aide de scénarios préétablis ou programmables de simuler des situations de durées plus ou moins longues. Les simulateurs de vol, les mannequins interactifs pour la simulation en santé, les simulateurs de centrales nucléaires en sont quelques exemples.

− La simulation mobilisant des simulateurs moins complexes, avec des interactivités plus réduites et permettant de simuler des actes, des actions plus ponctuels. Nous trouvons dans ce cas des membres de patients plus ou moins statiques, dont les textures, structures et matières sont proches de membres humains.

− La simulation mobilisant le seul outil informatique, muni de logiciels élaborés pour cela, permet de simuler des situations exclusivement sur un écran d'ordinateur, soit par des images de synthèse soit par des vidéos agencées par l'ordinateur. Des scénarios programmés, évoluent en fonction des actions des apprenants. L’armée de terre utilise ce type de simulation, pour entraîner des déplacements de troupes, des élaborations de stratégies en fonction de celles de l’ennemi. L’apprenant dispose soit d’une vue d’ensemble de la situation ; soit de ce que l’écran lui affiche comme étant son champ de vision, soit des deux vues au choix.

− La simulation utilisant la vidéo pour mettre en contexte le ou les apprenants dans des moments du dispositif jugés adéquats par les formateurs. La simulation proprement dite se fait à partir de projections mentales complémentaires des extraits vidéo présentés, faites par les apprenants. Nous avons exposé plus haut les groupes de simulation vidéo. Nous pensons également à ce que Leblanc développe à partir du site Néopass@ction.

− Le dernier aspect pris par la simulation mobilise des personnes qui jouent les rôles des acteurs des situations de travail rencontrées habituellement dans les situations simulées. Nous y trouvons les jeux de rôle utilisés dans diverses professions, mais également dans le domaine militaire au travers de ce qui est communément appelé les « grandes manœuvres ».