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III LA SIMULATION ET LA PLACE DU LANGAGE

2. Acteurs, rôles et statuts dans la simulation

2.2 Concepteurs, formateurs et chercheurs : vers un monde commun pour la simulation ?

La conception de dispositifs de formation et/ou de simulateurs dans le domaine de la simulation relève souvent de trois domaines de compétences, que l’on va appeler ici des « mondes disciplinaires ». Il s’agit du « monde de la technique », du « monde de la formation » et du « monde de la profession ». En apparence, ces mondes sont distants les uns des autres et les acteurs qui y officient opèrent chacun de son côté dans des domaines qui leur sont propres. En réalité ils sont plus proches qu’il n’y paraît, car nombreux sont les artefacts, outils ou instruments conçus, fabriqués et diffusés par le monde technique, et utilisés par le monde de la formation ou de la profession. Mais il existe deux contextes particuliers, au sein desquels, ces trois mondes dépendent les uns des autres. Dans chacun de ces contextes, les rôles de chacun des mondes ne sont pas de même nature. Il s’agit d’une part du contexte de la formation professionnelle initiale et continue pour des métiers à dominante technique, et d’autre part de la conception de dispositifs de simulation et/ou de simulateurs pour former des professionnels par des séances de simulation de situations.

Dans le premier cas, les acteurs du monde de la formation, opèrent dans le monde de la technique, pour former des professionnels du monde de la profession du type techniciens, ingénieurs, opérateurs… Nous pouvons par ailleurs observer deux types d’approches. La première, classique, de formations mobilisant des savoirs académiques, scientifiques ou techniques avec des modalités de formations spécifiques aux conditions et contraintes des lieux de formation. La seconde approche, moins classique, mais non moins efficace, mobilise des domaines de recherches de la didactique professionnelle (Pastré, 2011) que nous avons abordés précédemment. Dans cette approche particulière, il s’agit d’analyser des situations de travail, le travail lui-même, l’activité, les préoccupations des acteurs sur des lieux de travail industriels techniques ou technologiques. La didactique professionnelle, plus particulièrement, se fonde sur l’analyse de l’activité pour ensuite former ces professionnels, au plus près de leur réalité.

Dans le deuxième cas, c'est-à-dire la conception de simulateurs de situations pour la formation professionnelle, les relations entre ces trois mondes sont de toute autre nature. Tout d’abord, ces trois mondes dépendent totalement l’un de l’autre, dans un but bien précis : concevoir un simulateur, de telle sorte que l’artefact issu du monde technique puisse devenir un instrument (Rabardel, 2002). Comme nous le développons plus loin. La théorie instrumentale élargie de Rabardel, considère qu'un artefact4 est différent d'un instrument dans le sens où l'artefact contient une part potentielle de l'instrument. l’instrument est construit par le sujet à partir de cet artefact au cours de son usage lors d’une activité. L’instrument est construit par le sujet à partir de cet artefact au cours de son usage lors d’une activité : des fonctions initialement conçues et prévues par le concepteur de l’outil (Rabardel les qualifie de constituantes) sont

4 Un artefact tout objet technique ou symbolique ayant subi une transformation d’origine humaine, si petite soit-elle

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modifiées et d’autres fonctions nouvelles (elles sont dites constituées) sont créées, au cours de son usage. Le concept de genèse instrumentale consiste ainsi en l’élaboration de l’instrument à partir de l’artefact par l’utilisateur au cours de l’activité. Il s'agit donc que l'artefact issu du monde de la technique devienne un instrument, non seulement pour le monde de la formation, mais également pour le monde de la profession (les professionnels ou des futurs professionnels à former). Dans ce cas précis, les métiers visés peuvent balayer tous les champs professionnels. Concernant la conception et la mise au point de tels simulateurs, la prise en compte des formateurs n’est pas systématique. Nous avons évoqué cette perspective dans le domaine de la formation des infirmières lors d’une conférence que nous avons tenue dans la journée d’étude organisée par le comité d’entente des formations infirmières et cadres CEFIEC au CHU du bassin de Thau le 16 octobre 2014. Une recherche est en cours sur ces genèses instrumentales avec l’IFSI du CHU du bassin de Thau. Le dispositif de simulation que nous avons créé « Simulation interdisciplinaire replay système » (SIRS) (Ghinamo, Jean, Girardin & Reversat , à paraître) est actuellement mis en œuvre et fait l’objet d’analyse de l’activité des formateurs et des étudiants.

La première approche consiste à charger le monde technique de concevoir dans son domaine de compétences un artefact de type simulateur, pour ensuite le confier au monde de la formation pour l’utiliser. C'est la plupart du temps le monde de la profession notamment à l'initiative des décideurs, qui contacte le monde de la technique, avec trois scénarios possibles :

− le monde de la profession laisse au monde de la technique toute latitude pour choisir les références à la profession et concevoir l'artefact,

− le monde de la profession associe au monde de la technique ce qu'il estime représentatif des pratiques de la profession : des professionnels référents, un cahier des charges, des documents …,

− le monde de la profession impose une approche prescriptive, en référence à des textes officiels, ou à des décisions de changements de pratiques avec peu de liens avec ce qui se fait sur le terrain.

La première remarque est qu'en règle générale, à notre connaissance, le monde de la formation n'est pas associé à la conception. « Notre expérience et un récent rapport européen sur les applications militaires de la formation sur simulateurs ans le domaine militaire (Farmer, Jorna, Riemersa & al., 1999) montrent que, dans la pratique, d’une part les utilisateurs finaux (apprenants, instructeurs) sont les derniers à être associés au cycle de conception, et d’autre part que les spécialistes de l’activité humaine ne sont sollicités que pour les phases finales de validation (…) » (Samurçay, 2005, p. 54). Il devient le destinataire de l'artefact une fois produit, pour le mettre en œuvre. Les exemples sont nombreux, notamment les domaines de la maïeutique (Courtin & Jean 2016), des soins infirmiers (Jean, à paraître), de l'armée (Jean & Meyer, à paraître), dans lesquels les centres de formation reçoivent des simulateurs accompagnés de notices d'utilisation. Le premier simulateur interactif reçu par l’école de maïeutique de Nîmes

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a été conçu pour la formation des obstétriciens en collaboration entre des médecins et une école d’ingénieur. Son utilisation dans l’école de sage-femme a nécessité des recherches sur l’analyse de l’activité des sages-femmes enseignantes utilisant le simulateur pour élaborer des formations adaptées (Courtin & Jean, 2016). Le simulateur formant les combattants de l’armée de terre est issu d’un jeu de simulation. Son adaptation pour la formation n’a pas sollicité des formateurs pour cela (Jean & Meyer, à paraître) Charge à eux d'adapter leurs méthodes pédagogiques, leurs dispositifs, leurs pratiques, leurs objectifs à ces artefacts de simulation. Rarement une formation de formateurs est prévue dans la livraison, et lorsqu'elle l'est, elle relève plus du fonctionnement technique que d'exemples pédagogiques. Le monde de la formation, découvre ainsi au hasard des artefacts, des incohérences de modélisation, des utilisations nécessaires, mais non prévues, des utilisations inutiles, mais prévues, des normes dépassées, mais non modifiables, qui quelquefois aboutissent à ce qui est couramment appelé dans les soins infirmiers : « le mannequin du placard » en référence à son emplacement définitif...

La deuxième remarque est que bien souvent, les simulateurs auraient pu être beaucoup plus adaptés à la profession et correspondre à des méthodes pédagogiques utilisées par le monde de la formation. « Aussi, la prise en compte des formateurs dès la conception de l’artefact peut constituer un réel enjeu : il s’agit de lui permettre de contribuer à la réflexion sur les possibilités de simuler certains types de situations qu’il pourrait faire travailler (…) » (Vidal-Gomez, Fauquet-Alekhine & Guibert, 2011, p. 117). Il arrive également quelquefois que des simulateurs conçus et livrés ne répondent pas à de réels besoins des apprenants en tant que futurs professionnels et/ou des formateurs. Ceci déclenche alors des « bricolages », au sens de Lévi-Strauss (1962). Pour le bricoleur, « la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les “moyens du bord”, c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures » (ibid., p. 31). Nous citerons l’exemple du volet scotché sur l’écran du simulateur d’accouchement, pour masquer une posologie du pays de fabrication du simulateur. La posologie ne correspondait tout simplement pas à celle en vigueur en France.

Ces deux remarques nous amènent à la seconde approche, que nous pensons prendre davantage en compte les points de vue de ces trois mondes. Cette approche consiste à associer dès le départ un quatrième monde : le monde de la recherche. Pour éviter les écueils repérés dans les deux remarques précédentes et ainsi pouvoir constituer ensemble un cahier des charges de conception raisonné, raisonnable, réaliste et dont les objectifs et contraintes soient arrêtés de manière consensuelle par les quatre mondes, le principe serait alors, à partir de l'analyse du travail des professionnels et des formateurs, de repérer les possibilités techniques, de prendre en compte les et attendus institutionnels, pour concevoir dans une visée de recherche technologique associée à la formation, un artefact associé à des dispositifs de formation. La formation par la simulation, pourrait alors produire les apprentissages nécessaires pour former des professionnels

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compétents. C’est une autre vision de la conception de simulateurs qu’il faut considérer. Dans cette seconde approche, que nous allons particulièrement développer dans ce chapitre, le monde de la technique se met au service des mondes de la formation, et de la profession, à partir des résultats obtenus par le monde de la recherche. Dans ce cas, l'idée que nous allons développer consiste à créer un monde commun, dans lequel les acteurs des quatre mondes (recherche, formation, profession et technique) vont dialoguer, travailler, échanger, complémenter leurs compétences, pour aboutir à un artefact de formation muni des conditions potentielles pour qu’il devienne un instrument entre les mains des formateurs (Rabardel, 2002). Cependant, cette collaboration étroite entre les quatre mondes, de la recherche, de la formation, de la profession et de la technique, autour de ce projet commun, va nécessairement demander connaissances, compétences, ressources et postures que les acteurs autour de ce projet devront posséder, acquérir ou mobiliser. Ce sont ces composantes, plus particulièrement nécessaires aux formateurs, que nous proposons de rechercher.

Quelles modalités de création d’un monde commun y a-t-il dans un projet de conception raisonnée d’un simulateur ou d’un dispositif de simulation ? Comment concevoir un artefact simulateur ou un dispositif de simulation, dans une visée instrumentale de son utilisation ? Quelles connaissances, quelles compétences, quelles ressources seraient nécessaires aux formateurs pour devenir acteurs-actifs dans un tel projet ? Quelles postures devront-ils mobiliser, tenir ou acquérir afin que la conception d’un simulateur corresponde à un véritable besoin de formation ? Avec des visées de formation, quelles parts du technologique, du scientifique et du professionnel intégrer dans « l’artefact simulateur » afin qu’il devienne dans un dispositif de formation « instrument-simulateur » ?