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9 La formation des formateurs

9.2 Genèse instrumentale, pour qui, pour quoi ?

Théorie de l'activité étendue et genèses instrumentales

Dans Mind in Society (1931/1978), Vygotski, cité par Rabardel (2002, p. 267) affirme que l’outil et le signe contribuent tous les deux, dans leur essence, à l’activité médiatisée. Partant de la théorie de l'activité de Vygotski, Rabardel développe une théorie de l'activité instrumentale

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étendue (2002). Pour lui, l’activité humaine doit être considérée sous l’angle de ses moyens de toute nature : les instruments appropriés, élaborés, et mobilisés par les sujets. En ce sens tous les types d’instruments devraient être pris en compte, bien au-delà des restrictions pour un type particulier d'instruments (techniques et psychologiques) opérées par Vygotski. Pour Rabardel, il est nécessaire de dépasser le caractère trop limité de cette conceptualisation en distinguant plusieurs directions de la médiation :

- le rapport médié à l'objet d'activité externe (qui chez Vygotski caractérise l'instrument technique ou matériel),

- le rapport médié à soi-même et le rapport médié aux autres, caractéristiques, pour l'auteur, de l'instrument psychologique. »

Tout instrument constitue un médiateur pour les trois types de rapports. Par conséquent la différenciation « instruments matériels » et « instruments psychologiques » opérée par Vygotski, ne paraît pas pertinente. « Tout instrument constitue potentiellement un médiateur pour les trois types de rapports que nous avons évoqués, ces trois types de rapports pouvant être coprésents au sein des actes instrumentaux. » (Rabardel, 2002, p. 277)

L’instrument ne se réduit pas à l’artefact. D’autre part, au travers des genèses instrumentales, il tient à la fois de l’objet et à la fois du sujet. L’instrument est « une entité fondamentalement mixte, constituée, du côté de l’objet d’un artefact, d’une fraction, voire d’un ensemble d’artefacts matériels ou symboliques, et du côté du sujet d’organisateurs de l’activité que nous avons nommés par ailleurs les schèmes d’utilisation et qui comprennent des dimensions représentatives et opératoires. » (p. 284)

Les schèmes d’utilisation sont en fait les entités psychologiques des actes instrumentaux au sens de Vygotski. Pour Rabardel, un artefact doit devenir un instrument pour son utilisateur afin de pouvoir médier son activité et devenir efficace pour des classes de situations. Pour cela, il doit y avoir une genèse instrumentale de la part du couple utilisateur/artefact instituant l'artefact en tant qu'instrument pour l'utilisateur. « L’artefact n’est pas en soi instrument ou composante d’un instrument (même lorsqu’il a été initialement conçu pour cela), il est institué comme instrument par le sujet qui lui donne le statut de moyen pour atteindre les buts de son action. Les artefacts s’inscrivent à ce titre au sein de l’activité dont ils provoquent des réorganisations plus ou moins importantes. » (Rabardel, 2002, p. 285)

Une genèse instrumentale porte à la fois sur l'artefact et sur le sujet lui-même au travers de « deux processus.

Les processus d’instrumentalisation concernent l’émergence et l’évolution des composantes artefacts de l’instrument : sélection, regroupement, production et institution de fonctions, détournements et catachrèses, attribution de propriétés, transformation de l’artefact (structure, fonctionnement, etc.) qui prolongent les créations et réalisations d’artefacts dont les limites sont, de ce fait, difficiles à déterminer ;

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Les processus d’instrumentation sont relatifs à l’émergence et à l’évolution des schèmes d'utilisation et d’action instrumentée : leur constitution, leur fonctionnement, leur évolution par accommodation, coordination combinaison, inclusion et assimilation réciproque, l’assimilation d’artefacts nouveaux à des schèmes déjà constitués, etc. » (Rabardel, 1995,

p. 111)

ou encore

« Le processus de genèse instrumentale est doublement orienté :

- vers le sujet lui-même, par l’assimilation de nouveaux artefacts aux schèmes, l’accommodation des schèmes aux nouveaux artefacts : c’est l’instrumentation ;

- vers l’artefact, par la spécification et l’enrichissement de ses propriétés par le sujet qui lui donne un statut de moyen pour l’action en cours et la situation : c’est l’instrumentalisation. » (Folcher & Rabardel, 2004, p. 261

Les simulateurs et artefacts pour simuler doivent donc être institués en tant qu'instruments par leurs utilisateurs, afin qu'ils génèrent des dynamiques d'apprentissage. Or, deux types d'utilisateurs partagent ce type d'artefacts : les apprenants et les formateurs. Nous pourrions donc en déduire qu'il est nécessaire pour chacun des types d'utilisateurs, qu'il se produise des genèses instrumentales. Pour les premiers, l'instrument ainsi obtenu pourra médier leurs activités afin de modifier leurs schèmes, et leurs représentations et invariants opératoires dans le cadre de leur formation. Pour les formateurs, les genèses instrumentales devraient permettre, de provoquer et de faciliter des genèses instrumentales pour les premiers : des genèses instrumentales « apprenants/artefact ».

Des genèses instrumentales pour les formateurs : vers un outillage pour former

Les genèses instrumentales « permettent au sujet de produire les moyens de ses actions et de son activité dans la diversité des situations qu'il rencontre et en fonction des spécificités et des régularités propres à chaque classe de situations. » (Rabardel, 2002, p. 283). Pour les formateurs, il y a deux situations de travail qui les caractérisent, sur deux types d'artefacts qu'ils vont utiliser.

Les situations de conceptions des dispositifs de simulation, et les situations de formations proprement dites, où il accompagne, ajuste les paramètres du simulateur ou des artefacts pour simuler, ou encore mobilise des combinaisons de gestes professionnels d'ajustement (Bucheton, 2009) pour faire apprendre.

Les deux types d'artefacts qu'ils utilisent découlent directement des deux types de situations. Les artefacts matériels représentés par les simulateurs et les artefacts pour simuler d'une part, les dispositifs eux-mêmes que l'on peut considérer comme des artefacts immatériels qu'il a créés ou contribuer à créer lui-même.

Nous pouvons donc en déduire que deux catégories de genèses instrumentales doivent s'opérer : l'une sur le dispositif, l'autre sur le simulateur ou les artefacts pour simuler.

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Concernant le dispositif, nous pouvons supposer, comme nous l'avons montré pour les formateurs lors de stages de récupérations de points de permis de conduire (Jean, 2016) que des conceptions dans l'action, vont complémenter les conceptions pour l'action (Rabardel, 1995), élaborées pour les prescriptions.

Concernant le simulateur ou les artefacts pour simuler, nous proposerons tout d'abord un exemple relevé par Courtin (2015). La photographie de la figure 8 ci-dessous illustre à notre sens un exemple d'instrumentalisation et de bricolage au sens de Lévi-Strauss (1962).

Figure 7. Le simulateur SIMone TM