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III LA SIMULATION ET LA PLACE DU LANGAGE

7. Une autre approche : simulation dite « pleine échelle » et simulation dite « de résolution de problèmes »

7.2 Entre dimension constructive et dimension productive de l'activité

Dans Le Capital, Marx (1867) développe l'idée que le travail est le moyen pour l’homme de transformer la nature afin d’en faire un espace de culture propre à l’homme. Il suit en cela suit la pensée de Descartes qui dans le Discours de la méthode énonçait que le travail nous rendait « maîtres et possesseurs de la nature ». Il reprend la thèse de Kant lorsqu’il affirme que le travail « développe les facultés qui y sommeillent [en nous] » Il donne au travail un rôle de vecteur de développement de l’homme. « La nature semble même avoir trouvé du plaisir à être la plus économe possible, elle a mesuré la dotation animale de l’homme si court et si juste pour les besoins si grands (…) elle voulait que l’homme dût parvenir par son travail à s’élever » (Kant, 1784/1988, p. 12 à 13).

Ainsi pour Marx, par le travail l’homme transforme la nature, mais par le travail, l'homme apprend, s’entraîne et de fait acquiert de l’expérience. « Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature. L’homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu’il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent. » (Marx, 1867, p. 199). Nous pourrions presque trouver chez Marx, les prémisses de la notion de représentation et d'opérations que Piaget puis Vergnaud développent pour l'action : « Le résultat auquel le travail aboutit, préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d’action, et auquel il doit subordonner sa volonté » (ibid.).

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Rabardel et Samurçay (2004) reprennent cette idée pour expliquer que dans toute situation de travail, il y a une activité productive et une activité constructive. Cette approche partant du principe qu'il existerait deux activités placent les auteurs en porte à faux, vis-à-vis des développements ultérieurs de Léontiev, Rubinstein, Rasmussen, Engestrom, qui eux, ne considèrent qu'une seule activité. Clot récuse d'ailleurs cette séparation en affirmant « l'activité médiatisante ordinaire, quand elle n'est pas empêchée, est productive de capacités » (Clot, 2008, p. 22). Nous nous rangerons à l'approche de Pastré, qui reconnaît l’ambiguïté de cette séparation qui entraîne de ne considérer l'activité productive qu'en termes de fonctionnement et l'activité constructive en termes de développement. Il préfère parler d'une seule activité qui aurait deux dimensions ; une dimension constructive et une dimension productive (Pastré, 2011, p. 100). L'homme au travail transforme le monde, c'est la dimension productive de l'activité, mais il se transforme également lui-même, c'est la dimension constructive. L'homme au travail produit des biens et des services et pour ce faire il apprend en travaillant.

C'est en reprenant cette idée que nous pouvons appréhender les situations de travail et les situations de formation, avec une approche, en même temps, cohérente, homogène et comparative. Dans une situation de travail « classique », c'est la dimension productive de l'activité qui est visée. Cette dimension productive va entraîner une dimension constructive qui, elle, est seconde en termes de but visé. L'homme apprend en travaillant, c'est ce que nous avons appris chez Marx, puis Rabardel et Samurçay (2004). Dans une situation de formation « classique », c'est la dimension constructive qui est visée, pour un peu que la situation comporte une situation-problème, une démarche de projet, ou un prétexte de création ou de fabrication d'un objet pour apprendre, la dimension productive apparaît. En d'autres termes, sous prétexte de production d'un bien ou un service, en en misant sur la motivation qu'elle va engendrer, c'est l'apprentissage qui est visé prioritairement.

Ces transferts successifs de Marx, à Rabardel et Samurçay, du travail à la formation, nous permettent à présent d'envisager la formation par simulation sous un autre angle. Il s’agit de partir de l'apprentissage des situations de travail et par des situations de travail. Puisqu'on apprend en travaillant, nous pouvons alors nous servir du travail pour apprendre. Barbier (1996, p. 35) classe les formations qui se rapprochent des situations de travail en trois catégories : la formation conçue « à partir de la situation de travail », la formation « dans les situations de travail », la formation « par la mise en situation de travail ». Pastré (2005) parle de « classe générale de l'apprentissage par l'action » (p. 79). Ce type de formation est fondée sur ce que nous venons de développer : puisqu'on apprend en travaillant, on peut alors se servir du travail pour apprendre.

Dans ce type de formation, nous pouvons imaginer un continuum de modalités, partant de l'apprentissage sur le tas : la formation dans les situations de travail (Barbier (ibid.) à l'étude de cas :à partir de situations de travail (Barbier, ibid.). Dans l'apprentissage sur le tas, c'est la dimension productive de l'activité qui est visée, et qui sert de support à la dimension constructive. Dans l'étude de cas, théoriquement, aucune dimension productive n'est associée, car

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seule la dimension constructive est visée. Nous utilisons le terme « théoriquement », car à notre avis, il y a quand même une production par l'intermédiaire des résultats de chacune des études de cas que l'on pourrait qualifier de productions de second niveau. En effet, on peut supposer que le formateur n'a pas réellement besoin des résultats des études de cas réalisées par les apprenants. Nous proposons de considérer que l'étude de cas relève de la simulation, certes rudimentaire, mais de la simulation tout de même. Si l'on part de la définition que nous avons proposée plus haut, et qui « va consister à fournir, par l'intermédiaire de simulateurs ou d'artefacts pour simuler, des modèles d'objets du réel, de situations réelles aux formateurs, afin que ces derniers puissent élaborer des situations d'apprentissage qui placent les apprenants dans des conditions favorables pour qu'ils puissent construire ou modifier certaines de leurs représentations. », il s'agit bien de simulation. Il y aurait donc simulation dès que l'on s'écarte d'une situation réelle de travail et qu'on la remplace, même partiellement, par un artefact matériel ou immatériel consistant à faire réfléchir les apprenants sur cet avatar et ayant pour visée de provoquer de l'apprentissage. Si l'on prend l'approche des deux dimensions constructives et productives de l'activité, obligatoirement présentes, conjointes et indissociables dans des situations de travail, on peut se focaliser sur les effets de la dimension productive dont les modifications vont influer sur la dimension constructive. Dit autrement, cela signifie que nous pourrions parler de simulation dès que la dimension productive de l'activité attendue de la situation de travail réelle est volontairement modifiée par un acteur pour comprendre, apprendre, modifier des représentations, des concepts, etc. Cet acteur peut être un formateur ou le travailleur lui-même, les modifications peuvent être minimes ou importantes. Tout va donc se jouer sur les différences entre la situation réelle avec sa production attendue, et la situation transformée associée à la construction opérée. Ceci nous permet d'appeler « situation simulée » la situation transformée.

Concrètement, transformer, même un tant soit peu, la situation réelle sur le lieu de travail pour apprendre davantage et mieux n'est pas toujours possible pour des raisons de sécurité et de coûts et d'éthique. C'est certainement cette raison qui a poussé certains responsables de formations professionnelles, à créer des situations de toutes pièces, à l'aide d'artefacts sophistiqués, afin de reconstruire ailleurs une situation de travail fictive, dans laquelle effectivement, aucune production concrète n'est réellement attendue, afin que seule la dimension constructive soit mobilisée. En revanche, éliminer tous les risques est théoriquement possible puisque justement, aucune production n'est attendue. Ce qui nous fait entrevoir une autre façon de voir la simulation. Moins il y a de productions dans une situation simulée, moins il y a de risques liés à cette production. C'est un peu comme si l'activité au travail était un tout, à l'intérieur duquel par un système de vases communicants, dimension productive et dimension constructive de ce tout, fluctuaient au profit ou au détriment de l'autre, caractérisant les degrés entre une situation de travail et une situation de formation.

Une précision s'impose ici, caractéristique de l'approche qui est la nôtre. La construction ex nihilo d'une situation simulée ne signifie pas systématiquement l'utilisation de simulateurs matériels, techniques et sophistiqués. L'utilisation d'artefacts pour simuler ou d'humains simulateurs est largement envisagé et envisageable dans ce cas de figure.

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7.3. Entre dimension figurative et dimension opérative : Simulateurs « pleine