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2.1 Premières perceptions chrétiennes orientales et mozarabes de l’islam

2.2.1 Premiers contacts en Occident

Revenons sur le contexte des premiers contacts directs en Occident. Après avoir vaincu les royaumes wisigothiques de l’Espagne, les armées musulmanes poursuivent leur avancée au-delà des Pyrénées et atteignent le Rhône, Avignon, Lyon puis Narbonne,

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Sénac, L’image de l’Autre, p. 14-18. Ce dernier mentionne notamment les pratiques animistes présentes chez de nombreux croyants chrétiens, dont des clercs, et que plusieurs mesures adoptées par les souverains carolingiens démontrent bien l’ampleur de ces phénomènes.

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Sénac, op. cit., p. 14-15.

34 Procédant à une analyse étymologique dans le style d’Isidore de Séville, Bède le Vénérable explique en

recourant à la Bible que ces envahisseurs se nomment Agareni et que leur nom vient du mot hébreu gar qui signifie « ennemi » ; voir Tolan, Sarrasins, p. 118.

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Ibid., p. 124. Tolan rappelle par ailleurs que, durant cette période, l’Europe subit de nombreuses invasions (Saxons, Frisons, Normands, Vikings, etc.) et que des auteurs comme Bède le Vénérable et Frédégaire n’avaient pas de raisons de distinguer les musulmans de ces autres envahisseurs qui représentaient tous des menaces temporaires à leurs yeux.

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et occupent le Languedoc pendant une quarantaine d’années.37

Toutefois, ces armées rencontrent une résistance plus tenace et connaissent également plusieurs défaites : en 721 à Toulouse, face à Eudes d’Aquitaine et en 732 à Poitiers, face à Charles Martel.38

Alors que l’expansion musulmane outre-Pyrénées est freinée, les musulmans entament des expéditions maritimes depuis l’Andalousie et l’Ifriqiya, poursuivent les raids et les pillages aussi bien en France qu’en Italie et s’attaquent aux îles méditerranéennes dont la Sicile, la Sardaigne et la Corse.39 Étant donné que les communautés ecclésiastiques sont souvent ciblées en raison de leurs reliques saintes ornées de pierres précieuses, d’or et d’argent, elles cherchent à répandre l’image d’un islam agresseur et violent.40

Durant la première moitié du VIIIe siècle, plusieurs religieux décrivent cette gentem perfidam sarracenorum comme des « pillards », des « tombeurs de cités », des « destructeurs », des « faiseurs d’otages et artisans de la traite » et, n’ayant pas d’intérêt à l’égard des croyances d’un envahisseur supplémentaire, ils ne l’associent à aucune religion si ce n’est qu’à un culte païen et idolâtre.41

Sauf auprès de quelques ecclésiastiques, la prédication de Mohammed demeure largement méconnue en Occident, ainsi le faible niveau de connaissances chrétiennes sur l’islam accorde une grande liberté à l’imagination des auteurs latins. Au IXe

siècle, la Chronographie de Théophane est traduite en latin, fournissant de nouvelles informations sur l’islam et, surtout, sur Mahomet.42 Toutefois, les fidèles chrétiens étant majoritairement incultes, la popularisation de l’image d’un islam polythéiste passe plutôt par la prédication et, 37 Clôt, L’Espagne musulmane, p. 30-31. 38 Guichard, Al-Andalus, p. 27 et 33. 39

Georges Jehel, La Méditerranée Médiévale de 350 à 1450, Paris, Armand Colin, 1992, p. 36. Par exemple, les musulmans vont piller Brindisi en 838, Tarente en 840, Rome en 846 et St-Gall en 939. Ils capturent également des hommes et des femmes pour l’esclavage, notamment à Nice, à Marseille et Arles.

40

Sénac, L’image de l’Autre, p. 21-22.

41

Ibid., p. 24-25.

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surtout, l’art sous toutes ses formes.43

Durant les siècles ultérieurs, des textes en langue vernaculaire chantés par des jongleurs (tels les récits de jeu courtois et les chansons de geste, dont notamment la Chanson de Roland) contribuent à la diffusion d’un islam polythéiste où ses adeptes sacrifient des idoles et adorent des démons ou des dieux souvent liés à la religion romaine antique.44

Cependant, au-delà du mépris à l’égard d’un culte polythéiste et de l’image négative d’un islam violent que tentent de diffuser le clergé, les considérations politiques motivent plusieurs princes chrétiens à pactiser avec des puissances musulmanes, comme cela fut le cas entre les Carolingiens et les Abbassides.45 Ce contexte d’échange de cadeaux diplomatiques contribue ainsi, dès le IXe siècle, à l’émergence d’une image d’un Orient exotique, notamment lorsque Charlemagne aurait reçu un éléphant.46 C’est également au cours de cette période que nous retrouvons l’un des premiers emprunts du latin à l’arabe dans des récits : amiralmuminin, soit amîr al-mu’minîn qui signifie le commandeur des croyants (le calife).47 Un autre cas particulier est la Sicile lorsqu’elle passe sous le joug des Normands au XIe siècle.48 L’île a alors connu plusieurs processus d’islamisation ainsi que d’arabisation et possède une importante population musulmane ;

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Sénac, L’image de l’Autre, p. 63. Par exemple, au sein des lieux de culte, nous retrouvons des fresques, des tympans, des vitraux et des linteaux qui représentent le Sarrasin comme étant physiquement laid.

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Parmi ce panthéon, nous retrouvons Apollon, Tergavant, Jupiter, etc., et bien sûr Mahomet lui -même ; voir Tolan, Sarrasins, p. 158.

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Débutant sous Pépin le Bref (751-768) vers 765, ces relations diplomatiques se poursuivirent sous Charlemagne (768-814) jusque vers 831 sous Louis le Pieux (814-840) ; voir Philippe Sénac, « Les Carolingiens et le califat abbasside (VIIIe – IXe siècle) », dans Philippe Sénac et Nicolas Prouteau, dir.,

Chrétiens et musulmans en Méditerranée médiévale (VIIIe - XIIIe siècle), Poitiers, Centre d'Études

Supérieures de Civilisation Médiévale, 2003, p. 3-5.

46

Sénac, loc. cit., p. 7-8.

47

Ibid., p. 9.

48 Nous rappelons que la Sicile était une ancienne province de l’empire byzantin entre 535 et 837, suite à

quoi des musulmans aghlabides de Karouan l’ont conquise entre 831 et 902. Attaqué par les Fatimides au Xe siècle qui envoient les Banu Kalbi pour la diriger, les luttes entre les gouverneurs des différentes vill es permettent la conquête de l’île par les Normands venus d’Italie du Sud à partir de 1061 ; voir Lamaa, « Chrétiens et musulmans », p. 7-8.

néanmoins, les souverains normands, tels Roger I et Roger II, maintiennent plusieurs éléments de la société musulmane, dont des hauts fonctionnaires, des bains et fondouks, témoignant ainsi d’un intérêt à l’égard de la culture arabo-musulmane.49

Nous retrouverons également cet intérêt envers la culture arabo-musulmane chez d’autres souverains, l’exemple le plus notable étant probablement Frédéric II de Hohenstaufen. Toutefois, au-delà de nécessités stratégiques et de réalités contraignantes qui motivent cette collaboration, la religion musulmane demeure sans doute un élément déprécié.50