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Morcellement sociopolitique du Proche-Orient à la veille des croisades

1.2.1.1 Les invasions turques

Malgré leur nombre minoritaire parmi la population du Proche-Orient jusqu’au XIe siècle, nous avons mentionné plus tôt que les esclaves turcs, introduits par les califes pour combler les besoins militaires croissants, jouent un rôle essentiel au sein de l’empire

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Par exemple, les communautés chrétiennes maintiennent dans plusieurs régions leur langue liturgique originelle, comme le syriaque ; voir Bettini, « Expansion de l’arabe », p. 299. Nous ajouterons aussi que la question du lien social étant complexe, les dhimmis peuvent être à la fois intégré dans la société (en occupant des fonctions administratives et commerciales) et exclus (par la nature de leurs activités et par des mesures de ségrégation dont le cloisonnement des communautés dans différents quartiers) ; voir Boissellier, « De la différenciation sociale à la minoration », p. 47.

abbasside.64 Au XIe siècle, cette situation évolue lorsque les Seljoukides repoussent les Ghaznévides et envahissent rapidement le Khorassan, une partie de l’Iran, l’est de l’Anatolie puis le nord de l’Irak, dont Bagdad en 1055, mettant fin à la tutelle du calife par les émirs chiites Bouyides.65 L’introduction, dès lors massive et continue, de groupes turkmènes forme un évènement important dans l’histoire du Proche-Orient, car cela modifie durablement la composition ethnographique de la partie orientale du dâr al- islâm, introduit de nouvelles traditions et une culture turque, en plus d’établir une nouvelle élite politique allogène à la tête de royaumes nommés sultanats. Parmi ces groupes turcs, les Seljoukides constituent une dynastie importante en raison de l’étendue de leur domaine, contrôlant notamment la Palestine entre 1072 et 1092.66 Bien qu’ils soient convertis depuis peu, ils se montrent soucieux, à l’instar d’autres dynasties qui les succéderont, d’affirmer leur respect de la religion musulmane et de se présenter comme les champions de l’islam en construisant plusieurs monuments religieux sunnites.67

1.2.1.2 Les atabegs turcs et les émirs arabes

Lors de la scission du pouvoir seljoukide, plusieurs principautés locales administrées par des princes de la famille seljoukide ou par des atabegs (hauts dignitaires turcs) se forment, notamment en Syrie : les plus importantes sont les villes d’Alep ainsi que

64 Déjà entre 868 et 905, l’Égypte est gouverné par des esclaves turcs, les Toulounides, puis entre 935 à 969

par les Turcs Ikchidides, voir Thierry Bianquis, « L’Égypte sous les Tûlunides et les Ikhchidides, 860-968 après J.-C. », dans Carl F. Petry, dir., The Cambridge History of Egypt, Cambridge, Cambridge University Press, vol.1, 1998, p. 91-108 et 109-119.

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Picard, Monde musulman, p. 33-36 et Farale, Les Turcs face à l'Occident, p. 61-63.

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Grâce à leur armée de turcomans, des turcs nomades utilisés comme combattants de la foi (ghazî), la dynastie des seljoukides mènent une phase d’expansion jusqu’en 1092 avant de se scinder, pour diverses raisons, en plusieurs branches vers 1118. L’une d’elles établit un royaume prospère jusqu’en 1307, le sultanat de Rûm, situé sur d’anciens territoires byzantins, voir Picard, Monde musulman, p. 34-39.

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Deborah G. Tor, « Sovereign and Pious: the Religious Life of the Great Seljuq sultans », dans Christian R. Lange et Songül Mecit, dir., The Seljuqs: Politics, Society and Culture, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2011, p. 39 et 49.

Damas.68 Mais avec la multiplication des instabilités dans cette région, de puissants officiers turcs vont remplacer les héritiers seljoukides dont ils ont la tutelle et former de nouvelles dynasties, tel les atabegs de Mossoul qui fondent la dynastie zengide. Sous certains atabegs comme Zengi et Nûr al-Dîn, plusieurs villes connaissent une nouvelle heure de gloire ; c’est notamment le cas avec Damas et Alep qui, géographiquement bien situées, deviennent de brillantes capitales politiques, religieuses et économiques sous les atabegs zengides puis sous les maliks ayyoubides.69 À ces puissances locales s’ajoutent aussi les émirs, soit des princes arabes qui conservent quelques possessions à travers le Bilâd al-Shâm. Parmi ceux-ci, nous retrouvons la tribu arabe de Munqidh qui contrôle la forteresse de Shayzar et sa région entre 1081 et 1157.70

1.2.1.3 Les Ismaïliens

Parmi les divisions religieuses signalées précédemment, nous devons nous arrêter sur le mouvement chiite ismaélien. Fondant initialement la dynastie des Fatimides en Ifriqiya en 909, celle-ci se déplace vers l’Égypte à partir de 969. Cette dynastie se démarque par la création d’un califat chiite rivalisant celui des Abbassides sunnites jugé usurpateur ainsi que d’une nouvelle capitale, le Caire.71 Malgré un développement prospère jusqu’en 1171, les Fatimides connaissent plusieurs troubles internes notamment

68

Picard, Monde musulman, p. 37-38.

69

Thierry Bianquis, « Damas », dans Jean-Claude Garcin, dir., Les grandes villes méditéranéennes du

monde musulman médiéval, Rome, École française de Rome, 2000, p. 52-55 et Anne-Marie Eddé, « Alep »,

dans Jean-Claude Garcin, dir., Les grandes villes méditéranéennes du monde musulman médiéval, Rome, École française de Rome, 2000, p. 157-158.

70

« Shayzar », dans Dictionnaire historique de l’islam, p. 752. Le membre le plus connu de cette tribu est sans doute Ousamâ ibn Munqidh, auteur du Kitâb al-I`tibâr ; voir Ousamâ ibn Munqidh, Des

enseignements de la vie: souvenirs d'un gentilhomme syrien du temps des Croisades, trad. par André

Miquel, Paris, Imprimerie Nationale, 1983, 444 pages.

71 Comme l’explique Paula A. Sanders, cette nouvelle cité est construite de façon à mettre en valeur le rôle

de l’imam de même que les dogmes ismaéliens ; voir « The Fatimid State : 969-1171 », dans Carl F. Petry, dir., The Cambridge History of Egypt, Cambridge, Cambridge University Press, vol.1, 1998, p. 172-173.

avec la population égyptienne majoritairement sunnite ; pour cette raison, ceux-ci accordent aux non-Égyptiens et les non-musulmans une place significative au sein de leur administration.72 Bien que située en Égypte, la dynastie fatimide joue un rôle majeur dans la région du Bilâd al-Shâm, que ce soit lors de la destruction du Saint-Sépulcre en 1008- 1009 sous le règne du calife fatimide al-Ḥâkim ou que ce soit pour le contrôle du littoral syrien contre les Seljoukides au XIe siècle ou contre les croisés au XIIe siècle.73 Au fil des siècles, le mouvement ismaïlien connaît plusieurs scissions importantes ; parmi celles-ci se trouvent les druzes qui, persécutés pour avoir divinisé al-Ḥâkim, se réfugient dans les montagnes syriennes ainsi que les nizârites qui, également connus sous le nom de néo- ismaïliens ou Assassins, s’établissent entre la fin du XIe

siècle et durant le XIIe siècle dans un ensemble de forteresses comprenant Alamut en Iran et Masyâf en Syrie à partir desquelles ils entreprennent des actions fanatiques pour exécuter diverses figures seljoukides, abbassides, fatimides, latines et autres.74

72 David Bramoullé, « Espaces et structures de l’échange sur les littoraux orientaux du monde fatimide »,

dans Philippe Sénac et Nicolas Prouteau, dir., Chrétiens et musulmans en Méditerranée médiévale (VIIIe - XIIIe siècle), Poitiers, Centre d'Études Supérieures de Civilisation Médiévale, 2003, p. 79. Ces troubles

internes inciteront le grand vizir égyptien à solliciter l’aide de Nûr ad-Dîn qui lui envoie une armée dirigée par le général kurde Shîrkûh. Toutefois, ce dernier va remplacer le vizir avant de mourir et d’être remplacé par son neveu, Saladin, qui abolit le califat fatimide deux ans plus tard ; voir Anne-Marie Eddé, Saladin, Paris, Flammarion, 2008, p. 38-46.

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Pierre Guichard, « Jérusalem entre musulmans et chrétiens du Xe au XIIIe siècle », dans Philippe Sénac et Nicolas Prouteau, dir., Chrétiens et musulmans en Méditerranée médiévale (VIIIe - XIIIe siècle), Poitiers,

Centre d'Études Supérieures de Civilisation Médiévale, 2003, p. 22-23 et Bramoullé, « Espaces et structures de l’échange », p. 86-88.

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Paul E. Walker, « The Isma’ili Da’wa and the Fatimid Caliphate », dans Carl F. Petry, dir., The