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2.1 Premières perceptions chrétiennes orientales et mozarabes de l’islam

2.2.2 Premiers contacts hors de l’Occident

En plus des contacts militaires, politiques et diplomatiques évoqués précédemment, plusieurs chrétiens occidentaux rencontrent également les musulmans en dehors des territoires chrétiens ; en effet, le Proche-Orient est, bien avant les croisades, un lieu où plusieurs chrétiens séjournent pour différentes raisons. Tout d’abord, bien que ne possédant pas de sources nous révélant leurs perceptions de l’islam, nous évoquerons rapidement que plusieurs Occidentaux séjournèrent au Proche-Orient en tant que mercenaires.51 Ensuite, nous mentionnerons que la présence en terre islamique de nombreux comptoirs commerciaux gérés par des chrétiens latins italiens est avérée dès le Xe siècle.52 Développant leurs activités maritimes, ces villes italiennes multiplient les

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Lamaa, « Chrétiens et musulmans », p. 9-10.

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Sénac, L’image de l’Autre, p. 107.

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En effet, Byzance recrute à plusieurs reprises des mercenaires normands, allemands, flamands et anglo- saxons pour renforcer son armée qui lutte sur de nombreux fronts, dont les tribus turques en Anatolie, voir Michel Balard, Croisades et Orient latin, XIe -XIVe siècle, Paris, Armand Colin, 2001, p. 27.

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Parmi ces comptoirs commerciaux, nous retrouvons la colonie amalfitaine à Constantinople qui fut la première à commercer avec l’Égypte fatimide, suivie des Pisans et des Génois, initialement établis à Antioche, voir Balard, op. cit., p. 25-26.

contacts avec le monde musulman en organisant des voyages vers la Terre sainte.53 Bien que nous ne connaissions pas les perceptions de ces marchands latins au sujet de l’islam, il est fort probable que celles-ci devaient être plus nuancées que l’image des Sarrasins présentée par l’Église romaine.

Finalement, d’autres Occidentaux se rendent au Proche-Orient pour des raisons spirituelles : soit le pèlerinage, dont la pratique est antérieure à l’émergence de la civilisation islamique. Toutefois, les premiers pèlerins ne consacrent pas ou très peu d’intérêt aux croyances des musulmans car, le pèlerinage étant fait pour des motifs pénitentiels et pour le salut de l’âme, les Lieux Saints monopolisent l’essentiel de leur attention.54 De plus, la barrière linguistique entre les pèlerins et les musulmans forme un autre facteur important qui limite les contacts.55 Ainsi, lorsque des pèlerins décrivent les musulmans, les informations sont brèves mais évoquent tout de même des processus d’appropriation religieuse : par exemple, lorsque le prêtre franc Arculf (ayant fait un pèlerinage entre 679-682) décrit les Arabes, il ne mentionne que leur entreprise de construction d’une « église sarrasine ».56

Un autre pèlerin du VIIIe siècle nommé Willibald mentionne que, durant son séjour en Terre sainte, il a prié aux côtés de musulmans dans l’église de Nazareth, mais il les qualifie quand même de « païens » et va jusqu’à écrire que ces derniers veulent en réalité détruire l’Église.57

Néanmoins, les récits de pèlerinage vont jouer, au fil des siècles suivants, un rôle croissant dans la diffusion d’une image négative de l’islam alors, qu’à partir de la

53 Ahmad Hoteit, « Les pèlerinages occidentaux à Nazareth d’après les traités de paix conclus entre

musulmans et Francs », dans Louis Pouzet et Louis Bosset, dir., Chrétiens et musulmans au temps des

croisades : Entre l’affrontement et la rencontre, Beyrouth, Presses Universitaires de Saint-Joseph, 2007,

p.,21.

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Tolan, Sarrasins, p. 123.

55

Sénac, L’image de l’Autre, p. 13.

56

Tolan, op. cit., p. 117.

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première moitié du Xe siècle, ces voyages pénitentiels se multiplient suite aux accords entre empereurs byzantins et califes fatimides qui facilitent l’accès aux Lieux Saints.58

Bien que la prise de Jérusalem au VIIe siècle ne semble pas avoir provoqué de traumatisme au sein de la chrétienté latine (les théologiens ont alors avancé que la condition terrestre de Jérusalem était sans intérêt en comparaison à la Jérusalem céleste), le pèlerinage, entreprise périlleuse à toute époque, demeure soumis aux aléas des conditions politico-militaires du Proche-Orient.59 Conséquemment, bien que les souvenirs bibliques prennent souvent le pas sur les évènements d’actualité, les pèlerins sont parfois victimes d’attaques ou voient des évènements qui les choquent.60

Ne sachant pas le contexte politico-militaire de la région, ces pèlerins croient à des attaques concertées visant à leur interdire l’accès aux Lieux saints et propagent à leur retour cette vision en Occident.61 Ainsi, jusqu’au XIe siècle, malgré le fait que les contacts entre chrétiens et musulmans s’effectuent en maints lieux et dans différents contextes, seule une minorité d’Occidentaux possède des connaissances souvent approximatives ou déformées au sujet des musulmans.62 Comme Sénac le mentionne, cette image grossière et erronée provient du fait que, pendant longtemps, les informations sur l’islam étaient transmises par des

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Hoteit, « Les pèlerinages occidentaux », p. 20.

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Pierre Guichard, « Jérusalem entre musulmans et chrétiens du Xe au XIIIe siècle », dans Philippe Sénac et Nicolas Prouteau, dir., Chrétiens et musulmans en Méditerranée médiévale (VIIIe - XIIIe siècle), Poitiers,

Centre d'Études Supérieures de Civilisation Médiévale, 2003, p. 21-22.

60 Par exemple, nous évoquerons la désastreuse campagne de l’empereur byzantin Jean Ier

Tzimiskès en 975 qui se solde par des destructions à Nazareth, ou encore, la destruction du Saint-Sépulcre et les conversions forcées de chrétiens et de juifs ordonné par le calife fatimide al-Hâkim en 1008-1009.#

61 Guichard, « Jérusalem entre musulmans et chrétiens », p. 26. Tel que l’évoque Graboïs, à terme, cette

interprétation contribue au motif de libération du Saint-Sépulcre qui mène éventuellement à l’idée de croisade ; voir Aryeh Graboïs, Le pèlerin occidental en Terre sainte au Moyen âge, Bruxelles, De Boeck Université, 1988, p. 159-160.

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hommes d’Église, soit des individus dont la vocation et la mentalité leur dictaient le rejet d’une religion qui leur est étrangère.63