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Chapitre 1 – Les Canadiens français représentés dans la presse anglophone

1.1 Une entrée de guerre aux airs enthousiastes (1914-1915)

1.1.1 Premier aperçu de l’enrôlement francophone

Dans tous les dominions britanniques, l’annonce de l’entrée en guerre semble généralement bien reçue par la population16. D’après l’historiographie canadienne de la Grande Guerre, le Canada n’y fait pas exception, et l’on voit défiler dans le pays tout entier des foules enthousiasmées à l’idée de secourir la mère patrie menacée17. Journaux et témoignages personnels racontent que les airs patriotiques anglophones et francophones résonnent à l’unisson dans les rues. Ainsi, aussitôt la déclaration de guerre publiée, plusieurs quotidiens s’expriment en ces mots : « French Canada has rallied to the flag, and the entire population stands united in the opinion that Great Britain must fight […] »18. Le simple fait de noter l’enthousiasme francophone est intéressant. Il laisse

16

C’est un fait généralement admis dans la communauté historienne, notamment par : Archer Fortescue Dugout, Official History of the Canadian Forces in the Great War, 1914-1919, General Series Vol.1, Ottawa, Ministère de la Défense nationale, 1938, p. 4. ; G.W.L. Nicholson, le Corps expéditionnaire

canadien 1914-1919, Section historique de l’Armée, Ottawa, Ministère de la Défense nationale, 1963, p. 6.;

Jonathan Vance, Mourir en héros. Mémoire et mythe de la Première Guerre mondiale, Outremont, Athéna Éditions, 2006, p. 255 ; Jeffrey A. Keshen, Propaganda and Censorship During Canada’s Great War, Edmondton, University of Alberta Press, 1996, pp.3-4.

17 Rappelons également que, lors de la déclaration de guerre, la croyance d’une guerre courte était

répandue dans l’opinion publique. Cette idée a sans contredit eu des répercussions sur l’enthousiasme des foules qui se lançaient dans un conflit dont elles ignoraient tout de son enlisement futur. Même le leader nationaliste Henri Bourassa, qui se révèlera farouchement opposé à la guerre par la suite, se prononce initialement, par la tribune de son journal Le Devoir, en faveur de l’intervention armée canadienne. Desmond Morton, Histoire militaire du Canada, Outremont, Athéna Éditions, 2007, p.149. ; Oscar Douglas Skelton, Life and Letters of Sir Wilfrid Laurier, Vol. II, Toronto, Oxford University Press, 2010, p. 435.

18 Des 152 articles sélectionnés pour cette étude, 33 couvrent la période 1914-1915. Sur ces 33, 20 font

référence à la réponse enthousiaste des Canadien français. En plus de cet extrait du Toronto Daily Star, 4 août 1914, en voici d’autres exemples : « The representation of the French Canadians on the first expeditionary force now ready to leave Valcartier is much greater than has generally been supposed. There are upwards of 2500 French-speaking Canadians with the first contingent but since the majority of those have been drafted with English-speaking units they do not make as large a showing as if they have been mobilized in French-speaking regiments. » Voir Globe and Mail, 25 septembre 1914, p. 16 ; « The Canadian contingent are on this occasion fully representative of all classes of the community, both English- speaking and French-speaking. […] Quebec is fully represented in the Canadian Expeditionary Force. » Voir Times, 9 octobre 1914, p. 5. ; « Sir Robert said it was a fine thing that all nationalities in Canada are fighting side-by-side. […] » Voir Toronto Daily Star, 28 septembre 1914, p. 12. ; « […] we see English- speaking Canadians and French-speaking Canadians drawn infinitely closer together by a common enthusiasm for a common cause » Toronto Daily Star, 11 août 1914, p.6.

sous-entendre un certain étonnement face à la réponse francophone. Si l’on prend la peine de la souligner, c’est sans doute que l’on craignait une réaction contraire. Écartées du discours articulé par la presse anglophone, certaines formes d’opposition – ou simplement d’indifférence – à la guerre doivent forcément avoir été observées, mais en ces temps cruciaux, l’image d’une réponse forte et unie (véhiculée par les journaux) est de toute évidence plus judicieuse pour rallier la population à la cause des Alliés. Malgré nos réserves quant à la totale homogénéité de cette réponse, c’est celle qui sera reprise dans les médias.

Même lorsque le premier contingent est détaché, et donc que les autorités militaires ont une idée relative de la composition ethnique de leurs effectifs, les commentaires vantant la participation canadienne-française continuent d’abonder. Les estimations les plus optimistes vont jusqu’à clamer la présence de « 24 000 of them in the first Canadian contingent »19, ce qui est grossièrement exagéré puisque l’on sait que la très forte majorité des 30 000 recrues formant le premier contingent provient des îles britanniques20. Une telle déclaration reflète une perception anglophone exagérément optimiste de la participation militaire canadienne-française, à tout de moins au début du conflit. Ici encore, le souci de projeter une image positive de la participation des citoyens canadiens et en l’occurrence, des Canadiens français, peut être présumé. Toutefois, la majorité des médias ne sont pas si généreux dans leurs évaluations21 – ce qui laisse croire

19Daily Mail, 29 septembre 1914, p. 6.

20 On estime que les Britanniques de première génération ont composé à 70% les effectifs du premier

contingent. Sur les 30 617 recrues, 18 495 sont nées en Grande-Bretagne, 9159 au Canada et 652 dans d’autres colonies britanniques. Voir Cook, At The Sharp End… p.29.

21 Les articles retenus estiment entre 2000 et 2600 le nombre de Canadiens français dans le premier

contingent. Les recensements des historiens sont plus faibles, oscillant entre 1000 pour Serge Durflinger, 1200 pour Jean-Pierre Gagnon et 1755 pour Jean Martin. Voir Serge Durflinger, « Le recrutement au Canada français durant la Première Guerre mondiale », Musée canadien de la guerre, [en ligne]

qu’après tout, ces chiffres erronés ne proviennent peut-être que d’une simple erreur d’inattention de la part de l’éditeur – mais l’idée d’une réponse enthousiaste et spontanée des Canadiens français à l’appel aux armes est généralement admise dans les articles à l’étude.