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Chapitre 2: Les antécédents de l’étude de l’art rupestre du Salvador

I. Les premières découvertes (1889-1914)

A. Les auteurs nationaux

1. Le Dr. Santiago Barberena (1851-1916)

C’est en 1888, avec la visite du Dr. Barberena à Corinto, que commence l’étude de l’art rupestre au Salvador. Avocat, professeur, historien, ingénieur, linguiste et encyclopédiste, on notera qu’en 1888 il est invité par le gouvernement du Honduras à visiter Copan et c’est d’ailleurs la même année qu’il visite la Grotte de Corinto (aussi connue sous le nom de la Cueva del Espiritu Santo). Il s’agit en fait d’un abri sous roche (fig. 58).

Il démontre un intérêt tout particulier pour ce gisement puisqu’il l’évoque en ces termes332 :

« De tous nos monuments archéologiques, celui qui m’a le plus intéressé est la Grotte de Corinto, dans le territoire occupé par les Lencas du Salvador (…). »

Pour être le premier à avoir commenté les richesses iconographiques de Corinto, de nombreux auteurs font référence à cette étude et Barberena publiera à plusieurs reprises sur le site333.

332 Barberena 1914, p. 241, traduction de l’auteur :

“De todos nuestros monumentos arqueológicos el que más me ha llamado la atención es la Gruta de Corinto, en el territorio ocupado por los lencas de El Salvador (...).”

333 Pector 1891, p. 631, Peccorini 1913, p. 174, Barberena 1914, p. 241, Barberena 1950, p. 315, Barón Castro 1942, pp. 19 et 73 et De Baratta 1952, p. 368

181 Le Dr. Barberena ne fait pas référence à une époque, ni ne rapproche les peintures d’un groupe culturel donné même s’il précise que le lieu se situe en territoire Lenca. En réalité, Corinto se trouve en territoire Cacaopera. On notera également qu’à cette époque les anciens du village ne connaissent plus l’origine des inscriptions de l’abri.

Figure 58 : Photographie de l’abri de Corinto en 2010 (photographie : Stéphanie Touron) Dans son livre Historia de El Salvador, Barberena ne fait pas que décrire Corinto ; dans le chapitre : Monumentos Arqueológicos de El Salvador, il nomme 334 :

- 1. L’idole de Talpa, dans le département de La Paz, dont l’existence est remise en doute.

- 2. Les pétroglyphes d’ Estanzuelas. - 3. Les pétroglyphes de Sesori.

- 4. La Piedra-Bruja, proche de Sensuntepeque.

- 5. La Piedra Pintada de Titihuapa, où selon le docteur Rodiguez, les indiens d’Apastepeque allaient célébrer leurs sacrifices en honneur à leurs dieux.

182 2. Jeremias Mendoza (1859-1927)

Le second auteur salvadorien qui s’intéresse en détail à l’art rupestre de son pays est Jeremias Mendoza. Lardé et Larin le décrit comme un agriculteur travailleur et chercheur des cultures lenca et ulua, mais il met en garde sur le fait que Mendoza intitule son œuvre en évoquant les Lencas même s’il s’agit en fait des Cacaoperas335. Il élabore une étude approfondie datant de 1913 intitulée: Paginas Históricas de la Raza

Lenca de la Republica de El Salvador, Estudio Arqueológico, Etnológico, Filológico y Geográfico por Jeremías Mendoza Obra Ilustrada con Varios Grabados y Jeroglíficos

(Pages Historiques de la Race Lenca de la République du Salvador, Étude Archéologique, Éthnologique, Philologique et Géographique par Jeremias Mendoza Œuvre Illustrée de Plusieurs Gravures et Hiéroglyphes).

Cette étude ne sera pas publiée avant 1952 dans le livre de Maria de Baratta en intitulé : Cuzcatlán Típico. Ensayo sobre etnofonía de El Salvador: Folklore, Folkvisa y

Folkway (Cuscatlan Typique. Essai d’éthnophonie du Salvador : Folklore, Folkvisa et

Folkway).

Les écrits de Mendoza sont emprunts de positivisme, d’évolutionnisme, de racialisme et de nationalisme, caractéristiques de la seconde moitié du XIXe siècle, même s’il écrit, au début du XXe siècle336. Toutefois, l’art rupestre compose un des thèmes centraux de la monographie.

Il nomme au sein de son étude :

- 1. La Gruta de Corinto, où l’on apprend qu’un pèlerinage s’effectuait encore récemment par les gens de Cacaopera 337.

- 2. Las Labranzas ; elle se trouve dans la juridiction territoriale de Cacaopera338. Du fait de sa situation géographique et de la description qui en est donnée (Mendoza mentionne une grotte à côté de la paroi gravée), il est possible de rapprocher Las Labranzas est le gisement connu aujourd’hui sous le nom de la Koquinca339. 335 Lardé et Larín 1975, p. 22 336 Costa 2010a, pp. 30 à 37 337 Baratta 1952, p. 368 338 Baratta 1952, p. 369 339 Costa 2010a, p. 39

183 - 3. Llano de las Mesas, un abri avec des manifestations rupestres associé à du matériel céramique et lithique (ibid.). L’intérêt d’un site associé à du mobilier a motivé en 2012 la recherche du lieu, mais sans succès340.

- 4. Poza de la Bruja, où il ne fait que rapporter une information orale341.

- 5. Cerro de Cukinca, que n’a pas visité Jeremias Mendoza. Il doit s’agir d’un abri peint avec une mare au pied de la paroi et des cupules 342. Un élément dans la description des motifs pourrait éventuellement permettre d’associer ce site à la Cueva de las Figuras, au nord de Morazan. En effet, Mendoza explique 343 :

« Mais ce qui attire plus l'attention du visiteur, c'est une peinture d'une figure humaine qui est au centre; la physionomie est horrible... Elle a des cornes sur la tête et une longue queue qui passe au-dessus du corps; elle est dans une position tordue, avec un bras tendu vers l’avant et l'autre tourné vers l'arrière. Comme me l'ont décrit ceux qui l'ont vu, c'est la copie d'un grand singe et c'est pour cela que les gens sots pensent que c'est le portrait du diable .»

En dehors du rapprochement fait avec le diable, la description d’une figure humaine au centre de la paroi évoque le panneau de La Cueva de las Pinturas, où un anthropomorphe aux dimensions importantes, les bras tournés vers le haut, marque le milieu de la paroi peinte.

- 6. Cerro de Koroban (Cerro Coroban), associé à un site d’habitat344. En outre, Mendoza explique qu’un prêtre menait des processions avec la population voisine de Lolotiquillo sur le sommet de la montagne au début du XXe siècle (ibid.). Les cas d’association entre gisement rupestre et établissement sont rares au Salvador, de ce fait des sondages archéologiques ont été dirigés par l’auteur de ces lignes en 2012 sur le Cerro Coroban dans l’objectif de mieux connaître la chronologie de ces vestiges345.

340 Costa et al. 2011, p. 21

341 Baratta 1952, p. 371

342 Baratta 1952, p. 372

343 Baratta 1952, p. 372, traduction de l’auteur :

“Pero lo que más llama la atención del visitante, es una pintura de figura humana que está en el centro; la fisonomía es horrible...Tiene cuernos en la cabeza y una larga cola que le pasa arriba del cuerpo; está en una posición sesgada, con un brazo extendido hacia adelante y el otro vuelto atrás. Según me la han descrito los que han visto, es el facsímile de un mono grande, y por esto creen las gentes estólidas que es el retrato del diablo.”

344 Baratta 1952, p. 373

184 Au sujet de l’art rupestre, Mendoza rend compte de plusieurs superstitions qui remontent probablement à la Colonie et à la diabolisation des sites en lien avec l’évangélisation. Force est de constater que ces croyances sont toujours d’actualité et ne favorisent pas la conservation des manifestations graphiques rupestres. Mendoza rapporte tout d’abord que les gisements sont 346: « (…) l’endroit favori où se présentent ceux qui désirent posséder des trésors sans travailler. » Il fait référence à des pactes avec le diable et rapporte 347:

« Les gens racontent que, celui qui sollicite, n'avait rien de plus à faire que de monter au sommet de la montagne, où il faisait l'invocation avec plusieurs cérémonies magiques; après apparaissait le propriétaire de l'enchantement, sous l'apparence d'un élégant gentleman et alors ils mettaient en place l'accord, qui consistait à recevoir de grandes richesses en échange de son âme. Ce marché s'assurait premièrement avec une écriture signée avec le sang de l'intéressé et la cérémonie se terminait quand le supposé gentleman marquait avec son fer rouge celui qui sollicitait l'accord. »

Ainsi, un grand nombre de sites rupestres au Salvador portent le nom de Fierros car dans l’imaginaire de la population locale les motifs rupestres sont la marque des fers issus des pactes faits avec le diable. Sur plusieurs sites, les paysans reconnaissent le diable dans les motifs rupestres en dépit parfois de leur caractère très peu figuratif.

En dehors de ces superstitions populaires, Mendoza évoque à plusieurs reprises sa conviction selon laquelle les motifs rupestres sont une écriture 348. De la même manière, dans ses relevés des sites, les motifs sont représentés de façon linéaire et horizontale, comme l’écriture latine (figs 59, 60 et 61), sans correspondre avec la réalité (fig. 62).

346 Baratta 1952, p. 371, traduction de l’auteur :

« Ha sido el punto favorito a donde han acudido los que desean poseer tesoros sin que les cueste trabajo. »

347 Baratta 1952, p. 372, traduction de l’auteur :

“Según cuentan las gentes, el solicitante, no tenia más que llegar a la punta del cerro, donde hacia la evocación con varias ceremonias mágicas; luego se le aparecía el dueño del encanto, bajo la apariencia de un elegante caballero y entonces se ajustaba el trato, que constituía en recibir grandes riquezas en cambio del alma. Este negocio se aseguraba primero con una escritura firmada con la sangre del interesado, y el ceremonial terminaba con que el supuesto caballero marcaba con su fierro de herrar al sindicado.”

347 “Las primeras líneas que están cerca del suelo, han sido desfiguradas o casi borradas por la gente ignorante que a diario visita la gruta, creyendo que esos signos son fierros y marcas de herrar ganado que diseñaron los antepasados.”

185 Pour Mendoza, l’art rupestre a plusieurs fonctions ; les motifs sont des symboles divins et les gisements des lieux de cultes et de magie où les indiens réalisaient des pèlerinages349. Il cite, par ailleurs, le cas des Cacaoperas qui une fois par an effectuaient un pèlerinage à Corinto, situé à 15 km au nord-est (ibid.). C’est la deuxième fois qu’un auteur rapporte ce genre de pèlerinage à des sites rupestres en vigueur au XIXe siècle. En effet, Barberena mentionne le cas de la population d’Apastepeque se rendant à la Piedra Pintada de Titihuapa à 15 km au nord-est350. En parlant de magie en relation avec l’art rupestre, Mendoza fait référence à la guérison351, l’adoration et l’observation du soleil et de la lune352, également à des fins agricoles353, le culte des idoles et des morts et la sorcellerie354.

Figure 59 : Premier relevé de gravures au Salvador sur le site Las Labranzas355

349 Baratta 1952, p. 368 350 Barberena 1914, p. 248 351 Barberena 1914, p. 378 352 Barberena 1914, p. 371 353 Barberena 1914, p. 379 354 Barberena 1914, p. 377 355 Baratta 1952, p. 379

186 Figure 60 : Premier relevé de gravures au Salvador sur le site Las Labranzas356

Figure 61 : Premier relevé de gravures au Salvador sur le site Las Labranzas357

356 Baratta 1952, p. 380

187 Figure 62 : Photographie des gravures de Las Labranzas en 2007

3. Peccorini Atilio (1887-1949)

Atilio Peccorini, avocat et notaire, cofonde avec Barberena et Lardé la « Société des Américanistes et de Géographie du Salvador » et est partenaire correspondant de la « Société des Américanistes de Paris ». Le 7 décembre 1912, il prononce une conférence dans le Salon de la Société des Américanistes intitulée : Quelques données sur l’Archéologie de la République du Salvador.

La conférence donne, en réalité, un panorama des gisements connus à l’époque et des principaux monuments du pays. Les sites rupestres cités sont :

- 1. La Gruta de Corinto358. - 2. L’Idole de Talpa359.

- 3. Les « admirables » pierres peintes d’Estanzuelas, le gisement n’a pas été objet de recherches ultérieures mais a été repris par plusieurs auteurs.

- 4. Les pierres peintes d’Olocuitla (ibid.). Il doit s’agir du site Chinameca, dans la municipalité de San Francisco Chinameca, mentionné par Lardé en 1926. Une visite de Manzano et Perez en 2006 démontrera l’absence de manifestations rupestres360.

358 Peccorini 1912, p. 178

359 Peccorini 1912, p. 176

188 - 5. Les pierres peintes de Sesori qui « méritent tout éloge pour leur pureté et leur correction »361, le lieu n’a pas été objet de recherches ultérieures mais il a été repris par différents chercheurs par la suite.

B. Une parenthèse française

1. Charles Étienne Brasseur dit Brasseur de Bourbourg (1814-1874)

Brasseur de Bourbourg est un missionnaire français, considéré comme l’un des pionniers de l’archéologie et de l’histoire précolombienne.

Dans son : Histoire des nations civilisées du Mexique et de l’Amérique Centrale durant les siècles antérieurs à Christophe Colomb, écrite sur des documents originaux et entièrement inédits, puisés aux anciennes archives des indigènes il mentionne des rites sur les îles du lac de Güija, à la frontière entre le Salvador et le Guatemala, « où l'on continuait à offrir, avec beaucoup de solennité, des sacrifices dans les îles qui s'élevaient à sa surface. » 362

Une des principales île du lac de Güija, Igualtepeque, est en fait un des deux sites rupestres majeurs du Salvador avec Corinto ; elle accueille toute une série de roches gravées (fig. 63). Cette mention serait l’évocation la plus ancienne d’un gisement d’art rupestre salvadorien, même si Brasseur ne va pas jusqu’à mentionner les blocs taillés.

361 Peccorini 1912, p. 177

189

Figure 63 : Playa de los Petroglifos, sur les plages de la presqu’île d’Igualtepeque, avec détails de deux gravures du rocher au second plan, en 2004

2. Pector Désire

Pector Désire a été Consul Général des Républiques du Nicaragua du Honduras et du Salvador à Paris, entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle et un des premiers membres de la Société des Américanistes dès 1900.

En 1891, Pector Désiré publie un article dans le Congrès International d’Anthropologie et d’Archéologie Préhistoire qui s’intitule : De quelques grottes ayant pu servir de refuge, temple ou sépulture à des peuplades précolombiennes de l'isthme centre-américain et des débris humains et découvertes. Il y présente La Gruta de Corinto en citant directement Barberena363.

À une époque où les intérêts commerciaux et scientifiques français se développent en Amérique Centrale, Pector Désiré est un de ces diplomates qui publiera afin de stimuler les investissements et l’immigration française en Amérique Centrale364. On pourra citer un de ses principaux ouvrages Les richesses de l’Amérique Centrale (1908).

363 Pector : 1891, p. 635

190 Liste des sites rupestres connus et partiellement publiés en 1914

* Barberena mentionne : - 1. la grotte de Corinto - 2. l’Idole de Talpa

- 3. les pétroglyphes d’Estanzuelas - les pétroglyphes de :

- 4. la Piedra Bruja - 5. la Piedra Pintada

* Jeremias Mendoza évoque les sites du département de Morazan : - 1. la Grotte de Corinto

- 2. la Grotte de Las Labranzas (la Koquinca) - 3. le Llano de las Mesas

- 4. la Poza Bruja - 5. le Cerro de Cukinca - 6. le Cerro de Koroban * Pector Désiré parle de Corinto

* Atilio Peccorini cite différents endroits : - 1. La Grotte de Corinto

- 2. l’Idole de Talpa

- 3. les pierres peintes d’Olocuitla - 4. les pierres peintes d’Estanzuelas - 5. les pierres peintes de Sesori

De cette liste de sites, les gisements rupestres identifiables aujourd’hui sont (fig. 64 et tab. 11) :

- 1. Corinto

- 2. Piedra Pintada de Titihuapa, dans le département de Cabanas - 3. Las Labranzas, aujourd’hui connu sous le nom de la Koquinca - 4. Cerro Cukinca, il s’agit probablement de la Cueva de las Figuras - 5. Cerro Coroban

191 Figure 64 : Carte des gisements rupestres connus en 1914 et identifiables en 2016

II. Les recherches scientifiques systématiques (1926-1959)

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