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Première famille de critiques de l’hypothèse de crise : l’aspect tautologique

2. Les critiques de l’hypothèse de crise

2.1. Première famille de critiques de l’hypothèse de crise : l’aspect tautologique

Rodrik (1996) souligne l’aspect tautologique de l’hypothèse de crise. Affirmer que la crise est la cause de la réforme n’explique rien et revient à dire que le feu produit la fumée ; Rodrik (1996), p.27 : « Que la politique devrait suivre la crise, n’est pas plus surprenant que

la fumée suit le feu »50. Nous pouvons toutefois mettre en doute la pertinence de l’analogie

proposée par Rodrik : la présence de fumée dépend de la nature du combustible. Si ce dernier est composé uniquement de gaz naturel, sa combustion n’entraînera pas de fumée. Ainsi, comme nous le discutons plus loin, la nature de la crise importe pour déterminer s’il y aura ou non réforme.

Cette critique ne remet pas en cause l’aspect véridique de l’hypothèse de crise mais bien plus son aspect opérationnel: à quoi pourrait servir cette hypothèse qui découlerait du bon sens ?

Plus précisément Rodrik (1996) soutient que cette hypothèse est trop facilement falsifiable et qu’elle ne peut donc être testée correctement. Ainsi, la réforme aura lieu quand la politique en cours est un échec ; Rodrik (1996), p.27 : « La réforme devient naturellement

une solution seulement quand les politiques sont perçues comme ne fonctionnant pas. Une crise est juste un cas extrême d’échec politique »51.

2.1.1. La réponse de Drazen

Pour répondre à cette critique Drazen a imaginé d’introduire une nuance à propos de la gravité de la crise ; nous l’avons vu plus haut. Si la crise n’est pas assez forte, elle ne déclenche pas de réformes. Il faut beaucoup de nuisances pour que les agents réagissent et réforment, comme le note Drazen (2000), p.445 : « Pourquoi est-il nécessaire que les temps

deviennent vraiment très mauvais (et pas seulement mauvais) pour induire la réforme ?»52.

Cependant, il faut s’interroger sur ce qu’est une crise qui provoque une période vraiment très mauvaise et celle qui crée une période simplement mauvaise53. En effet, il ne semble pas qu’il existe de valeurs absolues de la crise qui permettrait de dire quel est le niveau d’inflation ou de dette publique provoquant une réforme. Cette idée se retrouve chez Breton et Breton (1969), p.199 : « Qu’est-ce qui constitue une réduction significative du taux

de croissance et qu’elle sera la durée critique de cette baisse pour contraindre l’environnement social à réagir variera sûrement selon les endroits et la période »54.

Face à cette difficulté, des auteurs tentèrent de contourner l’épineuse question de la mesure de la crise en introduisant des considérations qualitatives. Sturzenegger et Tommasi (1998) proposent, par exemple, de s’intéresser aux mécanismes qui lient la crise et la réforme,

51 « Reform naturally becomes an issue only when policies are perceived not to be working. A crisis is just an

extreme case of policy failure. »

52 « Why do times need to get very bad (and not just bad) to induce reform? ».

53 Nous établissons dans le chapitre II une distinction claire entre une crise grave et une crise très grave.

54 «What will constitute a significant reduction in the rate of growth and what will be the critical length over

which this fall will be maintained for the social environment to constraining will certainly vary from place to place and from time to time, »

p.10 : « Pour donner du sens à l’hypothèse de crise, il est nécessaire de clarifier les

mécanismes qui lient la crise et la réforme»55.

Ce déplacement du questionnement n’offre pas de réponse à la question posée par Rodrik mais propose plutôt de comprendre l’ampleur de la crise à travers les mécanismes économiques, sociaux et institutionnels qui sont à l’œuvre. Cette approche bien que nécessaire et utile pour saisir la nature des relations entre la crise et la réforme, est toutefois moins ambitieuse que le projet initial. Celui-ci avait pour objectif de déterminer explicitement quels types de crises et quel niveau de crise entraîneraient des réformes.

Il convient de se demander si Rodrik (1996) ne dénature pas l’hypothèse de crise en la présentant comme une simple tautologie n’offrant aucun intérêt pratique. En reprenant l’analogie du feu et de la fumée, il est nécessaire de s’intéresser à la nature du combustible (ici la nature de la crise) pour savoir si la combustion provoque de la fumée (dans notre cas : les réformes). Les travaux s’appuyant sur l’hypothèse de crise ont avant tout pour objectif de comprendre les mécanismes qui lient la crise économique à la réforme. Plus précisément, ils tentent de donner une substance à ce qui parait une évidence. Dire « la crise entraîne la réforme » n’apporte rien en soi. Ce qui est important ici est ce qui se cache derrière chacun de ces mots. Cette manière de poser le problème dépasse la critique de Rodrik et nous ouvre de nouveaux horizons qui vont s’articuler autour de questions bien moins naïves, comme par exemple : quels sont les mécanismes à l’oeuvre qui font que la crise provoque la réforme ? Quel type de crise provoque des réformes ?

Ainsi, apparaît tout l’intérêt de réfléchir aux liaisons et aux mécanismes qui existent entre la crise et l’environnement dans laquelle elle prend place. Un élément fondamental de ce dernier est le système politico-institutionnel qui représente le mode de fonctionnement de la société. L’effet de la crise va-t-il être modulé par le cadre politico-institutionnel ? Un pilier central de ce cadre est l’action politique menée par les décideurs publics. Le fait de s’interroger sur l’impact de la crise peut être vu comme une critique de l’hypothèse de crise prise dans son acceptation étroite : la crise provoque toujours la réforme.

55 « To make sense of the crisis hypothesis, it is necessary to be clear about the mechanisms that link crisis and

C’est pourquoi nous pouvons considérer nécessaire l’étude de la transformation de la crise économique en crise politico-économique. Cet élargissement de la notion de crise amène à critiquer une vision trop étroite ou restrictive de l’hypothèse de crise.