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La première expérience de l’Eco -Pesa

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 128-131)

Fonctionnement des systèmes de monnaie mobile : le cas (représentatif) de M-Pesa

2. L’innovation sociale d es monnaies locales

2.3. Les monnaies locales kényanes

2.3.1. La genèse des monnaies locales kényanes

2.3.1.2. La première expérience de l’Eco -Pesa

La première monnaie locale utilisée au Kenya a été développée dans le cadre d’un projet à visée environnementale, les bidonvilles souffrant d’un grand nombre de problématiques dans ce domaine. Du fait de l’inexistence d’un système d’évacuation et de retraitement, les déchets s’y accumulent ou y sont brûlés, ce qui entraîne la contamination des eaux et des sols, l’assimilation par les habitants de substances toxiques (par voie directe ou indirecte via les animaux élevés sur place et consommés). Le paludisme, le choléra et d’autres maladies infectieuses se développent également dans ce contexte. ‐nfin, du fait de l’urbanisation croissante, ces zones sont quasi totalement déboisées. L’objectif du projet était donc de favoriser la collecte des déchets et la plantation d’arbres dans les bidonvilles d’intervention. Plutôt que de payer directement en monnaie nationale pour ces opérations à partir des fonds apportés pour cela, ils ont servi à l’émission d’une monnaie locale. Le recours à celle-ci devait permettre d’atteindre les objectifs du projet, tout en soutenant l’économie locale. Il était porté par une ONG internationale, Eco‐Ethics International Union, qui en a assuré le financement, pendant que Ruddick en a développé le volet monétaire.

Le projet Eco-Pesa débuta par trois mois de recherche, de sensibilisation et de discussions avec les acteurs des trois bidonvilles de Kongowea131, situé à proximité de

130 http://grassrootseconomics.org/

131 Kisumu Ndogo, Shauri Yako et Mnazi Mmoja.

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Mombasa, où il devait être mis en place. Le concept de monnaie locale fut présenté aux habitants, et des ateliers organisés pour qu’ils se familiarisent à son usage. Des jeunes furent sélectionnés par les aînés pour concevoir l’iconographie des billets à partir d’images locales. Après cette phase de préparation, la circulation de l’‐co Pesa débuta en août 2010. La monnaie locale fut d’abord introduite via l’allocation d’une somme forfaitaire (50 Eco-Pesa, correspondants à 50 KES, et équivalents à 0,5 €) à chacune des personnes s’étant inscrite pour participer au projet : les propriétaires de microentreprises (75 se sont portées volontaires pour accepter la monnaie dans leurs commerces) et les jeunes (volontaires pour participer aux opérations environnementales et être rémunérés en Eco-Pesa). Une première phase d’un mois avait pour but d’initier la circulation de la monnaie, phase durant laquelle il était possible de convertir ses shillings kényans en Eco-Pesa à un taux bonifié (100 shillings permettant d’obtenir 120 ‐co-Pesa), pendant que la reconversion des Eco-Pesa en shillings était découragée par l’application d’une taxe équivalente à la bonification. La monnaie locale fut ensuite rendue pleinement convertible en même temps qu’elle commença à être injectée via la mise en œuvre des actions environnementales : des opérations de collecte de déchets pour lesquelles les participants étaient rémunérés en Eco-Pesa132. Une fois injectée par ce biais, la monnaie pouvait être dépensée auprès des commerces participants, dont les propriétaires pouvaient la faire circuler entre eux pour leurs achats ou auprès des jeunes en échange de services. Elle pouvait être reconvertie en shillings, uniquement par les commerçants membres du réseau une fois qu’ils l’avaient reçue en paiement.

Vingt tonnes de déchets furent collectées dans le cadre du projet, qui mobilisa un millier de personnes, et trois pépinières gérées par dix personnes furent créées. Un total de 26 400 EP fut injecté133 dans les communautés cibles. Sur la base des données de trois mois de circulation à partir de son introduction, l’impact de l’‐co-Pesa a été évalué (Ruddick 2011). Son principal effet a été de favoriser les échanges, évalués à 313 200 EP en trois mois, soit près de 12 fois la somme injectée. L’injection de monnaie a profité à l’économie locale, et on peut ici faire l’hypothèse que cet impact a été amplifié par l’effet multiplicateur supérieur induit par l’usage de la monnaie locale. La circulation de la monnaie locale n’était pas non plus identique à celle de la monnaie nationale :

132 5 Eco-Pesa par sac.

133 77 % en paiement des opérations environnementales et 23 % via les inscriptions initiales et les conversions de Shillings en Eco-Pesa.

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« L’un des effets d’Eco-Pesa a été d'encourager le commerce en général, chroniquement sous-utilisé dans les trois localités, et de faciliter le commerce interentreprises, qui étaient tous deux faibles en raison de la rareté des shillings. […]

Durant le projet, une situation courante était celle où le propriétaire d’une entreprise cherchait à payer spécifiquement avec Eco-Pesa pour des biens ou services d’une autre entreprise parce qu'il avait confiance dans le fait que le propriétaire de l’autre entreprise reviendrait vers lui pour dépenser les mêmes Eco-Pesa plus tard pour d'autres services. […] Une autre situation courante était celle où un groupe de trois entreprises ou plus utilisait l’Eco-Pesa comme moyen de comptabiliser leurs échanges plus fréquents que lors de l’utilisation de la monnaie nationale, car la monnaie nationale était plus difficile à obtenir, en raison de sa facilité à circuler hors de la communauté ».134 (Ibid., p. 7 8)

80 % des microentreprises participantes ont noté un changement dans leur activité, avec en moyenne une augmentation de 22 % de leurs revenus et un impact positif sur leur nombre de clients. Le projet a constitué pour les jeunes une opportunité d’emploi bienvenue. Certains ont trouvé dans la monnaie locale un moyen d’épargner, en utilisant l’‐co-Pesa pour les besoins quotidiens, et en conservant leurs shillings pour d’autres usages. Enfin, les résidents des zones concernées exprimaient leur fierté de disposer de leur propre monnaie, qui donnait une identité positive à leur communauté.

La dynamique d’acceptabilité de la monnaie est intéressante à observer. ‐n effet, dans un premier temps, le manque de sensibilisation et de compréhension a constitué un obstacle. Après une première période durant laquelle l’acceptabilité de la monnaie n’était pas établie, les résistances disparurent dès lors que les activités environnementales furent lancées, et que davantage de personnes prirent part au projet. L’acceptabilité fut croissante avec l’injection de monnaie à mesure que les activités étaient mises en œuvre, et elle fut encouragée par la suppression des taxes à la reconversion. L’usage de la monnaie locale connaissait un pic suite à son introduction lors des opérations environnementales, une part significative étant reconvertie dans la semaine suivante.

134 « One of the effects of Eco-Pesa was to encourage general trade, chronically underutilized in the three villages, and facilitate business to business trade, both of which were weak due to the sparsity of shillings.

[...] During the programme, a common situation was one where one business owner might seek specifically to pay with Eco-Pesa for another business' goods or services because she or he believed that that the other business' owner was likely to come back to her or him to spend the same Eco-Pesa later for other services [...] Another common situation was one where a group of three or more businesses used Eco-Pesa as a means of recording barter between them on a more frequent basis than they had when using the national currency, since the national currency was harder to find, because of the ease of its flow out of the community »

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L’usage aurait pu être plus grand avec un plus grand nombre d’entreprises participantes, ainsi qu’avec un plus grand nombre d’entreprises offrant des productions locales. En effet, seuls 38 % des biens et services échangés étaient produits localement. La reconversion des Eco-Pesa en monnaie nationale était donc principalement motivée par la nécessité pour les commerces de se réapprovisionner en biens produits en dehors de la communauté, limitant la quantité de monnaie locale en circulation.

L’introduction et l’usage de l’‐co-Pesa a donc été un moyen de s'assurer que les fonds d’un projet d’aide demeurent au sein des communautés cibles et leur bénéficient, illustrant ainsi l’effet de territorialisation opéré par les MLSC. L’‐co-Pesa était une monnaie gagée, dont la valeur était adossée aux fonds dédiés au projet. Sa durée de vie était par construction limitée, étant vouée à être convertie en monnaie nationale au terme du projet. C’est dans le but d’avancer vers un modèle qui soit durable et qui puisse être indépendant de toute organisation extérieure que le modèle a évolué vers celui du Bangla-Pesa.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 128-131)

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