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Les facteurs de la géographie monétaire

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 183-187)

Préambule méthodologique et contextuel aux terrains

Chapitre 3. La monnaie vue depuis l’économie populairel’économie populaire

1. L’influence de la géographie monétaire territoriale territoriale

1.1. Les facteurs de la géographie monétaire

Pour envisager les dimensions géographiques de la monnaie, il faut d’abord examiner les facteurs pouvant déterminer une telle géographie. Nous en identifions trois : la vitesse de circulation de la monnaie, la capacité du territoire considéré à capter des revenus, et sa capacité à les retenir pour en favoriser l’effet multiplicateur.

1.1.1. La vitesse de circulation de la monnaie

La vitesse de circulation de la monnaie est le premier paramètre qui va déterminer l’influence qu’a la circulation monétaire sur l’économie locale. Cela quelle que soit l’échelle d’observation, mais cette vitesse peut montrer des variations locales : la monnaie peut circuler plus rapidement au sein d’un territoire, plus lentement dans un autre.

Calculée pour une période donnée, la vitesse de circulation de la monnaie s’exprime de la façon suivante :

� =

Avec : V la vitesse de circulation, T le volume des transactions pour la période mesurée, et M la masse monétaire en circulation.

Ainsi la vitesse de circulation correspond au nombre de transactions réalisées par unité de monnaie sur une période donnée. Plus elle est élevée et plus les échanges sont

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fréquents, ce qui doit entraîner un plus grand volume d’activité. Ce facteur n’est pas un paramètre facilement contrôlable, il est plutôt le résultat des comportements de consommation des agents, de leurs anticipations vis-à-vis de leurs avoirs monétaires, ou des dimensions techniques des systèmes de paiement : le développement des systèmes de paiement électronique a ainsi eu tendance à augmenter V.

Les innovations monétaires peuvent aussi faire varier la vitesse de circulation de la monnaie : De La Rosa et Stodder (2015) établissent et comparent les vitesses de circulation de neuf monnaies locales, sociales, ou complémentaires. Dans l’ensemble, elles affichent une vitesse de circulation moyenne de 4,9, que les auteurs comparent à celle du dollar américain en 2012 qui était de 1,537. Le Chiemgauer170 (seule monnaie fondante171 de l’échantillon), avec une vitesse de circulation de 11,30 est la deuxième plus rapide172. Celle ayant la vitesse de circulation la plus élevée est la seule à circuler dans un contexte en développement : il s’agit du Palmas173, qui avait une vitesse de circulation de 13,5.

Les monnaies locales auraient donc comme effet d’accélérer la vitesse de circulation de la monnaie dans les territoires où elles circulent. Cet effet devrait également se matérialiser pour la monnaie mobile, mais pas pour la même échelle. Nous verrons ce qu’il en est dans le cas des innovations monétaires kényanes au chapitre suivant.

1.1.2. La captation de revenus

Le deuxième facteur de la géographie monétaire territoriale est la capacité d’un territoire à capter des revenus. ‐n effet, la quantité de monnaie en circulation au sein d’un territoire sera d’autant plus élevée que celui-ci est en capacité de capter des revenus qui irrigueront ensuite l’économie locale. L’approche standard de l’économie géographique voit dans les exportations la principale source de revenus : c’est parce qu’un territoire produit pour répondre à une demande extérieure à celui-ci qu’il capte des revenus depuis les autres territoires. Cette approche entraîne donc des considérations en termes

170 Circulant dans la région bavaroise de l’Allemagne.

171 Le principe de la fonte a été développé par Silvio Gesell (1948). Il visait à lutter contre la dépression économique par l’accélération de la vitesse de circulation de la monnaie, celle-ci perdant de sa valeur de façon périodique.

172 Proche de celle calculée par Volkmann (2012), qui était de 12,3 en 2008, ce qui lui donnait une vitesse de circulation deux fois et demie à trois fois supérieure à celle de l’euro.

173 Voir la présentation de cette monnaie au chapitre 2, paragraphe 2.2.3 (p. 117).

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d’attractivité et de compétitivité des territoires174. Les revenus sont quant à eux vus comme principalement exogènes.

Cette approche est néanmoins réductrice : c’est ce que met en avant la théorie de la base économique, réhabilitée notamment par Davezies (2009), qui cherche à identifier les moteurs du développement local en ne réduisant pas celui-ci à sa part exportatrice.

Les travaux entrepris dans ce cadre montrent que les activités exportatrices expliquent de moins en moins la formation du revenu des territoires175. Comme les exportations ne sont pas la seule source de revenus, il s’agit d’« élargir la notion de moteur du développement, au-delà de la simple acception productive marchande, à l’ensemble des revenus marchands et non marchands qui viennent irriguer l’économie des territoires. » (Ibid., p.

49).

Quatre bases de captation de revenus sont donc identifiées dans ce cadre : la base productive (ou exportatrice) qui comprend les revenus tirés de la production de biens et services exportés, la base publique qui comprend l’ensemble des fonds transférés par l’État aux administrations publiques présentes sur le territoire, la base sociomédicale qui comprend les transferts liés aux prestations sociales et aux remboursements de soins de santé, et la base résidentielle qui comprend les revenus des actifs qui résident sur le territoire mais travaillent en dehors, ainsi que les pensions de retraite versées aux retraités résidant sur le territoire et les dépenses des touristes visitant le territoire. Face à cette diversité des sources de revenus, la capacité d’un territoire à en capter ne doit pas être réduite à sa capacité à exporter. C’est d’ailleurs un « glissement d’une acception monétaire de la base économique vers une autre, physique » (Ibid.) qui avait amené cette théorie à être délaissée dans les années 1980.

Si cette démarche est intéressante, les quatre bases telles que définies pour les économies développées ne sont pas les plus adaptées aux contextes des économies en développement, où la socialisation des revenus est moindre. Mais la théorie de la base économique invite à déterminer l’ensemble des modalités avec lesquelles les revenus irriguent les économies locales, et donc à identifier les flux monétaires qui les structurent.

Cette approche incite à ne pas avoir un regard réducteur sur le développement local, et à ne pas passer « d’une approche initiale en termes de formation du revenu et de circulation

174 C’est la logique qui prévaut pour la question du financement du développement, discutée au chapitre 1, paragraphe 2.2.2 (p. 63).

175 Ces travaux sont principalement centrés sur les agglomérations des pays dits développés, mais peuvent être étendus aux pays en développement.

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monétaire à une approche productive ricardienne qui pose la question macroéconomique locale dans les mêmes termes que celle des nations. » (Ibid., p. 48). Nous appliquerons cette démarche à nos contextes d’étude dans la sous-section suivante.

1.1.3. La rétention des revenus et l’effet multiplicateur local

Outre la capacité d’un territoire à capter des revenus, il faut ensuite que ces revenus circulent sur ce territoire sans s’en échapper. Leur impact économique sera d’autant plus grand que les revenus font l’objet d’un emploi local, et donc que les dépenses des agents du territoire sont adressées à la production locale. Au-delà de la capacité productive exportatrice, le rôle de la consommation doit donc aussi être pris en compte. On touche ici au multiplicateur, introduit par Kahn (1931), repris par Keynes (2005 [1936]), et devenu un élément central de la théorie keynésienne et post-keynésienne (Gnos et Rochon (eds.) 2008). La notion de multiplicateur montre qu’un accroissement de la dépense agrégée engendre un effet macroéconomique supérieur à cette augmentation. En effet, tout accroissement de dépense par un agent est aussi un accroissement de revenu pour un autre, qui accroîtra lui-même son niveau de dépense, et ainsi de suite. D’une augmentation initiale résulte donc une augmentation globale supérieure, par le caractère cumulatif des effets de l’augmentation initiale. ‐n d’autres termes, l’élasticité de l’activité économique au revenu est supérieure à l’unité. Le multiplicateur m s’exprime de la façon suivante176 :

= −

Avec : c la propension marginale à consommer, c’est-à-dire la part de revenu qui est allouée à la consommation.

Pris dans son acception commune, l’ampleur de l’effet multiplicateur dépend du partage du revenu entre consommation et épargne. On peut ici faire de ce concept macroéconomique une application locale ou mésoéconomique, en considérant non pas le partage du revenu entre épargne et consommation, mais le partage du revenu entre consommation locale et consommation importée. Ainsi, plus la propension marginale à

176 Voir Krugman et Wells (2015, p. 347) pour la démonstration algébrique.

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consommer localement est élevée, et plus les revenus captés par un territoire vont y circuler en plus grande proportion, et donc y générer un effet multiplicateur important.

Pour maximiser l’effet multiplicateur, on peut donc chercher à ce que la monnaie qui entre sur un territoire y demeure : c’est l’un des objectifs des MLSC, qui cherchent à localiser une partie de la masse monétaire et à orienter la dépense vers les acteurs du territoire, de façon à en favoriser la circulation locale. Pour en rendre compte, Sacks et al. (2002) ont développé le LM3 (local multiplier 3)177. Il s’agit d’un indicateur qui mesure l’impact d’un revenu pour l’économie locale, en en suivant son devenir sur 3 cycles successifs de revenu/dépense :

= ∑3

Avec : Sl la dépense locale faite du revenu et R0 le revenu initial.

Ainsi, plus la dépense est dirigée vers l’activité économique du territoire et plus le multiplicateur local est élevé. Au contraire, il sera d’autant plus faible que les revenus sont plus aisément dépensés pour l’achat de biens et services produits hors du territoire.

Outre la captation de revenus, il s’agit donc aussi de s’intéresser à l’usage et au devenir de ces revenus. Voyons maintenant de quelles manières ces facteurs agissent sur nos terrains d’étude.

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