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L’avance de la scène kényane

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 91-94)

Fonctionnement des systèmes de monnaie mobile : le cas (représentatif) de M-Pesa

1.1. L ’Afrique sur le devant de la scène de la monnaie mobile

1.1.3. L’avance de la scène kényane

Lorsqu’il est question de monnaie mobile, c’est invariablement le Kenya qui en est la référence incontournable, en tant que lieu de naissance en mars 2007 de son principal avatar, M-Pesa. C’est le dispositif qui a connu le succès le plus important en

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termes d’adoption, record qui reste inégalé (et envié)74. Les chiffres sont effectivement éloquents et sans commune mesure avec les moyennes régionales et mondiales : M-Pesa compte aujourd’hui 19 millions d’utilisateurs actifs (Safaricom 2017), ce qui représente près de 65 % de la population ayant plus de 15 ans. Ses possibilités d’usage sont nombreuses, M-Pesa étant devenu omniprésent : intégré à tous les secteurs économiques, utilisé par toutes les classes sociales, et accessible dans presque toutes les zones géographiques du pays. Une gamme complète de services financiers est accessible par son biais, en particulier des produits d’épargne et crédit (voir en Annexe 3, p.390 l’arborescence de l’interface utilisateur de M-Pesa, telle qu’accessible sur tous les téléphones Safaricom).

Le principal produit d’épargne et de crédit via monnaie mobile, M-Shwari, a été lancé par Safaricom en novembre 2012, en partenariat avec la Commercial Bank of Africa (CBA). Il dote les utilisateurs du service d’un compte auprès de cette banque (sans qu’ils n’aient de démarches supplémentaires à faire), leur permettant d’épargner directement depuis leur compte mobile, donnant ainsi accès à une épargne rémunérée à ceux qui étaient jusque-là non bancarisés (les dépôts sur M-Shwari sont rémunérés à un taux de 7,35 % par an). Les clients peuvent également demander un prêt directement depuis leur téléphone mobile : il suffit pour cela de composer le *234*6#. En retour, le montant de crédit qui leur est autorisé est instantanément communiqué. Ce montant est calculé sur la base des données acquises par l’opérateur (pour pouvoir utiliser M-Shwari, il faut être client M-Pesa depuis au moins de 6 mois). L’historique constitué par l’usage de M-Pesa et des autres services de l’opérateur permet de déterminer la capacité d’endettement de chacun via une méthode algorithmique de notation de crédit. Cette méthode permet à Safaricom (et à d’autres institutions financières) de capter les emprunteurs potentiels avec des coûts d’acquisition très faibles : plus besoin en effet pour les créanciers de nouer des relations directes avec les emprunteurs. Les prêts initialement offerts via M-Shwari sont d’un montant limité, la capacité d’emprunt augmentant avec le bon remboursement de ceux précédemment contractés. Le service donne accès à des prêts allant de 1,15 à 235 $US, remboursables sur une période de 30 jours, à un taux de 7,5 %. Les décaissements et les remboursements se font via M-Pesa. En septembre 2013, le service comptait 2,4 millions d’utilisateurs actifs, pour un encours de prêts s’élevant à

74 Pour les facteurs de ce succès analysé d’un point de vue gestionnaire, voir Mas et Morawczynski (2009) ou Camner, Pulver et Sjöblom (2009).

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9,3 millions de $US. Les défauts sur les prêts s’élevaient à 3,8 % du portefeuille. Grâce à M-Shwari, le nombre de comptes auprès de la Commercial Bank of Africa a été multiplié par plus de 140 en moins d’un an (passant de 35 000 à plus de 5 millions) (Pénicaud et Katakam 2013). Ce cas constitue ainsi un exemple d’inclusion financière effective dans la mesure où des populations qui n’avaient jusqu’alors pas accès aux services bancaires en ont été dotés. Un autre système similaire, M-Kesho, a également été développé par Safaricom et Equity Bank.

Au-delà des services directement fournis par Safaricom, l’adoption de M-Pesa a mené au développement d’un grand nombre d’autres services, développés notamment par les startups de la fintech75 dont Nairobi est devenu un haut lieu76. Ces services sont indépendants de M-Pesa mais s’appuient sur lui comme système transactionnel77. Sans passer en revue les multiples autres services existants, citons simplement les trois différents types d’acteurs qui les développent tels qu’identifiés par Kendall et al. (2011) : les « intégrateurs » développent des services permettant de connecter une activité commerciale à M-Pesa, les « innovateurs » lancent de nouveaux services dont l’ensemble du business model est rendu possible par la monnaie mobile, et les « constructeurs de ponts » développent des solutions pour rendre interopérables M-Pesa et d’autres solutions financières. Autour de M-Pesa s’est donc constitué un « écosystème » composé de divers services s’appuyant sur son infrastructure. L’exemple le plus cité est celui de M-Kopa : le service permet aux ménages d’acquérir un panneau solaire et une solution d’électrification et d’éclairage en crédit-bail. Les versements (420 paiements quotidiens de 50 KES78) se font par M-Pesa, et lorsqu’un versement est en retard, le système est automatiquement mis à l’arrêt79.

Outre M-Pesa, il existe au Kenya quatre autres systèmes de monnaie mobile80 : Equitel, Mobikash, Airtel money, et Tangaza Pesa (dans l’ordre de leur importance respective). Ces alternatives à M-Pesa ont toutefois une importance marginale puisque Safaricom détient une part de marché de 72,6 % pour les services de télécommunications

75 Pour financial technologies.

76 Plusieurs tiers-lieux d’innovation, dont iHub est à Nairobi le principal, montrent un dynamisme remarqué (voir Mahieu 2017 sur la notion de tiers-lieu; et Hersman 2012 pour le cas de iHub).

77 Via son API (application programming interface), son interface de programmation, permettant aux développeurs de connecter des services tiers à M-Pesa.

78 Shillings kényans.

79 Il embarque une carte SIM lui permettant d’être contrôlé à distance.

80 Suite à l’arrêt de Orange Money en juillet 2017.

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mobiles et de 81 % pour les services de monnaie mobile (Communications Authority of Kenya 2017). Outre la bonne réputation dont bénéficie Safaricom auprès des Kényans, cette position a été acquise grâce à la nouveauté de la monnaie mobile au moment du lancement de M-Pesa, dans un contexte règlementaire qui lui a été favorable81.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 91-94)

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