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Une première ébauche des règles en matière de REDD+ 94

Chapitre 1. Un décideur collectif : activité quasi-législative et processus

2. A la recherche d’un mode de coordination internationale approprié au

2.5 Une première ébauche des règles en matière de REDD+ 94

L’Accord de Copenhague dénué de valeur juridique fait allusion à « un mécanisme, comprenant l’initiative REDD-plus » sans toutefois le créer4. Le décideur établit en

revanche des « principes méthodologiques », concernant la mesure du déboisement et l’élaboration du niveau de référence requis pour calculer une réduction5. L’année

suivante, il ébauche une série de règles sans reprendre le terme mécanisme6. Etant

1 En 2007, ce groupe de travail se donne comme échéance le rendez-vous de Copenhague en

2009, voir N. Höhne, F. Yamin, E. Haites, « The History and Status of the International Negotiations », op. cit.

2 2 S.C. Aykut, A. Dahan, « Le régime climatique avant et après Copenhague », art. cit. Nous

reviendrons brièvement sur cette session de négociation dans le chapitre 6.

3 Lavanya Rajamani, 2011, « The Cancun climate agreements : Reading the text, subtext and

tea leaves », International and Comparative Law Quaterly, 60, 2, p. 499-519.

4 Nations Unies, « Copenhagen Accord », doc. cit., p. 6.

5 Nations Unies, 2009, « Decision 4/CP.15 : Methodological guidance for activities relating to

reducing emissions from deforestation and forest degradation and the role of conservation, sustainable management of forests and enhancement of forest carbon stocks in developing countries », dans Conférence des Parties, Part Two: Action taken by the Conference of the Parties at

its fifteenth session, Copenhagen, 7 –19 décembre 2009, FCCC/CP/2009/11/Add.1, p. 11-12.

6 Nations Unies, 2010, « Décision 1/CP16 : Les accords de Cancun : Résultats des travaux du

donné l’incertitude sur la possibilité d’un accord plus englobant suite à l’événement de Copenhague, la décision de 2010 ne s’inscrit pas dans un instrument plus large comme c’était le cas du Mécanisme pour un Développement Propre avec le Protocole de Kyoto et comme le plan d’action de Bali le laissait présager. Le système incitatif encore très flou est pensé pour fonctionner a priori en autonomie, sur la base du volontariat des pays souhaitant réduire leur déforestation et de ceux prêts à les financer.

La décision de 2009 indique que pour suivre l’évolution du couvert forestier, il faudra recourir à la télédétection et à des mesures au sol et mobiliser l’expertise déjà existante ou à venir du GIEC. Elle précise que les pays devront établir leurs niveaux de références « en tenant compte des données chronologiques, et effectuer des ajustements en fonction des situations nationales »1. La décision donne ainsi satisfaction aux pays

du bassin du Congo dont nous avons évoqué la proposition. Ces quelques principes méthodologiques introduisent enfin la possibilité d’entreprendre les opérations de mesure et de calcul à des échelles dites infranationales, autrement dit sur des portions seulement du territoire national. Cette flexibilité est confirmée par la décision de 2010 qui enjoint les pays en développement souhaitant être incités à réduire leur déboisement de s’équiper d’un système national de suivi des forêts ainsi que d’un niveau de référence et ajoute que « s’il y a lieu, en tant que mesure provisoire, des niveaux de référence [...] à l’échelle infranationale » peuvent être élaborés, de même que « s’il y a lieu, un suivi [...] au niveau infranational en tant que mesure provisoire » peut être mené2. La Conférence des Parties autorise donc les gouvernements à calculer les

réductions d’émissions sur des périmètres inférieurs à celui du territoire national. L’adjectif infranational est immédiatement interprété par des ONG environnementales comme le retour du cadrage projet tant contesté3.

Les Accords de Cancun prennent appui sur la décision de 2009 et constituent une première ébauche des règles en matière de REDD+. Le décideur y « encourage les pays en développement parties à contribuer aux mesures d’atténuation dans le secteur forestier en entreprenant des activités », telles que la réduction de la déforestation, de la dégradation, ou encore la conservation des forêts4. Les activités mentionnées

Conférence des Parties, Deuxième parties : Mesures prévues par la Conférence des Parties à sa seizième

session, Cancun, 29 novembre –10 décembre 2010, FCCC/CP/2010/7/Add.1.

1 Nations Unies, « Decision 4/CP.15 : Methodological guidance… », doc. cit., p. 12. 2 Nations Unies, « Décision 1/CP16 : Les accords de Cancun », doc. cit., p. 14.

3 Ariana Densham, Roman Czebiniak, Daniel Kessler, et al., 2009, Carbon scam : Noel Kempff

Climate Action Project and the Push for Sub-national Forest Offsets, Greenpeace International. Pour

plus d’information sur ce sujet voir le chapitre 6.

« devraient être mises en œuvre par phases » et le texte en distingue trois1. La première

vise le « renforcement des capacités ». La seconde devrait être consacrée à la « mise en œuvre de politiques » qui pourrait s’accompagner de celle « d’activités de démonstration axées sur les résultats ». Dans la dernière phase, les pays pourront « exécuter des activités axées sur les résultats qui devraient être intégralement mesurées, notifiées et vérifiées ». En décidant que, pour « exécuter des activités axées sur les résultats », les pays en développement doivent passer par d’autres phases où ils pourront renforcer leurs capacités et se munir de l’équipement métrologique exigé, la Conférence des Parties reconnaît l’utilité des processus de préparation engagés par la Banque Mondiale suivie du programme UN-REDD dans de nombreux pays. Si le texte de Cancun n’emploie pas le terme mécanisme, les règles esquissées organisent cette phase ultime où des « activités axées sur les résultats » sont exécutées. Le terme « résultat », qui n’est pas défini, traduit la nature incitative des actions. Les négociateurs ne s’expriment pas non plus sur leurs sources de financement, ni sur les procédures d’allocation. La décision de 2010 invite seulement à poursuivre les investigations sur le sujet2.

Outre le système de suivi des forêts et le niveau de référence, qui serviront tous deux à estimer des réductions d’émissions, le texte mentionne un autre type d’équipement dont les pays souhaitant être incités devront se doter. Il s’agit d’un système de communication via lequel les gouvernements devront démontrer qu’ils ont bien respecté une série de critères en menant leurs actions de lutte contre la déforestation, dont :

le respect des connaissances et des droits des peuples autochtones et des membres des communautés locales [...] en notant que l’Assemblée des Nations Unies a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ;

la participation intégrale et effective des parties prenantes concernées, en particulier des peuples autochtones et des communautés locales aux activités [de réduction de la déforestation]3

La décision demande à la Conférence des Parties, cette assemblée des représentants du monde entier attentivement surveillée par une foule d’observateurs, de garantir la prise en compte des « peuples autochtones et des communautés locales » dans les actions gouvernementales visant à diminuer le déboisement. Une telle injonction relative à la

1 Ibid., p. 14. 2 Ibid., p.15.

façon dont les dirigeants gèrent les effets que peuvent avoir leurs politiques sur la population est nouvelle au sein des négociations. Elle fait surgir des acteurs, les peuples autochtones, les communautés locales et ceux qui les défendent, jusqu’ici absents des débats sur le climat. Le représentant de Tuvalu Ian Fry raconte sa tentative de faire de la protection des droits des peuples autochtones un problème pour les négociations dès le début des années 2000, quand la Conférence des Parties discute de l’inclusion des activités forestières dans le Mécanisme pour un Développement Propre1. Il dit avoir

essayé en vain de mettre en débat la menace que représenteraient ces projets pour les droits des populations vivant dans et par les forêts.

Tandis que la tentative de faire des communautés locales un groupe concerné par les négociations sur le changement climatique au début des années 2000 échoua, la décision de 2010 les rend difficilement contournables. Les Accords de Cancun font même référence à la Déclaration sur les droits des peuples autochtones adoptée par les Nations Unies en 2007 qui tend à mettre en forme ce qu’Hélène Bellier propose d’appeler « un collectif peuple autochtone », dont l’existence est reconnue par la communauté internationale, celle du système onusien basé sur une vision du monde composé d’Etats souverains2. A travers la Déclaration c’est une « identité générique »

qui a été produite, englobant tous ceux qui s’autodétermineront comme tel3. La

catégorie de peuples autochtones recouvre ainsi des populations diverses, de tous les continents, qui partagent le fait de ne pas être correctement représentées par les gouvernements des territoires qu’elles occupent ancestralement. C’est dans une certaine mesure de ces Etats que la Déclaration entend protéger ceux qui sinon « n’ont pas de voix »4. Leur présence dans les débats sur les émissions de CO

2 associées à la

déforestation résulte de revendications d’ONG militant pour le respect de leurs droits – une catégorie d’observateurs relativement nouvelle au sein des négociations – soutenues par des ONG environnementales comme Greenpeace. Mais elle est aussi et surtout tributaire de certaines délégations comme celle de la Bolivie et de la contribution active aux négociations de Victoria Tauli-Corpuz, présidente de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones, membre d’une association autochtone et

1 I. Fry, « Twists and Turns in the Jungle », art. cit., p. 167.

2 Hélène Bellier, 2012, « Les peuples autochtones aux Nations unies : un nouvel acteur dans la

fabrique des normes internationales », Critique Internationale, 1, 54, p. 61-80, p. 64.

3 Ibid., p. 69.

4 Sur le long processus de négociation de la déclaration et du statut des autochtones au sein des

Nations Unies voir Andrea Muehlebach, 2001, « ‘Making place’ at the United Nations : Indigenous Cultural Politics at the UN Working Group on Indigenous Populations », Cultural

négociatrice pour les Philippines1. Dans un entretien donné lors de la session de 2008 à

Poznan, elle estime que:

The visibility of indigenous peoples’ issues within the climate change negotiations increased since the Bali COP because of the REDD discussions. [...] Here in Poznan, it is the first time for many negotiators to know that there is such a thing called the UN Declaration on the Rights of Indigenous Peoples which is relevant to the discussions of REDD.2

Après avoir mobilisé des pays qui était plus que discrets auparavant dans les négociations, comme ceux du bassin du Congo, le sujet des forêts tropicales rend visible la catégorie des peuples autochtones. Les règles esquissées en 2010 font des émissions associées à la déforestation et à la dégradation des forêts une affaire de mesure et de comptabilité du carbone via l’équipement métrologique à acquérir mais aussi une question de développement économique avec la possibilité d’ajuster les niveaux de référence et de démocratisation politique, pour le dire vite, avec l’obligation de rendre des comptes sur la manière dont une partie de la population usuellement opprimée a été consultée et écoutée.

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Nous avons vu que la résistance opposée au cadrage projet par les activités forestières a abouti à l’exclusion de la conservation forestière du Mécanisme pour un Développement Propre, autrement dit du système permettant aux pays industrialisés de compenser au lieu de réduire leurs émissions. En invalidant les expérimentations in situ des années 1990 le décideur collectif engendre un processus de réflexion sur les formes d’action appropriée à la lutte contre la perte de couvert forestier qui fait proliférer à la fois les propositions sur papier et des activités de terrain initiées par des acteurs de l’aide au développement, des administrations forestières et des instituts de recherche. En 2010 avec une première esquisse de ce que nous appellerons dorénavant les règles en matière de REDD+, la Conférence des Parties ne tranche pas sur de nombreux sujets. Le mode de financement des résultats, l’échelle spatiale des interventions ou encore la façon de rendre public que les peuples autochtones ont bien été entendus

1 Linda Wallbott, 2014, « Indigenous peoples in UN REDD+ negotiations: “importing power”

and lobbying for rights through discursive interplay management », Ecology and Society, 19, 1. Nous reviendrons dans les chapitres 5 et 6 sur la représentation des peuples autochtones et communautés locales.

2 Chris Lang, 2009, « ‘Even at a conceptual stage indigenous peoples should be involved’:

restent en suspens. Plusieurs formes de coordination sont donc possibles. Au processus décisionnel de spécifier progressivement ce qui est autorisé sous cet ensemble de règles en construction.

Conclusion

En racontant l’évolution du rôle réservé aux forêts tropicales par les négociations sur le changement climatique, ce chapitre a montré la constitution d’un décideur collectif. Son activité décisionnelle et l’action internationale qu’elle organise reposent sur des instruments juridiques – les traités multilatéraux – assortis d’un ensemble de procédures plus ou moins formalisées comme le consensus, la mise à l’agenda d’un sujet, la soumission de propositions, l’établissement de plans d’action à court-terme, la distribution des thèmes à des sous-groupes de négociations, etc. Décider pour le climat est un long processus au sein duquel les débats peuvent être suspendus puis repris. Agir pour le climat prend la forme d’une action séquencée, déterminée pour une certaine durée et sujette ensuite de nouveau à la négociation. Puisque tout le monde doit s’accorder mais qu’en l’absence d’accord les discussions peuvent être ajournées, le processus vise à faire participer un maximum de voix, à condition que celles-ci soient équipées pour être entendues1. Ces itérations permettent de lancer des

expérimentations in situ afin de mieux informer la prise de décision sur un sujet qui suscite de fortes divergences ou paraît trop incertain. Outre cet arsenal juridique – des négociateurs-juristes, des traités multilatéraux, une bureaucratie professionnelle de la négociation, des procédures de prise de parole et de décision – le chapitre a également montré la place centrale accordée aux instruments économiques dans l’organisation de l’action collective. Instrument est à comprendre ici au sens de raisonnements ou de principes car l’intuition économiste formalisée est rapidement remodelée lors du long passage par la décision internationale. La recherche de la solution optimale n’est pas déléguée aux économistes et requiert la production d’un consensus entre négociateurs. Rendre gouvernable un monde d’Etats souverains, un monde qui est celui que contribue à faire exister le système onusien dont dépend le processus décrit ici, passe ainsi par la création et la mobilisation d’une multitude d’outils qui font décider et agir sans coercition. Les procédures décisionnelles sont de l’ordre de l’adhésion collective – le consensus était l’exemple le plus parlant – et les modes d’action de l’ordre de l’incitation et de la directive dénuée de force normative en droit international.

Le cas des forêts tropicales offre une bonne illustration de cette approche libérale. Le chapitre a montré qu’entre les années 1990 et le milieu des années 2000, le problème du changement climatique s’est fragmenté en une série de questions spécialisées, traitées de façon relativement autonomes les unes des autres dont certaines, telles que la déforestation tropicale, ont été cadrées comme une affaire d’arbitrages économiques à changer et non d’obligations à respecter. L’idée est de concevoir des incitations monétaires pour conduire les gouvernements hébergeant ces forêts à fournir des efforts pour les préserver, sans que des engagements juridiquement contraignant ne soient pris. L’ébauche de ces règles produites par le décideur collectif en 2010 fait coexister plusieurs manières d’organiser le système de paiement sur résultats. Elle place les gouvernements et leurs territoires nationaux au centre de l’arrangement incitatif, tout en autorisant que des actions de réduction de la déforestation soient entreprises à une échelle spatiale plus réduite et sans définir comment seront calculées et comparées les performances à rémunérer, ni déterminer qui devra l’être et comment. Si l’indétermination cherche à maintenir la cohésion autour des règles, elle laisse aussi proliférer des investigations in situ peu contrôlées par le décideur collectif qui mettent en forme des versions très différentes des règles en matière de REDD+.

Chapitre 2. La forme projet : comment des entrepreneurs et