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Chapitre 1. Un décideur collectif : activité quasi-législative et processus

2. A la recherche d’un mode de coordination internationale approprié au

2.4 Un monde différent 92

Entre les années 1990 où la négociation internationale se focalisait sur les émissions industrielles des pays dits développés et la fin des années 2000, plusieurs déplacements ont eu lieu. Ce que traite la Conférence des Parties n’est plus une pollution à limiter par des instruments basés sur le marché permettant de respecter la contrainte de façon optimale grâce, entre autres, aux forêts tropicales considérées comme des puits de carbone bon marché. Cette vision a laissé place à une multiplication des problèmes attachés à celui du changement climatique et une décentralisation des actions entreprises pour y répondre. Le changement de style d’économisation repéré précédemment dans le cas de REDD+ illustre cette évolution des modes d’action privilégiés et du monde auquel ils s’adressent. L’événement de Copenhague en 2009 que nous allons restituer ici vient confirmer cette intuition1.

Nous avons vu qu’en 2007 la Conférence des Parties inscrit la réflexion sur l’incitation à réduire la déforestation tropicale dans la négociation d’un futur accord plus englobant. Mais en 2009 la session de Copenhague aboutit à une absence de consensus. La Conférence des Parties se contente de prendre note de l’Accord de Copenhague reconnu par 27 pays seulement plus l’Union Européenne2. D’après les

analyses de Daniel Bodansky et Lavanya Rajamani, il semblait peu réaliste que la session donne naissance à un instrument juridique au vu des débats censés la préparer3.

Devant les difficultés à faire converger les échanges, le premier ministre danois décida

1 Près de 40 000 personnes ont assisté à la rencontre sous la surveillance d’une foule de médias

et les négociations ont été rythmées de manifestations massives en dehors du centre de conférence. Voir : Dana R. Fischer, 2010, « COP-15 in Copenhagen : how the merging of movements felt civil society out in the cold », Global Environmental Politics, 10, 2, p. 11-17.

2 Nations Unies, 2009, « Decision 2/CP.15 : Copenhagen Accord », dans Conférence des

Parties, Part Two: Action taken by the Conference of the Parties at its fifteenth session, Copenhagen, 7 – 19 décembre 2009, FCCC/CP/2009/11/Add.1, p. 4-9.

3 Daniel Bodansky, 2010, « The Copenhagen Climate Change Conference : a Post-Mortem »,

Americain Journal of International Law, 104, 2, p. 230-240 et Lavanya Rajamani, 2010, « The

Making and Unmaking of the Copenhagen Accord », International and Comparative Law

d’organiser une négociation interministérielle associant une trentaine de pays en parallèle des discussions entre délégués. Le cas rappelle La Hague et les juristes taclent à nouveau les irrégularités procédurales dans la gestion de la prise de décision. Les quelques ministres sélectionnés produisirent un document soumis le dernier jour au reste des gouvernements. Il fut rejeté par les délégations des pays de l’Alliance Bolivarienne pour les Amériques – Bolivie, Cuba, l’Equateur, Nicaragua et Venezuela – ainsi que par celles du Soudan et de Tuvalu. Les dernières longues heures de négociation furent particulièrement dramatiques. Rajamani rapporte que le délégué vénézuélien fit sensation en levant une main ensanglantée de peinture rouge pour demander si « les Etats souverains ont besoin de saigner pour que leur voix soit entendue »1.

Face à l’absence de consensus, la Conférence des Parties note l’existence de l’Accord qui n’a pas la capacité d’entrer en force. Les juristes le qualifient de déclaration politique à travers laquelle certaines Parties à la Convention-cadre s’engagent à limiter l’augmentation de la température moyenne terrestre à deux degrés Celsius et annoncent sur la base du volontariat des ambitions de réduction de leurs émissions2.

L’épisode est présenté comme un échec dans les média et par certains travaux académiques3. Amy Dahan et Stefan Aykut parlent ainsi de « l’insuccès de la conférence

de Copenhague » qu’ils interprètent comme le signe d’un cadrage du problème « en crise », un cadrage au centre duquel se trouve le « système onusien, lent et lourd »4. Ce

format de l’action collective est selon eux en difficulté car progressivement « des thématiques et des problèmes de plus en plus nombreux et variés » ont été inclus « sous le climat »5. Par conséquent, en 2009 le changement climatique est apparu « pas tant

comme un problème environnemental que comme un problème de décarbonisation des économies productives capitalistes »6. Ils identifient à Copenhague un double

mouvement contradictoire. D’un côté les deux degrés Celsius à ne pas dépasser représentent une approche qu’ils qualifient de top-down où un seuil de dangerosité est établi, dans l’esprit de la Convention-cadre qui demande à « stabiliser » les gaz à effet de serre de façon à éviter une « perturbation anthropique dangereuse du système climatique »7. D’un autre côté, l’approche bottom-up des engagements volontaires

1 Ibid., p. 827 (note 19).

2 Nations Unies, « Decision 2/CP.15 : Copenhagen Accord », doc. cit.

3« Le bilan décevant du sommet de Copenhague », Le Monde, 19 décembre 2009 et Sylvestre

Huet, Laure Noualhat, 2009, « Un accord, quel accord ? », Libération, 21 décembre 2009.

4 S.C. Aykut, A. Dahan, « Le régime climatique avant et après Copenhague », art. cit., p. 145. 5 Ibid.

6 Ibid., p148.

montrent que les gouvernements veulent entreprendre des politiques domestiques, sans se soumettre à des objectifs contraignants établis par le processus international.

Si le rendez-vous de Copenhague ne marque pas la naissance d’un nouvel instrument international pour renforcer la lutte contre le changement climatique, la Conférence des Parties y décide néanmoins de poursuivre le processus de réflexion sur l’accord plus englobant initié à Bali1. Les négociations aboutissent en 2010 aux Accords de Cancun

avec lesquels cette fois-ci toutes les parties à la convention disent être d’accord. L’événement semble restaurer partiellement la diplomatie onusienne2. Toutefois, le

texte reste peu prescriptif, il fait des deux degrés Celsius un objectif à atteindre sans inscrire d’engagements chiffrés et reconduisant encore les débats3. Dans ce nouveau

monde pour lequel le processus décisionnel ne parvient pas à concevoir des instruments juridico-économiques, des pays comme le Brésil pourraient être des acteurs centraux de l’effort pour le climat. Le fait que ses négociateurs aient accepté de négocier des règles, certes dénuées de contraintes, visant à réduire le déboisement marque un changement par rapport aux débats du début des années 1990, quand il était impensable de cibler les émissions de Sud.