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Une investigation in situ, moins guidée et plus distribuée 87

Chapitre 1. Un décideur collectif : activité quasi-législative et processus

2. A la recherche d’un mode de coordination internationale approprié au

2.3 Une investigation in situ, moins guidée et plus distribuée 87

En 2007, le décideur collectif encourage la poursuite de l’exploration lancée deux années auparavant sur des questions d’ordre « méthodologique »3. Il s’agit, par exemple,

1 Voir notamment le travail d’Alain Karsenty sur lequel nous reviendrons dans le chapitre 4. 2 Nations Unies, « Decision 1/CP, Plan d’action de Bali », doc. cit., p. 4.

3 Nations Unies, 2007, « Decision 2/CP, Réduction des émissions résultant du déboisement

de se pencher sur les méthodes d’« évaluation des variations du couvert forestier ainsi que des stocks de carbone » et d’établissement « des niveaux de référence » des émissions, qui représentent ce qui se serait passé si le pays n’avait pas mis en œuvre des actions pour réduire la déforestation1. L’appel engendre une foule de propositions de la

part des Parties, mais aussi d’instituts de recherche, d’organisations internationales et d’ONG, dans la mesure où la Conférence des Parties invite les observateurs à s’exprimer. A ne considérer que les seules soumissions des gouvernements entre 2006 et 2008, on obtient plusieurs centaines de pages. Des initiatives, qui visent à compiler la masse de documents ainsi produite, rendent visible la variété des conceptions de ce que pourrait devenir REDD+2.

Le Brésil, par exemple, propose d’établir un « arrangement » où des pays de l’Annexe 1 financeraient volontairement des pays en développement souhaitant réduire leur déboisement3. La transaction se ferait de la manière suivante. Le pays en

développement entreprendrait de son propre chef des politiques pour réduire son taux de déforestation. A une date donnée, celui-ci serait comparé à une moyenne historique et la réduction calculée serait convertie en une somme d’argent versée par le pays développé. Ce dernier ne pourrait faire valoir sa contribution financière au titre d’une compensation des émissions à réduire sous le Protocole de Kyoto. Financer la lutte contre la perte de couvert forestier tropical ferait partie de sa responsabilité actée par la Convention-cadre. La proposition ne prévoit pas de « structure bureaucratique » dédiée et considère que le Secrétariat suffirait à superviser l’arrangement. Le Brésil veut ainsi promouvoir une forme lâche de coordination où il incombe aux Etats, développés et en développement, de s’entendre sur les vérifications des calculs et les conditions contractuelles. La suggestion de Tuvalu, cette petite île du Pacifique dont le juriste Ian Fry est négociateur, est différente4. Le pays propose l’établissement d’un fond financé

par des contributions de l’aide publique au développement, d’ONG ou d’entreprises.

partie: Mesures prises par la Conférence des Parties à sa treizième session, Bali, 3-15 décembre 2007,

FCCC/CP/2007/6/Add.1, p. 8-11.

1 Ibid., p. 9.

2 Charlie Parker, Andrew Mitchell, Mandar Trived, et al., 2009, The little REDD+ book. An

updated guide to governmental and non-governmental proposals for reducing emissions from deforestation and forest degradation, Global Canopy Foundation.

3 Nations Unies, 2007, « Brazilian perspective on reducing emissions from deforestation », dans

Organe Subsidiaire de Conseil Scientifique et Technologique, Views on the range of topics and

other relevant information relating to reducing emissions from deforestation in developing countries – Submissions from Parties, FCCC/SBSTA/2007/MISC.2, p. 21-24.

4 Nations Unies, 2007, « Submission by the Government of Tuvalu », dans Organe Subsidiaire

de Conseil Scientifique et Technologique, Views on the range of topics and other relevant

information relating to reducing emissions from deforestation in developing countries – Submissions from Parties, FCCC/SBSTA/2007/MISC.2/Add.1, p. 14-17.

Des communautés y ouvriraient des comptes qui seraient alimentés à condition qu’elles prouvent avoir préservé une zone boisée qui aurait été sans cela déboisée. Leurs activités seraient soumises à des procédures de certification chargées de superviser étroitement le système. Ce dernier encouragerait ainsi des actions locales en s’adressant à des communautés et non à des gouvernements. Il partage néanmoins avec l’arrangement brésilien l’interdiction que les résultats rémunérés soient convertibles en crédits utilisables pour la compensation carbone. L’impossibilité d’un transfert, si ce n’est de propriété, du moins d’usage, en contrepartie de la transaction monétaire explique pourquoi ce type de proposition est qualifié dans les débats de « non marché » 1.

La suggestion colombienne, au contraire, défend la création d’un « mécanisme RED » sur le modèle du Mécanisme pour un Développement Propre2. Des projets seraient mis

en œuvre par des entités publiques ou privées avec l’approbation du gouvernement et en faisant attention à mesurer leurs fuites. Ils génèreraient des crédits fongibles avec ceux que les marchés du carbone du Protocole de Kyoto produisent déjà. Comme celle de Tuvalu, la proposition colombienne abandonne l’approche nationale pour des interventions spatialement circonscrites. D’autres soumissions sont moins tranchées sur les questions du mode de financement et de l’échelle spatiale et appellent à faire coexister une diversité d’options. C’est le cas des pays du bassin du Congo – la République Démocratique du Congo, le Cameroun, la République du Congo, la République Centrafricaine, Gabon, et la Guinée Equatoriale – qui proposent que les « mécanismes » pour réduire la déforestation prennent appui sur « différentes échelles d’action, locales et nationales »3. Le texte insiste sur la « diversité des circonstances

nationales » et prône un maximum de flexibilité dans le choix du type d’action, en créant à la fois un « mécanisme marchand REDD » et un « fonds de stabilisation » qui financerait des stocks de carbone déjà sur pied. Les pays du bassin du Congo défendent, par ailleurs, la possibilité d’ajuster les niveaux de référence. Ils seraient certes calculés en se basant sur des taux historiques mais modifiés par un « facteur

1 Cette distinction entre marchand et non marchand est faite dans C. Parker, A. Mitchell, M.

Trived, et al., « The little REDD+ book », op. cit. et dans Ian Fry, 2008, « Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation : Opportunities and Pitfalls in Developing a New Legal Regime », Review of European Community and International Environmental Law, 17, 2, p. 166- 182.

2 Nations Unies, 2007, « Colombian Submission on RED, approaches to stimulate action »,

dans Organe Subsidiaire de Conseil Scientifique et Technologique, Views on the range of topics

and other relevant information relating to reducing emissions from deforestation in developing countries – Submissions from Parties, FCCC/SBSTA/2007/MISC.14, p. 22-24.

3 Nations Unies, 2007, « Submission of the views of Congo Bassin countries », dans Organe

Subsidiaire de Conseil Scientifique et Technologique, Views on the range of topics and other

relevant information relating to reducing emissions from deforestation in developing countries – Submissions from Parties, FCCC/SBSTA/2007/MISC.14, p. 25-30.

d’ajustement qui prendrait en compte les circonstances nationales, par exemple, les tendances démographiques, l’agriculture, le développement d’infrastructures.... »1.

Dans ces documents exposant des règles possibles en matière d’incitation à diminuer le déboisement, les avis divergent sur tout, sur l’échelle à laquelle encourager l’action (locale ou nationale), sur les acteurs qui devraient être mis en mouvement (des gouvernements, des communautés ou des porteurs de projet), sur la méthode d’établissement d’une contrefactuelle pour pouvoir calculer une réduction (un taux historique ou un scénario prospectif), sur le mode de financement (un système de marché qui autorise la compensation ou un fonds). Seul le caractère incitatif du système n’est pas interrogé. Qu’elles se traduisent en un fond pour les communautés, en des accords bilatéraux entre Etats ou en projets, les règles suggérées tendent à associer une rémunération monétaire à un certain comportement dont les effets sont quantifiables.

Outre les soumissions formelles examinées ci-dessus, la réflexion initiée par le décideur collectif engendre des interventions sur le terrain, qui elles aussi conçoivent les règles en matière de REDD+ différemment les unes des autres. Des instituts de recherche, publics et privés, intéressés par la mesure satellitaire du couvert forestier tropical et d’autres techniques d’inventaire axent leurs recherches sur la quantification du carbone2. Mais les scientifiques ne sont pas les seuls intéressés et parmi les participants

très actifs à cette investigation figurent les acteurs de l’aide au développement. En 2007 lors de la session de Bali, la Banque Mondiale présente son Fonds de Partenariat pour le Carbone Forestier (Forest Carbon Partnership Facility, FCPF)3. La création du FCPF

par l’organisation internationale, en dialogue avec les gouvernements de la Coalition des nations de forêts tropicales et ceux du G8, répond à l’invitation à tester in situ des modes d’incitation et de calcul4. Le FCPF comporte un « fonds de préparation » qui

vise à « aider » les pays en développement « à atteindre un niveau de capacités [leur] permettant d’être prêts à participer à un futur système d’incitations positives de

1 Ajuster les niveaux d’émissions est revendiqué au nom d’une sorte de droit à développer son

économie nationale comme nous le verrons plus en détail dans les chapitres 3 et 4.

2 Voir le chapitre 4.

3 Banque Mondiale, 2007, « Forest Carbon Partnership Facility Launched at Bali Climate

Meeting », press release No : 2008/142/SDN, Bali Indonesia, 11 décembre 2007.

4 « Growth and Responsibility in the World Economy. Summit Declaration », G8 summit

2007, Heiligendamm, 7 juin 2007, p. 18-19 (article 56). A propos de la création du FCPF courant 2007, voir le compte-rendu critique de Bank Information Center, 2007, « Seeing the forest for the carbon? World Bank brings “market-making” to tropical forests », Info Brief, décembre 2007.

REDD »1. Alimenté par des pays industrialisés au titre de leur aide au développement, il

subventionne sous forme de dons et d’assistance professionnelle des processus dits de préparation dans les pays intéressés par REDD+. Courant 2008, un regroupement de trois agences onusiennes annonce le lancement d’un programme multi-donneur similaire2. Le cadrage national de l’incitation à réduire le déboisement entraîne, par

conséquent, un branchement des négociations sur l’aide au développement, ses institutions et son expertise. Aux côtés de ces programmes auxquels nous consacrerons le chapitre 3, le gouvernement norvégien annonce, toujours en 2007, qu’il consacrera jusqu’à 350 millions de dollars par an pendant cinq ans à rendre possibles les règles en matières de REDD+ en négociation3. Ces financements alimentent notamment des

accords bilatéraux avec le Brésil, l’Indonésie et le Guyana. L’accord entre la Norvège et le Brésil, par exemple, stipule que le premier versera régulièrement au second des montants proportionnels à la différence entre le taux de déforestation national et une moyenne historique calculée sur les dix dernières années4. Les sommes ainsi gagnées

renflouent l’« Amazon fund » qui les redistribue sous forme de subventions à des projets localisés contribuant à l’effort national.

Toutes ces interventions constituent des propositions en action des règles possibles en matière de REDD+. L’intégration des forêts tropicales dans l’agenda de la lutte contre le changement climatique stimule donc une prolifération d’activités déployées à travers le monde. Leur supervision par le processus décisionnel est plus lâche que celle de la phase pilote des activités exécutées conjointement. En 1995, les négociateurs lançaient une expérimentation certes distribuée, mais dont les résultats – ces rapports notifiant les activités testées – étaient collectés, comparés et discutés de manière centralisée. Malgré la diversité des arrangements créés, l’ambigüité autour de la définition des activités et les incohérences dans les calculs, le décideur collectif cherchait à asseoir son statut d’expérimentateur principal. En court-circuitant l’expérience, puis en invalidant les projets de conservation forestière, la Conférence des Parties a démontré sa capacité à décider sans se voir imposer ce qui pouvait être présenté comme irréversible5. Or,

quand en 2005, puis en 2007, elle appelle à investiguer les manières d’inciter à réduire la déforestation tropicale, elle ne prévoit pas d’échéances, ni de modalités de

1 Fonds de Partenariat pour le Carbone Forestier, 2008, « Information Memorandum », 13 juin

2008, p. 1.

2 Programme des Nations Unies pour le Développement, 2008, « UN and Norway combat

climate change from deforestation », New York, 24 septembre 2008.

3 Jens Stoltenberg, 2007, « Speech at UN Climate Change Conference in Bali », The Office of

the Prime Minister, Government of Norway, 13 décembre 2007.

4 Brazilian Development Bank, 2011, Amazon Fund – Annual Report 2010, BNDES. 5 Sur le traitement des irréversibilités par la décision politique voir les chapitres 2, 4 et 6.

notification des expériences entreprises. Comme nous aurons l’occasion de le constater dans les chapitres suivants, les activités encouragées sont extrêmement diverses. Elles relèvent aussi bien d’interventions de l’aide internationale, dont l’objectif est de mobiliser les instances gouvernementales, que d’actions de conservation de la nature en passant par des projets de recherche scientifique.