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Chapitre II. Les Jésuites, évangélisateurs et moralisateurs des esclaves noirs

1. Pratiques et méthodes des missionnaires

Au cours de notre recherche, nous n’avons pas trouvé de travaux spécifiques relatant la transition qui s’est opérée entre l’introduction du christianisme et les croyances traditionnelles des esclaves africains dans un dessein de « civilisation ».

Malgré la richesse des témoignages que l’on trouve dans les ouvrages des historiens traitant de l’esclavage des noirs, peu relatent leur évangélisation, les méthodes que les missionnaires appliquaient pour les instruire, l’attitude que les esclaves avaient face à cette instruction, et les rapports qu’ils entretenaient avec les missionnaires.

En revanche, on retrouve des détails sur les relations entre l’Église et les colons, puis les rapports entre les missionnaires et les colons. Sur la vie des missionnaires, sont souvent cités les pères Labat ou Dutertre malgré les erreurs que l’on peut lire dans leurs témoignages (Mongin et Chatillon, 1984) aux dires de certains auteurs.

Au regard de l’évangélisation, les missionnaires en général répondaient à leur mission, à savoir qu’ils s’appliquaient au quotidien. Ils répondaient aux exigences de leur ordre et cherchaient plus particulièrement à sauver les âmes. Certains allant jusqu’à tenter d’adoucir la misère des esclaves, et d'autres, comme le prédécesseur du père Mongin, leur désœuvrement

1.1. Le père Mongin de l’ordre des Jésuites

Nous avons connaissance des actions du père Mongin grâce aux nombreuses lettres par lesquelles il expliquait ses activités. Dans son introduction, l’auteur de la présentation des Lettres, M. Chatillon (Mongin et Chatillon, 1984) reprend quelque peu, les commentaires de G. Debien (1967) quant au relief du religieux à l’époque annoncée. En effet, il est dit que les Blancs ont déserté la foi, la venue aux Offices est davantage un moment d’échange qu’un temps consacré à la dévotion. Le baptême n’aurait pas été pris sérieusement sauf par quelques prêtres.

Le but premier du père Mongin, et, cela resta sa vie durant, fut « la conversion des païens qui risquent de mourir sans connaître la vraie foi » (Mongin et Chatillon, p. 6). Appelé « Curé des nègres », il consacrait du temps à ses « chers nègres ». Les missionnaires Jésuites s’opposaient à la cruauté infligée aux esclaves. Ils rappelaient à l’ordre les maîtres qui

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outrepassaient leur droit. Ils tentaient, dans la mesure du possible, d’adoucir leur vie face à la cupidité d’une société qui se disait civilisée. Sa motivation était entretenue par l’amour voué à Jésus-Christ. Il sait n’être que l’instrument du Seigneur, car ce n’est que par la grâce de Dieu qu’on obtient des résultats. Offrir ces âmes à Jésus-Christ était sa récompense.

Nous pensons que c’est ce qui diffère également des autres ordres. Certainement, les esclaves avaient perçu cette différence.

Le père Mongin ne fait pas partie des tout premiers contingents de missionnaires aux îles, mais il trouve la mission sur place fondée par le père Bouton. Les Jésuites avaient été appelés par M. Du Parquet en 1640.

C’est en 1676, quarante ans après la possession de l’île que le P. Mongin arrive à Saint- Pierre à la Martinique alors que la Mission Jésuite y est déjà implantée.

Après plusieurs occupations, il fut envoyé à Saint-Christophe, ayant pour responsabilité les Noirs au nombre de 2500 âmes.

Contrairement aux pères Labat et Dutertre, il n’était pas un Jésuite mondain. Son souci demeure constant : convertir les païens, leur faire connaître la vraie foi. Comme beaucoup de prêtres, il œuvrait avec le même zèle.

C’est à partir des lettres adressées, pour la plupart au Père Provincial de Toulouse et à un gentilhomme du Languedoc, qu’il a été possible de faire une étude de la société de la Martinique 1635-1685. Ces lettres ont été copiées plusieurs fois, elles ont eu des utilités diverses, entre autres, elles ont servi aux lectures spirituelles dans les couvents en vue d’initier les futurs missionnaires à la méthodologie de la Compagnie.

Dans ces lettres, le père Mongin précise que la mission des Antilles n’a pas une belle réputation. On préfère demander les missions d’Asie. Des reproches sont évoqués. Par exemple, il y aurait trop de maladie, mais c’est un fait pour toute mission, ou encore, que la vie aux Antilles serait trop douce pour les missionnaires. Mais pour le père Mongin, « l’exercice de ces fonctions curiales découlent de l’absence de séculiers et qu’en tout cas, les Jésuites ne touchent jamais de casuel » (Mongin et Chatillon, p. 9). Enfin, les Antilles ne sont pas un vrai pays de mission, tout le monde y était baptisé. Le missionnaire aspire à exercer dans des pays païens où il est difficile d’officier, il n’était guère possible de mourir martyr dans le sens défini par Sainte Thérèse d’Avila, « comme de gagner à si bon compte le bonheur éternel ». Mais, dans ces lettres, le père Mongin montre que les Antilles ont tous les critères

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répondant à un pays de mission. Le missionnaire qui réalise sa tâche fidèlement se trouvera réellement dans un travail de mission. Tout au long de ces lettres, on y lit la description d’un travail sans relâche.

Dans sa présentation des lettres, M. Chatillon informe que « la lettre est donc un rapport aussi exact que possible et nous pouvons lui faire confiance » (Mongin et Chatillon, p. 10). Pour l’étude de ce qui nous intéresse, nous présenterons essentiellement, les soins apportés aux esclaves, la méthodologie de l’évangélisation des Noirs avec ses règles.

1.2. La méthodologie du père Mongin

Avec la méthodologie de l’évangélisation, les mêmes règles se retrouvaient, comme la connaissance exacte de tous ceux dont ils ont la charge ; ce sera l’établissement des « catalogues des âmes », ou encore un recensement qui est revu chaque année afin de suivre les éventuels changements.

Cette méthodologie, et plus particulièrement le registre des âmes, répond aux demandes du Concile de Trente. Très peu de registres ont été retrouvés, pour cause, c’était un document très confidentiel, seules les autorités ecclésiastiques pouvaient en prendre connaissance.

En ce qui concerne le père Mongin, il applique le registre, mais, y apporte des modifications relatives aux spécificités antillaises. Il tient compte des ethnies, de l’âge, de la situation civile, du niveau d’instruction, de la connaissance des prières. Il avait un système de lecture propre à lui, sous forme de « notation numérique » connu de lui seul, renforçant ce qui doit être secret. Dans sa pratique quotidienne, il maintenait sa position de confident. Ainsi gardait-il secret tout ce qu’il lui était confié. Souvent, les esclaves devaient avoir et garder toute confiance en lui. Pour ce qui a trait à notre recherche, il importe de souligner le signifiant « confiance » dans une telle relation du lieu d’où l’on parle.

À l’instar des autres missionnaires, comme P. Claver, J. Bouton, le père Mongin travaille avec méthode. Dans la lettre du 10 May 1679, le père décrit la mission de la Martinique au R. P. Antoine Pager à Toulouse.

À son arrivée, l’île de la Martinique connaissait déjà une population multiple. Des Européens, des Africains de la côte occidentale de l’Afrique, des Américains se côtoyaient sur l’île. Toutefois, les Africains y étaient très nombreux. Les croyances y sont également

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diverses, il nomme « des Athées, des Idolâtres, des Juifs, des Luthériens, des Huguenots et des Catholiques ». Les couleurs aussi variaient, sur la palette insulaire, il y avait « des Blancs, des Noirs, des Bruns qui sont les Créoles nés en ce pays de parents européens, des Tanez, fils d’un blanc et d’une noire ; des Rouges qui sont des Caraïbes ou Sauvages originaires de ce pais » (Mongin et Chatillon, 1984, p. 50). Pour le reste, seules la religion catholique et la Nation Française dominent « et la couleur noire est plus considérable pour le seul nombre, car c’est la couleur des esclaves » 23 (Mongin et Chatillon, p. 50).

Le père Mongin considère pour sa part que la diversité ethnique et religieuse qu’il rencontre sur l’île reflète bien l’idée qu’on se fait d’une mission étrangère. La tâche est ardue, beaucoup y laisse leur vie, soit par leur zèle épiscopale, soit massacrés par les Sauvages. Cependant, la mission est de convertir. En effet, aux îles, les nègres sont une « moisson assurée » pour certains, à peine ont-ils connu les mystères religieux qu’ils demandent le baptême (Mongin et Chatillon, 1984, p. 51). Cependant, par la suite,

« Il y a quelque peine à l’égard de plusieurs pour les faire vivre en bon chrétiens, par ce que le mauvais traitement de quelques-uns de leurs maîtres, les obligeant à estre fugitifs dans les bois ou à dérober pour vivre, et que la difficulté qu’on force habitants d’acheter des hommes ou des femmes pour faire le mariage de leurs nègres quand il leur en manque, jointe à la grande communication qui est entre les nègres qui sont d’ordinaires nus, particulièrement pendant la nuit dans les travaux des sucreries, sont une occasion de grand désordre » (Mongin et Chatillon, p. 51).

Outre, cette situation, le père Mongin est touché « par des actions généreuses qui se pratiquent parmi ces gens-là et une sensibilité admirable qu’ils ont pour les choses de Dieu ». Face à la souffrance, à la dépendance forcée pour toute chose, aux plaisirs volés, le père Mongin conscient de l’état des esclaves Noirs reconnaît « qu’il faut une très grande grâce de Dieu et une vertu héroïque pour résister à toutes ces attaques ».

Et, il précise que « Dieu s’est voulu servir de nous pour se faire connoître à ces gens- là qui, sans ce bonheur étaient perdus sans resource » (Mongin et Chatillon, p. 52). Faisant

23 En effet, tels étaient les préjugés, puisqu’en 1788, Ottobah Cugoano écrivait que « les protecteurs et les fauteurs de l’esclavage soutiennent, pour excuser leur brigandage, que la loi de Moïse et la pratique constante de tous les siècles autorisent la servitude ; et ils ajoutent que les Africains, par leur caractère et leur couleur, sont particulièrement destinés à porter le fer ». Cugoano, O. D. E. (2009). Réflexions sur la traite et l'esclavage

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allusion à la disposition des nègres pour le christianisme, le père souligne que le R. P. Dutertre en a donné des idées fausses (Mongin et Chatillon, p. 52). Aussi, il indique que chaque année, aux fêtes solennelles, un grand nombre de baptême se fait par les missionnaires. De plus, il précise « avec quelle facilité, quelle application et quelle douceur » les missionnaires s’emploient à leur tâche.

La facilité est traduite selon deux critères : la langue et le respect. La langue utilisée est la langue française puisque c’est la langue des maîtres. Bien que le groupe des Noirs soit composé de plusieurs ethnies africaines, il n’en demeure pas moins qu’en peu de temps, ils ont appris suffisamment pour entendre et se faire entendre. Le respect est considéré comme une source de facilité. La « qualité humiliante d’esclave » instaure le respect des nègres à l’égard des missionnaires (Mongin et Chatillon, p. 55). Pour exemple, le père explique que fréquemment, rencontrant les missionnaires en chemin, faute de les « saluer de parole », ne la maîtrisant pas encore, « ils le font par leur geste, se mettant à genoux, baissant la tête et faisant le signe de la croix » (Mongin et Chatillon, p. 56).

La situation géographique des Noirs, la vie dans les plantations, permettent difficilement une instruction religieuse dans les églises. Aussi, « ces instructions au milieu des champs où l’on assemble les nègres est d’une grande utilité pour leur salut, estant difficile de les instruire suffisamment dans les églises aux catéchismes les jours de fête ou de dimanche, où ils ne se peuvent pas tous trouver et où l’on ne peut pas leur dire les choses si familièrement que lorsqu’ils sont un petit nombre » (Mongin et Chatillon, 1984, p. 56). Les rencontres peuvent être individuelles, nous explique le père puisqu’« on les prend même seul à seul quand on le juge à propos ». Devant l’hostilité des maîtres qui considère que les missionnaires détournent leurs esclaves du travail, ils obtinrent une ordonnance défendant aux maîtres, sous certaines peines, de s’opposer à cette pratique. Ceci montre également l’autorité des missionnaires à l’égard des maîtres catholiques. Chaque père est l’arbitre des différends. Dans les conflits, on a recours au père.

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1.3. Le père Mongin et ses « chers nègres »

C’est à travers la répartition du temps de leur tâche, que le père Mongin s’appuie sur les jours de fêtes et les « jours ouvriers », pour expliquer l’emploi de leur temps.

Un jour de messe, dès le début de la journée un nombre important de nègres viennent voir le père, jusqu’à l’arrivée des Blancs qu’il confesse. Il enchaîne avec la grand-messe. Par deux fois, il monte en chaire pour le double sermon, celui des Blancs puis le sermon des Nègres, qui remplissent l’église après la sortie des Blancs. Notons que des messes ont été écrites spécialement pour les esclaves par les Jésuites (Chatillon. 1982, p. 39).

Devant la dévotion des Noirs, le père dit sécher difficilement ses larmes. En voyant un millier assemblé dans l’église, le père considère « des gens qui connaissent Dieu et que ne l’eussent jamais connu sans ceux que la miséricorde leur a envoyé quo-modo crederent misi

mittantur » (Mongin et Chatillon, p. 64).

Cependant, il s’emploie à aider les Noirs à trouver le salut. Le père Mongin qui, craignant pour son propre salut disait : « J’ai prétendu embrasser un état où je puisse diminuer l’effroyable incertitude de mon salut éternel et venir mourir dans un emploi qui étant de soi le plus pénible de tous ceux de la Compagnie, a paru aussi le plus propre à me faire espérer que Dieu me fera miséricorde à la fin de ma vie » (Mongin et Chatillon, p. 64).