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Chapitre II. Les Jésuites, évangélisateurs et moralisateurs des esclaves noirs

2. Le christianisme des Noirs

2.2. Les croyances des esclaves noirs

Mais, une question se pose. Comment convaincre des gens dépourvus de raisons ? Le père va à l’encontre des préjugés, des idées reçues au regard de l’ignorance des Noirs. Selon le père, c’est de l’ordre du miracle que se fait cette conversion. À ce titre, nous relevons des éléments qui nous semblent importants pour la suite de la recherche. Dans notre contexte, ces éléments apportent du poids à notre analyse de signifiants de conversion. En effet, le père rapporte que « […], l’estime qu’ils ont des blancs, l’assiduité des missionnaires, l’autorité de leurs maîtres aident beaucoup sans nulle violence à leur faire demander le baptême et jamais la foi n’a été plus aveugle ni moins sujette à la tentation que dans ces gens » (Mongin et Chatillon, p. 84).

Une raison, entre autres, de la facilité de la conversion « est qu’ils n’ont pas besoin de changer de religion pour embrasser la nôtre, car ils n’en avaient quasi jamais eu aucune » (Mongin et Chatillon, p. 85). Peut-être pour ceux venant de la partie septentrionale de l’Afrique sont-ils plus ou moins du mahométisme étant voisins du Maroc et de la Barbarie (Mongin et Chatillon, p. 85).

Mais, réellement ? N’avaient-ils pas de religion ? Certainement au regard des dogmes de l’Église catholique romaine, car, il semble que des croyances, ils en avaient. En témoigne, les fétiches qu’ils portaient comme des billets sur lesquels des inscriptions en arabe servaient de protection contre les maladies. Il importe également de comprendre que selon le lieu d’origine, les croyances diffèrent. En avançant dans leur croyance, le père Mongin apprend un récit en lien à l’histoire chamanique. Ainsi, « Reboucou avait trois enfants – une fille et deux garçons. L’aîné avait trouvé son père découvert d’une manière indécente, durant son

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sommeil, il avait appelé les autres pour s’en moquer, ces derniers l’avaient recouvert d’une toile. À son réveil « Reboucou avait appelé son cadet, le faisant son successeur et punissant l’aîné en le faisant esclave du premier » (Mongin et Chatillon, p. 85). Il n’est rien dit au sujet de la fille.

Comment ne pas reconnaître un lien avec la structure du récit mettant en scène Cham? La réflexion du père Mongin eu égard au mythe de Cham nous interpelle, particulièrement, le détachement que révèle sa pensée. Nous citons : « Ceux qui croient que la noirceur de ces gens vient de la malédiction que Cham s’attira dans une pareille occasion pourront dire que les nègres n’ignorent pas tout à fait l’origine de leur couleur » (Mongin et Chatillon, p. 85). Cependant, avec les invasions qui datent bien avant la colonisation européenne, il est possible de croire que le mythe de Cham aurait eu des répercussions en Afrique et, dans un souci de justification, autorisait les rapts, les traites et la mise en esclavage des Noirs d’Afrique24.

À ce titre, les pères Bouton (1640), Dutertre (1667-71), Pellerat (1655) et le Frère Maurille de Saint-Michel (1652) ont eu le même argument à l’égard des esclaves africains. Ils prétendent que c'est un grand avantage d’être dans un pays chrétien. Les esclaves reçoivent l’instruction et peuvent être baptisés tout en leur reconnaissant une grande disposition pour la religion. Sinon, ils seraient privés de cette grâce dans leur pays.

Rappelons que la traite débute avec la présence occidentale qui s’écoule de 1440 à 164025 et que selon Hervieux, « les discours de Cham, qui accompagnent le texte comme justification de l’esclavage n’apparaissent qu’avec les traites transsaharienne et transatlantique, lesquelles sont postérieures aux écrits des textes »26. En revanche, il est fort probable que, face à leur ignorance, il a été possible de leur faire croire qu’ils étaient les descendants de Cham27 (Gisler, 1965, p. 160) et qu’ils ont reçu un héritage double : la couleur

24 « Les personnes qui croient à la Bible disent que Cham et toute sa prospérité ont été maudits de Dieu ; elles ajoutent que l’Afrique a été vraisemblablement peuplée par les descendants de Cham. Mais elles fournissent aux protecteurs de l’esclavage de vains moyens de défense ». Cugoano, O. (2009). Réflexions sur la traite et

l'esclavage des Nègres. Paris : Zones. p. 51.

25 Cf : Chapitre II. I- 4. 1.1. L’histoire de la traite des Noirs. 1440-1640 : « présence occidentale ». 26 Cf : Chapitre II. 3. 2. La malédiction de Cham. II. 3. 3. La malédiction des Noirs est-elle justifiée ?

27 Le Pers (in Charlevoix, t. 2, p. 498), « relevant occasionnellement que l’accès des noirs au christianisme était lié à leur transfert aux Antilles, ou mettant à leur compte la tradition de Cham : "les plus spirituels, comme ceux du Sénégal, ont appris par une tradition qui se perpétue parmi eux, que ce malheur est une suite du péché de leur Papa Tam, qui se moqua de son père" ». Citation reprise textuellement.

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noire et l’esclavage, Dans ce contexte, l’un n’allant pas sans l’autre. De plus, comme l’a souligné le père Mongin, aux îles, la couleur noire est synonyme de l’esclavage.

Il lui en fallut bien peu pour traduire la « religion » des nègres. Du reste, ici, le terme religion, est-il synonyme de croyances, de superstition ou autres ?

Cela dit, selon le père Mongin, presque tous les esclaves noirs sont ignorants hormis ceux venant du Congo, étant voisin d’une mission des Jésuites à Loanda, ils ont été baptisés avec « une prise de sel » (Mongin et Chatillon, 1984, p. 86). Les Espagnols et les Portugais baptisaient des groupes de nègres juste avant de les embarquer et sans aucune instruction, alors même qu’un baptême était invalide. Aussi, il n’en fut pas de même pour les prêtres français. En effet, ils ne baptisaient pas les captifs, sachant qu’ils ne restaient pas suffisamment au lieu de la mission. Effectivement, la durée d’une instruction nécessite du temps et des dispositions.