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Chapitre I. Le contexte antillais

3. Colonisation et religion

La perception par les autorités métropolitaines fut double. D’une part, « il y a le sauvage dans son acceptation négative, proche de la bête », et dont il est nécessaire de se protéger, jusqu’à l’élimination physique, et d’autre part, cette vision chrétienne et catholique qui le saisissait « comme un homme, créature divine, païen mais perfectible et pouvant être sauvée par la conversion » (Lafleur, p. 57).

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Si le catholicisme privilégiait la seconde vision au début de la colonisation, les colons, pour la plupart athées et matérialistes, ne voyaient que la première vision, celle du « … sauvage dans son acceptation négative, proche de la bête ».

Aux dires de l’auteur, l’attitude du clergé et la présence des prêtres furent plus ou moins favorables aux Amérindiens. Les bonnes relations qu’ont pu entretenir les ecclésiastiques et certains capitaines de carbets, purent aplanir l’action diplomatique des Français.

Dans les actes réglementaires de la Compagnie des Isles de Saint-Christophe, le destin des Indiens y était compris puisque dans l’Acte d’association des Seigneurs de la Compagnie des Isles de Saint-Christophe de 1626, (Du Tertre, 1667-1671, p. 8) l’occupation des îles par les Français était aussi à des fins « de faire instruire les habitants desdites îles dans la religion catholique, apostolique et romaine… » (Du Tertre, 1667- 1671, p. 8). Par ailleurs, le Cardinal de Richelieu indique bien dans la commission à l’endroit de Pierre Belain d’Esnambuc et d’Urbain du Roissey, les deux visions précédemment citées. D’une part, défendre les îles contre les individus et d’autre part, faire l’instruction religieuse catholique, apostolique et romaine des Indiens par les prêtres et les religieux amenés dans l’île (Du Tertre, 1667-1671, p. 13). Des ecclésiastiques administreront la parole de Dieu, les sacrements et instruiront les sauvages.

Aussi, suite à la conversion des païens, c’est la considération au même titre que les « naturels français » et seront « de droit, régnicoles du roi de France ». C’est l’Article XI9 qui en donne les explications. Selon Lafleur, « la volonté d’intégration étonnante pour l’époque » et « l’approche très moderne du problème » font la différence avec les autres colonisateurs, puisque les Caraïbes étaient considérés comme un peuple vivant dans le royaume de France. De fait, ils étaient devenus sujet du Roi du seul fait de leur conversion à la religion catholique. Dès lors, ils incorporaient le modèle culturel. Est-ce que cela signifiait que la conversion conférait une reconnaissance d'égalité avec les Français ? G.

9 Article XI. Paris le 13-02-1635, cité dans Du Tertre, J. B. (1667-1671). p. « Et pour convier lesdits sujets de S.M. à une glorieuse entreprise, et si utile à l’État, Sadite M. accordera que les descendants des Français habitant ces îles et les sauvages qui seront convertis à la fois et en feront profession, seront censés et réputés naturels français, capables de toutes les charges, les honneurs, les successions, les donations, ainsi que les originaires, sans être tenus de prendre des lettres de déclarations ou de naturalité … »

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Lafleur émet l’hypothèse de leur étonnante fidélité au roi de France malgré les aléas d’une relation souvent conflictuelle.

Si la préoccupation première des associés était de rentabiliser au plus vite l’investissement, celle de Louis XIII, « roi des chrétiens », était « qu’on travaillât à étendre la religion catholique, apostolique et romaine et qu’on instruisit les sauvages » (Du Tertre, 1667-1671, p. 13). Ainsi, sensible au volet de la colonisation, le roi veillait au choix des religieux. Il envoya des Capucins qui furent les premiers prêcheurs. Pour sa part, Richelieu avait opté pour les Dominicains.

Parmi les religieux faisant le voyage, étaient présents les RR. PP. Pierre Pélican et Raymond Breton, prêtres dominicains. Ce dernier, selon ses écrits, espérait partir en mission, « auprès des sauvages ». Il a pu converser avec eux, apprendre leurs mœurs et « cérémonies ». La principale préoccupation du R. P. Breton a été la conversion des Sauvages. Pour ce faire, il lui parut essentiel de connaître leur langage. Dans un souci de succession, il rédigea toutes ses connaissances. Aux dires de certains auteurs, ses écrits furent « largement plagiés et pillés par ses contemporains et ses successeurs » (Du Tertre, 1667-1671, p. 13).

Le R. P. Breton a laissé plusieurs ouvrages, un Petit catéchisme ou sommaire des

trois premières parties de la doctrine chrétienne (1664), un Dictionnaire caraïbe-français meslé de quantité de remarques historiques pour l’éclaircissement de la langue (1665),

un Dictionnaire français-caraïbe (1666) et une Grammaire caraïbe (1667). Le catéchisme n’est pas illustré. Il se présente en deux sections : Français et Caraïbe. Il se compose de deux grandes parties, en premier lieu, L’abrégé de la doctrine chrétienne sous forme de trois entretiens correspondant à des questions/réponses, exemple :

« Premiere parties de la Doctrine Chreftienne. Demande

Qu'eft-ce que la Doctrine Chreftienne ? Refponce.

C'eft celle que noftre Seigñr Iefus-Chrift nous à enfeignée lors qu'il viuoit fur terre, & que la Saincte Eglife, Catholique, Apoftolique, & Romaine nous enfeigne. ». (Breton 1664, p. 16).

Ou encore : « Demande.

Eft-il neceffaire de fçauoir la Doctrine Chreftienne ? Refponce.

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Ouy, fi nous voulons eftre fauuez ».

En second lieu, La doctrine chrétienne est elle-même divisée en trois parties et présentée également sous forme d’entretiens :

La traduction en caraïbe se présente comme suit : Premiere parties de la Doctrine Chreftienne. Premier entretien de la Foy. Demande. C Omment connoiffez-vous Dieu ? Refponce. Par la Foy. Demande.

Qu'eft-ce que la Foy ? Refponce.

C'eft vn don de Dieu, par lequel nous croyons en luy, & tout ce qu'il à reuelé à fon Eglife.

Tabánani ichágali nhabáquêtoni Kiríffianê. Yeheúboutou ariángle

touagon moíngali. Tallaquêtácani.

C At áo bachouboutouiroyénli che mijn?

Teoúcouli. Táo moíngali. Tallaquêtácani. Catan moíngali barou ? Teoúcouli.

Linoúbali-énron-kia Ichéiri, huinamoingátouboumhém libónam, tóni-kia

lariángone toubároua eglise ».

Le contenu du catéchisme représente un matériel important qui a certainement servi à amener les Indiens à changer leur conception de/des dieux, voire leur rapport à « Boyer » ou « maboïa », l’esprit qui les mettait en garde contre les Blancs.

Quelques Indiens ont eu la dévotion pour leur salut, allant jusqu’à demander à être instruits religieusement, aimant à entendre parler de Dieu et des choses spirituelles. On ne leur reconnaissait aucune religion. Cependant, selon le père Breton, « ils ont quelque cognoiffance de l’immortalité de l’âme » (Breton, p. 106).

L’œuvre du R.P. Breton se percevait comme « un investissement à faire fructifier ». Le R.P. Breton expliquait que ses Grammaires et ses relations invitaient à « connaître les Caraïbes dans leur mode de vie, leurs croyances, leurs coutumes » en vue de mieux les aborder et de mieux les convaincre de la justesse et de la réalité du message christique (Lafleur, p. 62).

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D’après Lafleur, les Dominicains semblaient plus tolérants que les Jésuites à cette période, sans doute étaient-ils trop pressés, souhaitaient-ils de rapides résultats ? Si les premiers les considéraient « comme dignes et capables de recevoir un enseignement chrétien », le P. Breton avait semé les premières semences, aux dires des seconds « les Caraïbes portent de grandes marques d’une nation réprouvée dans leur brutalité… » (Lafleur, p, 63). L’auteur en conclut que les dominicains semblaient plus tolérants, acceptant des écarts du dogme, se contentant de l’essentiel, devant « progressivement éliminer les "scories" de croyances et de " superstitions" conservées par les prosélytes » (Lafleur, p. 63).

Les représentants institutionnels du royaume de France manifestaient un réel intérêt envers les problèmes religieux et, dans la mesure du possible, ils faisaient en sorte que les missionnaires puissent résider parmi les Indiens, surtout pour des raisons politiques. En fait, les missionnaires comme les R.P. Breton et Beaumont connaissaient les sauvages personnellement. S’il arrivait que les missionnaires soient obligés de rester chez les Français pour cause de tension qui risquait de mettre leur vie en danger, les Indiens leur rendaient visite. (Lafleur, p. 66). G. Lafleur insiste sur les relations personnelles entre les religieux et les capitaines du carbet. Pour exemple, le capitaine caraïbe Baron fait demander le père Raymond pour que ce dernier lui apprenne à prier Dieu. Le père Breton reste à la Dominique environ trois mois, pas seulement pour la mission mais aussi, pour se familiariser avec la culture des Caraïbes, et se perfectionner en leur langue qu’il commençait à maîtriser. Autre exemple de relation personnelle, le père Breton, revenant de la Dominique, est accompagné de Bon Pierre un autre capitaine sauvage (Breton, 1664). Aux dires de Lafleur, les Caraïbes, dans un premier temps, acceptèrent difficilement les missionnaires sur leur terre, puis, pour certains avec bienveillance à condition que chacun resta sur ses positions. Ils acceptaient d’écouter le discours des prêtres, notamment les indications que le père Breton leur donnait sur leurs croyances, leurs coutumes. Mais chacun restait persuadé de la supériorité de sa foi, tout en respectant celle des autres (Lafleur, p. 66). Ainsi, le rôle de la religion catholique et des missionnaires fut important dans les relations franco caraïbes. Avec les deux Traités, l’un de Ryswick 1678, les droits de la France sur les colonies de Saint-Domingue, et l’autre de Ryswick 1697, c’est un durcissement vis-à-vis des minorités, Caraïbes compris, et une « tentative

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d’uniformisation religieuse et administrative » (Lafleur, p. 68). Cela se traduit par ce désir de réduire les Caraïbes, tant physiquement qu’administrativement, en les organisant afin d’occuper leurs terres (Lafleur, p. 68). C’était rendre l’évangélisation plus compliquée et plus dangereuse puisque certains missionnaires avaient été massacrés sans raison apparente.

Conclusion

Ce chapitre a permis de situer l’espace « Caraïbe », de montrer qu’à l’arrivée des Espagnols, des hommes et des femmes y vivaient à partir d’une structure sociétale mise en place.

La société des Caraïbes a marqué une résistance culturelle et religieuse, « elle avait résisté à toutes les tentatives d’infiltration, de déstabilisation et de récupération et en définitive d’étouffement culturel ». (Lafleur, p. 68).

On retiendra que « leur certitude était telle qu’ils (les Caraïbes) pouvaient faire preuve de tolérance dans cette période de radicalisation religieuse » (Lafleur, p. 75). Ils étaient souvent ouverts, écoutant et discutant des valeurs du christianisme qui dénigraient pourtant, « le paganisme des sauvages, leurs propres croyances ». Ils acceptaient de faire baptiser leurs enfants en danger de mort. Pourquoi ? Nous aurions souhaité en connaître la raison ? Si les actions des Jésuites étaient brusques dans leur début, il n’en fut pas de même par la suite, au contraire, ils cherchèrent à les voir et à s’entretenir avec eux. De même, après trois quarts de siècle d’apostolat, la présence en nombre des Jésuites est remarquée et ne devait jamais être interrompue (Lafleur, p. 75). A la fin du XVIIe siècle, selon le Gouverneur général et intendant, ce fut un « constat d’un échec cuisant » pour la tentative d’évangélisation des Caraïbes. Et pourtant, à long terme, et jusqu’à la fin des Caraïbes, ces derniers se sont appuyés sur le catholicisme, ils ont fait appel aux prêtres dans les moments les plus tragiques. De ces moments dramatiques, certainement, a dû surgir un sentiment d’angoisse que leurs croyances surement ne pouvaient apaiser.

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