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Chapitre II. Les Jésuites, évangélisateurs et moralisateurs des esclaves noirs

2. Le christianisme des Noirs

2.3. Les dispositions au baptême

En ce qui a trait au sacrement du baptême, il a souvent été question de l’instruction religieuse, voire de la méthode de cette instruction. Rares ont été les informations relatives aux détails de l’administration du sacrement du baptême.

Nous avons trouvé des informations précises écrites par les missionnaires eux-mêmes. Deux ouvrages ont été recensés : Voyages et travaux des missionnaires de la Compagnie de

Jésus du Révérend père P. Pellerat et Voyage des Îsles Camercanes en l’Amérique. Qui font partie des Indes occidentales par le Frère Maurile de Saint-Michel (1652).

Aussi à cette étape de notre exposé, nous proposons de présenter quelques détails de l’administration du sacrement du baptême.

Dans Relation des missions de P.P. de la Compagnie de Jésus dans les isles et dans la

terre ferme de l'Amérique méridionale, le père Pellerat (p. 13) précise que l'île de la

Martinique avait été choisie comme étant la plus avantageuse à la conversion des Sauvages. Le père Pellerat était accompagné du père Denis Méland qui, ne maîtrisant pas suffisamment la langue des Sauvages, « il s'occupoit au Baptéme des petits enfans qu'il trouuoit en danger de mort dans les vilages qu'il vifitoir » (Pellerat, Partie 2. p. 4)

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Nous sommes informés que de grandes précautions étaient apportées aux Sauvages qui demandent le baptême (Pellerat, p. 99), de crainte d’avoir des apostats dans l’Église. Cependant, le sacrement ne leur était pas refusé dans le cas d’une extrême nécessité comme le danger de mort.

Le père Pellerat baptisait sur la fin du mois de septembre 1653. Il baptisa une femme qui se trouvait en danger de mort. Elle avait reçu l'instruction religieuse par le père Méland, mais ce dernier ne l’avait pas baptisée. Il trouvait qu’elle n’était pas suffisamment fervente. Le père Méland avait donc demandé au père Pellerat de baptiser cette femme dans le cas où elle se trouverait en danger de mort.

Aussi, peu de temps après le départ du père, la femme tomba gravement malade. Le père Pellerat nous informe, que dès qu'il fut averti : « ie la baptizay, & luy donnay le nom de

Marie28: à peine eut elle receu ce Sacrement qu'elle commença à prendre de la nourriture, ce qu'elle n'auoit peu faire depuis plusieurs jours » (Pellerat, p. 100) .

Dans Voyages et travaux des missionnaires de la Compagnie de Jésus (p. 97), le Père Pellerat présente une autre situation dans laquelle il administre le sacrement du baptême, et raconte:

« Un François ayant enlevé au mois d'avril de l'an 1653 quelques Indiens de la rivière de Coupenam dans la Guyane, et les ayant menés à la Martinique pour les vendre, nous jugeâmes que si nous les ramenions en leur pays nous y serions favorablement reçus par leur moyen. Parmi ces captifs il se trouvoit deux femmes de la nation des Galibis; nous les achetâmes avec une petite fille de deux à trois ans, dont l'une de ces deux femmes étoit la mère, et l'autre la grand'- mère.

Dieu, qui vouloit sauver cette petite créature, permit qu'elle tombât dans une maladie qui l'affoiblit si fort qu'on ne croyoit pas qu'elle eût un jour de vie. Je n'osois pas la baptiser sans le consentement de ces deux femmes, de peur qu'elles ne dissent en leur pays que le baptême avoit fait mourir leur fille ; et je ne pouvois demander ce consentement, parce que je ne savois pas leur langue. Il m'étoit d'ailleurs impossible de lui conférer ce sacrement sans qu'elles s'en aperçussent ; elle étoit toujours entre leurs bras. Comme j'étois en cette perplexité, Dieu me fit naître l'occasion de la baptiser à leurs yeux, sans qu'elles s'en donnassent de garde. Car la mère ayant apporté un vase plein d'eau de la rivière, pour laver la jeune malade, je fis l'officieux, et prenant l'eau avec la main, comme pour la laver de concert avec elle, j'en versai sur la tête, prononçant tout

bas les paroles sacramentelles. Je lui donnai le nom de Marie29, pour reconnaître la faveur que j'avois obtenue dans cette rencontre par l'intercession de la sainte Vierge. Peu d'heures après, ce petit ange s'envola au ciel ».

28 Souligné par nous.

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Dans Voyage des Îsles Camercanes en l’Amérique. Qui font partie des Indes

occidentale, Frère Maurile de Saint-Michel (1652) tente de répondre à un certain nombre de

questions qui se sont posées quant à l’administration du baptême. Par exemple :

« On a proposé en l’Amerique pluſieurs demandes auſquelles ie répόdray eſperant que le Lecteur ne s’ennuyeras pas de les lire. 1. Sçavoit ſi on peut iustement forcer un infidele de recevoir la ſoy & ſe faire baptiſer ? Le côcile de Tolede dit que non. c. 56. pource qu’il y a trop grande crainte qu’il apoſtaſie ». (Préface au Lecteur) »

2. Si un eſclave de ſon conſentement peut eftre baptise', bien que ſon maiſtre ne le veile pas ? Ouy, car on ne peut oſter la liberté à l’homme de fervir à Dieu, auquel dit I’e'criture, il vaut mieux obeïr qu’aux hommes ». (Préface au Lecteur) »

3. Si un Payen peut baptiſer validement ? Ouy, moyennant qu’il applique

les trois conditions requiſes à baptême : ſçavoir l’eau naturelle qui eſt la matiere ; ces paroles qui ſont la forme Ego te baptiſo in nomine Patris (et) Fily (et) Spiritus Fanɛti ; & qu’il ait l’intention de pratiquer ce que l’Eglife pratique dans

le baptéme…

4- Si deux perſonnes, dont l’une verſera l’eau, & l’autre dira Nous vous

baptifons (et) c. en peuvent baptiſer une ſeule ? L’Ange de l’école S. Thomas dit

que nó : pource que la perſonne qui dit Nous vous baptifons : ne lave pas, & par conſequent ne baptife pas, car baptiſer fignifie laver30. Au reſte le baptifant doit repreſenter Ieſus-Chrift qui n'eſt qu’un31. Mais un ſeul en peut baptifer plufieurs, difant Ego vos baptiſo (et) c.

S’agissant du baptême administré pour des groupes de personnes, la façon de donner l'eau bénite est importante. Il est possible de rebaptiser sous certaines conditions :

« On fe soit bien prendre garde de cette forte de baptème, depeur qu'un chacun ne reçoive pas de l’eau. Car Suarés dit que l'attouchement de l'eau à une feule petite partie du corps n'eft pas fimplement ablution, & par confequent n'eft pas baptéme: moins encore fi l'eau tombe feulement fur l'habit. Voire il veut qu'on rebaptife fous doncitions l'enfant, dont on n'aurait lavé que le pied, le corps eftant encore dans le fein de la mere. Voilà pour le baptéme des Infidèles » (Préface du lecteur).

Enfin, dans son ouvrage, Agnès Renault (2012) apporte quelques informations. Elle précise qu’à Santiago de Cuba durant la période allant de 1791 à 1825, les esclaves recevaient un prénom chrétien et deux parrains à leur baptême.

30 Souligné par nous

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Ces informations sont pertinentes dans le cadre de nos travaux de thèse. En effet, apportées par les missionnaires, elles nous montrent que le baptême ne fut pas une chose menée à la légère. Il fut administré selon les normes ecclésiales, selon « ces paroles qui ſont

la forme … » De même, une attention particulière est portée sur le baptême collectif pour

que chacun reçoive l’eau bénite. Enfin, l’octroi du nom chrétien a également son importance, car celui-ci marque l’affiliation au Père céleste.

Cependant, outre l’administration du baptême en cas de danger de mort, une certaine disposition était demandée.

En effet, avant l’administration du baptême, certaines conditions s’imposent.

Trois dispositions sont essentielles pour être candidat au baptême : l’intention, la foi et le repentir. « Sans la première, le baptême est nul ; sans les deux autres, il n’est pas licite ». S’il manque une des trois, « on ne peut administrer le baptême sans un grand pêché » (Mongin et Chatillon, 1984, p. 87).

Devant le nombre important, il était impossible d’instruire chacun en particulier. Arrive ici, l’importance du catalogue, il permettait de voir qui était à baptiser, et aussi, il était possible au père Mongin de leur parler de leur travail, dans les champs « pour les instruire, les examiner et les choisir pour le baptême » (Mongin et Chatillon, 1984, p. 87).

De l’affleurement de l’intention du baptême, selon le père, « je n’avais pas de peine à la leur faire naître, car aussitôt qu’ils commencent à avoir la moindre connaissance de notre religion, ils le demandent avec grand empressement, paraissant tout persuadés que sans cela, ils n’iraient pas là-haut avec le Bon Dieu ». De plus, certains affirment qu’avant d’être baptisés, le maboya (démon) les rouait de coups toutes les nuits.

Aux dires du père, la foi, seconde disposition, n’est pas aussi facile que la première de par leur étourdissement. Ils doivent connaître le mystère de la Trinité et de l’incarnation dans un premier temps, puis viendront l’oraison dominicale, la salutation de l’ange, la croyance puis les commandements de Dieu.

Quant au repentir des péchés, la troisième et dernière disposition, c’est avec beaucoup de difficultés que le père tente d’y parvenir, à cause du nombre important de concubinage. Nonobstant tous les obstacles, à partir de son savoir-faire, il obtint quelques amendements.

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Alors que le père refusait le baptême à un esclave parce qu’il n’était pas sage, celui-ci lui répondit « et comment moi sage, si pas chrétien. Moi vouloir être chrétien pour devenir sage ! » (Mongin et Chatillon, 1984, p. 87).

Le sacrement du mariage ne tardait pas dès lors qu’ils avaient reçu le baptême « à cause de la difficulté qu’il y a à bien les disposer pour la confession ». Le mariage, selon le père, étant un remède nécessaire à la débauche. Le libertinage des nègres aurait été la « plus véritable cause de leur obstacle », ils désiraient être libres de prendre et de quitter femme à leur aise sans obligations familiales. Était-ce là, la seule raison ? Les maîtres n’utilisaient-ils pas leur droit de cuissage à l’égard de toutes les femmes de la plantation ou encore les nègres n’étaient-ils pas considérés comme des animaux pour les employer comme étalons, les privant, justement, de jouissance intime, et par là, les obligeant à vivre une castration d’emblée ?

De plus, les maîtres ont de la difficulté à vendre les nègres mariés. S’ajoute à la liste, le fait que certaines maîtresses ayant instruites quelques négresses, s’opposent à leur mariage, elles ne désirent pas se priver des services que celles-ci rendent en tant que nourrisses.

Enfin, une des grandes difficultés résulte du fait que les lois interdisent aux esclaves de maîtres différents, de s’unir, ce qui toutefois, est toléré par les missionnaires afin d’éviter séparation, divorce, adultère. Contrairement à quelques ecclésiastiques qui mariaient les esclaves dans les champs, les concubinaires dans le même temps et le même lieu, dès qu’ils avaient leur consentement, le père Mongin respectait « la sage conduite de l’Église ». En effet, dit-il « ces choses extérieures sont nécessaires pour donner de la dévotion aux nègres ». Sans ces choses extérieures plusieurs n’avaient aucune considération pour ce sacrement, d’autres ne croyaient pas être mariés, « vivant séparément dans de grandes débauches, sous prétexte qu’on les avait mariés d’une manière différente de celle des blancs32, sans bans, sans messe, sans bague, sans bénédiction et sans église » (Mongin et Chatillon, 1984, p. 93). Par la suite, ayant constaté la cérémonie de ce sacrement, nul besoin d’exhortations, les esclaves se rendaient d’eux-mêmes auprès du père. Ainsi, le mariage est enregistré selon toutes les formes. Suite à la bénédiction, ce sont les réjouissances ; à ce titre, le père mentionne qu’« ils dansent avec des marques d’une joie extraordinaire, car c’est une chose surprenante de voir

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l’empressement qu’ils ont pour ces réjouissances, eux qui sont les plus misérables et tous les tourments de tous les hommes » (Mongin et Chatillon, 1984, p. 94).

Selon le père Mongin, le principal effet du mariage des Noirs fut la fin des débauches. Cependant, « les sacrements sont plus efficaces de tous les remèdes », de plus, le baptême, la confession, les communions et les mariages produisent de grands biens.

Pour faire suite à ce témoignage de son instruction auprès des nègres esclaves, nous relatons l’histoire de faits réels survenus en 1840 à la Martinique33. Des esclaves de plusieurs habitations, suite à une instruction religieuse et après une retraite de huit jours devaient recevoir la communion. Il importe pour notre analyse de retranscrire les dires de l’auteur, ainsi il écrit :

« Ces zélés néophytes se montraient dignes du bonheur auquel ils aspiraient par toute leur manière d’être qui attestait les grands avantages qu’ils retiraient de ces saints exercices. Tout le monde était édifié de leur assiduité à l’église, de leur extérieur plein de modestie, de la décence qui présidait à toutes leurs actions ».

S’il est de coutume d’entendre les nègres à travers les paroles des autres, ici, ce sont eux qui rapportent leurs sentiments, et si « des larmes de joie coulent de leurs yeux » parce qu’ils « ont le bonheur de recevoir Dieu », ils étaient dans une plénitude de bonheur de posséder leur Créateur et leur Sauveur, ainsi est-ce à Marie « cette reine des cieux » qu’ils demandent de « les offrir elle-même à Jésus-Christ, son divin fils » :

« O Marie ! S’écriaient-ils, ô notre tendre mère qui nous voyez à vos pieds, nous nous mettons à vous sans réserve, et pour toujours nous nous mettons sous votre puissante protection. O Marie ! ô mère compatissante ! Ô mère généreuse ! Daignez nous bénir, nous qui sommes vos enfants, et nous obtenir la grâce de persévérer dans nos bonnes et saintes résolutions ».

Les colons témoignent de leur satisfaction en couvrant les tables d’abondance et, comme le mentionnait plus haut le père Mongin, dans le même sens, l’auteur du récit reprend : « la joie, la consolation et le bonheur animaient tous les cœurs ». Ce sentiment de

33 Une première communion d’esclaves nègres à la Martinique. In Le tour du monde. Archives départementales de la Martinique N° 5344 (8) 1J41.

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bonheur fut traduit par les paroles offertes « à celui qu’ils aimaient tant à appeler du doux nom de père », responsable de leur instruction :

« O père ! qui avez pris tant de soins de nous, qui nous avez instruits de grandes vérités de la religion et préparés à bien faire notre première communion, que votre bonté pour nous est grande ! Croyez à toute notre reconnaissance ; non, jamais nous n’oublierons vos bienfaits. Toujours, père, oui, toujours votre nom demeurera gravé dans nos cœurs ; nous aimerons à le répéter, parce qu’il nous sera toujours cher… O père ! que nous aimons, daignez nous bénir ! »

Toutefois, l’auteur ne manque pas de souligner la satisfaction des maîtres, « convaincus de la toute-puissance de la religion pour inspirer aux esclaves le respect et la soumission, l’amour de l’ordre et du travail ».