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I 1 2 Pratiques de lecture dans le monde romain

Entre le IIIè siècle av. J.C. et les premiers siècles de notre ère, la lecture à haute voix est d’usage à Rome où les écrits empruntent aux modèles grecs. Aux premiers siècles de la Ville, l’écriture ne se rencontre que dans « les collèges de prêtres et dans les familles patriciennes » nous dit Guglielmo Cavallo ; Caton le Censeur par exemple « rédigeait ses discours sur des tablettes avant de les prononcer ».55 La première littérature latine imite la littérature grecque,

toujours très prisée, et coïncide avec « l’arrivée, au titre du butin de guerre, de bibliothèques hellénistiques entières » ; et ces bibliothèques servent de modèles à une élite romaine qui se constitue des bibliothèques privées, telles celles de Cicéron. Pour autant, si la lecture studieuse et solitaire fait déjà partie de la vie privée, la villa romaine est aussi un lieu de sociabilité parmi les livres ; on se prête des livres. Mais à côté de ce lectorat aristocratique cultivé, et outre les professeurs de grammaire et de rhétorique, de nouveaux lecteurs, ou des gens qui écoutent lire, apparaissent peu à peu : des esclaves ou des affranchis alphabétisés, des parvenus ; et aussi « des individus de condition modeste, artisans ou gens âgés » qui selon Cicéron « appréciaient des ouvrages d’histoire pour le plaisir (voluptas) de la lecture, non pour son utilitas ».56 Cavallo

précise que la croissance du lectorat à l’époque impériale est confirmée par l’iconographie, avec « la fréquence des scènes de lecture sur les fresques, les mosaïques, et les bas-reliefs de l’époque ».

« La société romaine » ne se résume pas aux ordines et à une plèbe indifférenciée, il existe l’équivalent d’une classe moyenne entre les très riches et les très pauvres : « une plebs

55 Ibid., Guglielmo Cavallo, « Du volumen au codex. La lecture dans le monde romain », in Histoire de la lecture

dans le monde occidental, 85.

media par opposition à une plebs humilis », classe distincte des affranchis. Paul Veyne montre

que « les plébéiens moyens forment une classe qui est définie à la fois par la fortune, par le statut personnel, par leur non-appartenance aux trois ordres et par leur privation de leur dignité attachée aux ordres ».57 Et il ajoute quelque chose qui retient particulièrement notre attention,

à savoir que les membres de cette classe moyenne, malgré leurs disparités (notamment en terme de fortune), « représentaient pour l’imagination le Romain ordinaire », celui auquel s’adressent les écrivains :

« Ce romain tout court, nude dictus, qui se trouve coïncider avec la plèbe moyenne, se retrouve aussi dans la sémiotique littéraire de la réception : c’est lui qui est l’ideale leser dont parlent nos sémioticiens, le lecteur idéal pour lequel semblent écrire presque tous les écrivains païens (qu’ils soient eux-mêmes sénateurs, chevaliers, plébéiens ou fils d’affranchis). En effet, le destinataire implicite de leurs œuvres est un Latin et un ingénu, puisqu’ils lui parlent des Grecs comme d’étrangers, des affranchis comme d’êtres méprisables et des esclaves comme étant des “autres” ».58

L’écrivain romain ne fait pas de distinction entre privilégiés et non privilégiés, son œuvre est destinée à tous, autrement dit « tous les Romains dignes de ce nom » et sachant lire et écrire. Mais en réalité il ne sait pas vraiment si ses véritables lecteurs correspondent à ce lecteur idéal (la composition de ce lectorat comme son niveau de maîtrise de la lecture sont mal connus). En revanche on sait un peu plus comment on lisait, sur quel support. Le volumen ou livre-rouleau en papyrus était connu à Rome, comme à Athènes ; il est attesté déjà chez Ennius et Lucillius, et au temps de Cicéron et de Virgile son usage est adopté. Les écrivains et les lettrés romains se nourrissent non seulement des modèles littéraires hellénistiques, mais adoptent aussi leurs méthodes « éditoriales » : « une structuration du livre qui, inspirée de ces modèles, donnait au texte un ordre mieux adapté à la lecture. »59

Pourtant lire un volumen demande une certaine habileté que décrit Anthony Grafton : on prend possession d’un texte « en saisissant les baguettes en bois auxquelles étaient fixées les deux extrémités du rouleau et en déroulant le texte latéralement à un bout […] et en le réenroulant à l’autre bout au fur et à mesure de la lecture », l’œil parcourant tour à tour le texte de chaque pagina, c’est-à-dire les « colonnes rangées parallèlement sur le papyrus ».60 On lit

généralement debout mais Cavallo nous informe de « l’existence d’un pupitre de bois destiné à

57 Paul Veyne, La société romaine, texte liminaire « En guise d’introduction. La ville de Rome et la “plèbe

moyenne” », p. II et VII, Paris, Éditions du Seuil, 1991, (2001 pour le texte liminaire).

58 Ibid., p. XIII-XIV

59 Ibid., Guglielmo Cavallo, p. 86

60 Anthony Grafton, La page de l’Antiquité à l’ère du numérique. Histoire, usages, esthétique, Paris, Hazan,

soutenir le rouleau en cours de lecture, tantôt posé sur les genoux du lecteur assis, tantôt monté sur un pied ».61 La lecture se fait à haute voix, y compris pour soi-même dans la sphère privée,

dans l’intimité de sa demeure ; et dans les riches familles on a aussi recours à un esclave Lecteur. On est habitué à écouter lire et la lecture est offerte comme divertissement aux invités d’une réception ou d’un banquet par exemple. Ces pratiques coexistent d’ailleurs avec celle de la lecture silencieuse, pratiquée essentiellement par des écrivains et des Romains cultivés. Cavallo précise que lire en silence n’est pas du tout « le signe d’une capacité supérieure » : la lecture sonore, en particulier des textes littéraires, reste, et pour longtemps, un trait caractéristique de la culture romaine à tous les étages de la société.

Des récitationes données dans un cercle privé. L’exemple de Virgile.

L’origine des premières lectures à haute voix, données dans un cercle privé - trois siècles après Socrate - remonte à Asinius Pollion, l’un des protecteurs de Virgile. Il y en a eu d’autres tout aussi célèbres, évoquées par Jeanne Dion : « les recitationes qu’avait inventées Pollion et qui se faisaient dans sa bibliothèque et ses jardins ou ceux de Messala, de Mécène, ou dans les villas augustéennes ».62 La résidence patricienne est un lieu de sociabilité offrant de nombreuses

salles, salons de compagnie, galeries, jardins etc. ; elle est conçue pour le loisir au milieu des livres et sa bibliothèque privée est ouverte aux lecteurs extérieurs faisant partie du même monde cultivé. Il faut préciser en effet l’importance qu’ont eu les « mécènes » auprès des écrivains dès le Ier siècle avant J.C. Ils assurent en particulier leur indépendance financière, leur apportant

ainsi la tranquillité d’esprit, et donc la garantie de pouvoir se consacrer entièrement à leur activité d’écrivain ; en particulier pour ceux qui sont issus de la classe moyenne. «Virgile menacé d’être spolié de son domaine a été défendu par Pollion ; Horace a reçu de Mécène une propriété pour y mener “la vie solitaire qu’il affectionnait”».63 En outre, des protecteurs fortunés

comme Pollion, Messala et Mécène apportent un soutien actif à la création et au rayonnement de la littérature, notamment en organisant, chacun dans leur “cercle littéraire”, des recitationes qui rassemblent des auditeurs eux-mêmes hommes de lettres ou appartenant aux classes aisées cultivées. Mais il doit bien exister au sein de tels groupes une « reproduction de la hiérarchie

61 Ibid., p. 94

62 Jeanne Dion, « Notice de l’Énéide » p. 1190, in Virgile, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de

la pléiade », 2015.

63 Catherine Salles, Lire à Rome, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. 112-113, (Selon Donat, les terres de Virgile

faisaient partie de la distribution des terres qui devaient être allouées aux vétérans, après la victoire des Philippes, sur l’ordre des « triumvirs » - Asinius Pollion, Alfénus Varus et Cornélius Gallus - qui l’auraient épargné : cf. Virgile, Œuvres complètes, p. 1052.)

du monde romain avec ses rapports complexes d’amitié » où les nuances de position sociale et de fortune jouent leur rôle ; par exemple des amis de condition supérieure se retrouvent aux côtés d’« écrivains de condition plus modeste auxquels [des mécènes] accordent protection ».64

Après Pollion, Virgile a eu le chevalier Mécène comme protecteur, aux côtés des plus grands poètes de l’époque augustéenne (dont Horace et Properce). Ce lien est signifié dès le deuxième vers des Georgiques, quand Virgile s’adresse nommément à Mécène, faisant ainsi entrer son protecteur dans son chant d’une façon élégante selon l’usage qui consiste à honorer et à célébrer son protecteur dans son œuvre. Celui-ci a probablement organisé deux

recitationnes données par Virgile : d’abord la totalité des Georgiques, devant Octave, le futur

Auguste, une lecture qui s’est étendue sur quatre jours (on suppose un chant par jour) ; et plus tard, des extraits de l’Énéide, non achevé, devant Auguste (les livres II, IV, VI). Il est fort possible

et même probable que le poète a fait d’autres lectures, mais nous n’avons de traces que de celles-là. Le récit indirect qu’en a fait Donat (quatre siècles plus tard), bien que bref, nous apporte de précieuses informations et matière à tenter d’imaginer ce qu’elles furent pour ceux qui l’écoutaient :

« Les Bucoliques connurent un tel succès qu’elles furent aussi déclamées souvent par les chanteurs sur la scène. Comme Auguste était revenu après la victoire d’Actium et s’attardait à Atella pour soigner sa gorge, Virgile lui lut les Georgiques pendant quatre jours de suite, Mécène prenant la relève chaque fois qu’il était lui-même interrompu par la fatigue de sa voix. Or il déclamait avec une suavité et des grâces remarquables et Sénèque a rapporté que le poète Julius Montanus disait souvent que, s’il pouvait voler quelque chose à Virgile, ce serait sa voix, sa façon de parler et son jeu : les mêmes vers, quand c’était lui qui les prononçait, sonnaient bien ; sans lui, ils étaient vides et pour ainsi dire muets ».65

La scène se déroule dans une villa, d’Octave ou de Mécène (donc dans un lieu certainement très agréable et confortable). Étalée sur quatre jours et entrecoupée sans doute de moments de repos et de conversations, et avec l’appui de Mécène, la recitatio des quatre livres des Georgiques n’est peut-être pas quelque chose d’exceptionnel pour des gens entraînés à lire à haute voix, et à écouter, en particulier de la poésie. Le compte-rendu de Donat rapporte des propos transmis par des tiers qui n’ont pas été auditeurs de cette recitatio ; il suggère pourtant assez bien ce que pouvait être la manière de “déclamer” propre à Virgile ; il nous apprend aussi que ses lectures (faites auprès d’amis appartenant au cercle formé autour de Mécène) sont tout autant célébrées que reprises et imitées. Les Bucoliques par exemple ont très vite été connues

64 Ibid., p. 113 et 122

65 « Vie de Virgile par Donat », in Virgile, Œuvres complètes, p. 1053 (le récit de Donat, effectué au IVè siècle est

et admirées d’un large public qui a contribué à sa gloire en chantant ses vers. Sa renommée est déjà faite quand il déclame les Georgiques.

Que d’éloges dans ces quelques lignes de Donat ! Le poète, apprend-on, “déclamait avec une suavité et des grâces remarquables” : qu’est-ce que ça évoque pour nous ? Tout de suite, en raison de l’accent mis sur la déclamation, on pense à l’art de l’orateur, d’autant que Virgile, contemporain de Cicéron, a eu une formation de rhéteur, il a donc appris très tôt l’art de la prononciation, “le débit d’acteur, d’orateur” et l’art de séduire.66 On comprend aussi que le

timbre de sa voix (douce) est délicieux à entendre et que sa lecture, très expressive, charme son auditoire (suavis fait partie de la qualité de l’orateur). Le style de lecture de Virgile est donc façonné par la rhétorique, autrement dit « sa lecture est modulée par des changements de ton et de cadences selon le genre du texte et les effets de style » comme l’explique Guglielmo Cavallo ; c’est pourquoi il ne faut pas s’étonner que « le verbe utilisé pour désigner la lecture d’une poésie soit souvent cantare, et canora le terme désignant la voix de l’interprète. »67 On en

déduira que s’agissant de “chants” ceux des Georgiques ont été probablement très modulés, « chantés », par le poète. Donat dit en substance que la manière de Virgile est inimitable, « sa voix, sa façon de parler, son jeu » : “jeu” (hypocrisin dans le texte original) est intéressant, ce mot nous fait penser à une représentation d’acteur : non seulement le poète fait remarquablement “sonner” ses vers, mais sa recitatio a quelque chose du spectacle (avec des mimiques, des gestes probablement). Donc pour l’apprécier pleinement il ne faut pas seulement l’entendre, il faut aussi le voir lire : être un auditeur - spectateur.68 On ajoutera que la dernière

phrase de Donat nous replace bien dans un contexte plus général de la suprématie de la voix haute : la lettre ne se suffit pas, elle a toujours besoin du secours de la voix : si les vers de Virgile sont “vides” et “muets” lorsque c’est quelqu’un d’autre qui les lit, leur lecture silencieuse, ou même murmurée, est d’autant plus inenvisageable : dans cette société, l’écrit - et d’autant plus la poésie - est totalement dépendant de la voix.

C’est donc un exemple des premières lectures d’écrivains disant à voix haute leurs propres écrits en public (un public choisi) et qui effectue, le temps de la lecture, la fusion scripteur-Lecteur. Les lectures données entre amis et pas seulement par des écrivains, par des

66 La traduction du latin, pronuntiabat autem cum suauitate, cum lenociniis miris, renvoie bien à une technique

parfaitement maîtrisée qui donne un résultat admirable, étonnant, parce que Virgile y mêle des « grâces », des façons plaisantes et douces, du charme, c’est-à-dire un art de séduire. (cf. dictionnaire Gaffiot).

67 Ibid., Guglielmo Cavallo, p.96

68 Ibid., Virgile, Œuvres complètes, Jeanne Dion écrit dans sa préface que cette « lecture publique (recitatio) est

acteurs également, vont devenir une pratique culturelle très prisée des Romains. D’ailleurs ils y sont préparés très jeunes, dès l’école où ils sont formés aux techniques de diction, par exemple en s’exerçant sur des lectures d’Homère ou de Virgile ; quant à ceux qui entrent ensuite dans les écoles de rhétorique, on apprend qu’ils lisent ensemble les mêmes textes : « soit en silence, en suivant sur le livre la lecture du maître, soit à voix haute, chacun son tour, ce qui avait pour but de repérer d’éventuelles erreurs dans le texte».69 Lire en silence en suivant la lecture sonore

d’un Lecteur va devenir une pratique qui s’est transmise jusqu’à nous (dans les institutions éducatives et les lieux cultuels).

À Rome, de tels apprentissages, soumis aux règles de la rhétorique, forment véritablement le socle de l’éducation des jeunes gens des sphères cultivées : « art de la parole et art de l’écriture sont rarement dissociables à Rome » résume Catherine Salles.70 Ces pratiques

sont d’ailleurs repérables chez des écrivains, non seulement au cours de leurs recitationes mais aussi dans leur façon même de composer. Virgile par exemple unit étroitement l’écriture et le son : Donat signale en effet, à propos des Georgiques, qu’il avait pris l’habitude chaque jour « de dicter beaucoup de vers qu’il avait médités le matin », puis de les reprendre dans la journée et de « les ramener à un très petit nombre » ; et aussi de tester certains passages en faisant des lectures devant plusieurs personnes.71 En dictant, puis en lisant à voix haute, Virgile éprouve le

besoin de faire sonner les mots et de soumettre ses vers à l’épreuve de l’oreille (la sienne et celle des autres), comme le font sans doute la plupart des écrivains de son temps. Ils écrivent en effet pour une lecture sonore : la voix haute est déjà prévue, contenue dans le texte.

Mais si la poésie de Virgile a marqué son siècle d’une façon si extraordinaire c’est aussi parce qu’elle parlait d’eux-mêmes à ses contemporains et tout particulièrement ceux des campagnes. Les Bucoliques et les Georgiques non seulement nous informent sur le contexte géographique, agricole, politique et social de l’époque mais donnent à voir et à sentir les effets dramatiques qu’ont eu les luttes politiques internes et les guerres successives sur la vie des gens de la campagne. La première églogue des Bucoliques nous plonge dans les drames qui ont touché les habitants de sa région, liés aux spoliations dont il a été témoin (le dialogue entre Mélibée et Tityre). À ce sujet Paul Veyne conteste la facture autobiographique attribuée à Virgile et interroge la persistance de cette tradition : l’idée que l’œuvre représente la vie de son

69 Ibid., Guglielmo Cavallo, p. 96

70 Catherine Salles, Lire à Rome, p. 95,

auteur. Le poète montre, tout au contraire, que la première bucolique « ne parle que du malheur de tous et de son rôle de patron impuissant […] elle ne nous apprend rien sur le sort des biens- fonds de Virgile, mais elle illustre les rapports du poète et de son terroir ».72 Il parle ici des

décisions qui affectent la vie de gens modestes, affranchis ou esclaves métayers, les condamnant à l’exil par des décisions injustes : l’attribution de terres comme butin offert aux vétérans de la guerre. Et dans la dernière bucolique, ajoute Veyne, le poète est encore plus précis puisqu’il désigne les lieux et les responsables de ce malheur, il cite « des noms propres, des noms géographiques qui sont les noms de vraies cités d’Italie […] Virgile pense à un malheur déterminé et il le désigne en toutes lettres ».73

Les poètes déclamateurs du Satiricon

Un siècle après la pastorale Virgilienne, le Satiricon nous fait entrer dans un autre monde, celui d’une ville bigarrée et grouillante du sud de l’Italie, où se côtoient affranchis, très riches et moins riches ; ingénus divers, artisans, commerçants, professeurs, étudiants, comédiens appartenant à la plèbe moyenne ; esclaves etc. Beaucoup se trouvent réunis au festin offert par Trimalcion, l’homme le plus riche de sa ville, pour y jouir des plaisirs sensuels qui leurs sont offerts : s’abandonner à l’ivresse, rire, boire et manger, goûter les plaisanteries et les histoires grivoises ou érotiques qui excitent et déclenchent l’hilarité, s’émerveiller des richesses et des surprises que leur réserve leur hôte. Parmi les convives il y a des bouffons et des profiteurs qui se saisissent de l’aubaine, des courtisans et des courtisanes, mais aussi des gens qui parlent de leurs affaires, de leurs difficultés : ce sont des affranchis, comme Trimalcion. Derrière la satire et à côté du rire, Pétrone soulève le voile qui masque les réalités de la vie quotidienne de gens plus ou moins frustes, plus ou moins éduqués, aux prises directes avec un monde en transformation. Et il nous les présente à la manière d’un « réaliste moderne », en nous donnant un aperçu de leur vie quotidienne, en les plaçant au premier plan ; et en les faisant parler dans leur propre jargon, « sans aucune stylisation littéraire ».74 Mais au milieu de ces

affranchis sérieux qui ont du respect pour la richesse, se sont glissés d’autres convives dont le comportement et les échanges intéressent tout particulièrement notre propos.

72 Ibid., Paul Veyne « L’histoire agraire et la biographie de Virgile dans les Bucoliques I et IX », p. 225 73 Ibid., p. 246

74 Je fais référence à Erich Auerbach, Mimesis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale,

Avant, pendant, et après la cena, Pétrone nous montre des « poètes » dont les déclamations, tout au contraire de celles de Virgile, ne recueillent que moqueries et gestes de