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Les premiers récits parvenus jusqu’à nous gardent la trace d’une tradition orale imprégnée de musicalité : l’Iliade et l’Odyssée sont des chants dont les accents, les rythmes, les scansions de la langue grecque nous parviennent, très atténués dans les traductions, mais dont nous percevons parfois la présence. En introduisant sa traduction de l’Odyssée - dans laquelle il rétablit la versification - Philippe Jaccottet nous rappelle que l’œuvre d’Homère n’est pas seulement le réceptacle de sources très anciennes - en particulier des « éléments d’une poésie religieuse formulaire, savante, très stricte dans sa prosodie, et qui, d’origine non grecque, contenait évidemment nombre de termes préhelléniques, et nombre de légendes obscures » -, mais qu’elle est le départ d’un voyage pour la mise en récit :

« Ce qui s’opère ainsi dans l’Odyssée, tandis que de très vieilles paroles bourdonnent encore à nos oreilles comme des ruminations de prêtres prosternés, ce n’est donc pas seulement un commencement de métamorphose de l’homme, cet Ulysse qui se méfie si bien des dieux tout en les respectant, mais la transformation d’un langage qui va de l’incantation au récit, et trouve peut-être sa grandeur dans ce mouvement même ».241

Au chant VIII de l’Odyssée l’aède Démodocos chante quelques épisodes de l’Iliade (la

querelle d’Ulysse et d’Achille, l’épisode du cheval de Troie) avant qu’Ulysse lui-même, après s’être fait reconnaître au début du chant IX - « je suis Ulysse, fils de Laërte » -, fasse son propre récit. Mais plus tard les poèmes d’Homère seront déclamés, et non plus chantés, au cours de fêtes publiques, « par des rhapsodes, avec toutes les ressources de la diction ». Aujourd’hui, à défaut d’être chantée ou même seulement déclamée, cette poésie appelle la lecture à voix haute, pour soi (conseil que nous donne Jaccottet). C’est un autre aède qui illustre pour nous la figure du poète : Orphée, dont la légende raconte les fabuleux pouvoirs (les accents de sa lyre ont captivé les dieux, cerbères de l’enfer, charmé les animaux et les arbres des forêts, apaisé la tempête etc.), mais condamné à la solitude et à chanter indéfiniment la perte d’Eurydice, à chanter le désir. Donc condamné à être poète. Il fut le premier poète du monde occidental et la figure originaire du lyrisme. Et si la poésie s’est séparée de la musique dès la fin du Moyen Âge, le chant d’Orphée n’a cessé d’inspirer les poètes et pas seulement les romantiques : Apollinaire, lui aussi, sait « des chansons pour les sirènes ». Avec lui entre autres, « l’extraordinaire efflorescence poétique qui caractérise la modernité » est cependant révélatrice d’un « soupçon » : la poésie moderne douterait de sa « capacité à chanter le sujet et

241 Homère, Odyssée, préface et traduction de Philippe Jaccottet, Paris, Le club français du livre, 1955 (citation in

le monde, à enchanter la langue […], le soupçon que le chant puisse venir à manquer, puisse défaillir ».242

La poésie, la musique et le chant se trouvent à nouveau réunis quand des auteurs- compositeurs-interprètes mettent en musique et chantent leurs poèmes en s’accompagnant d’une guitare (Georges Brassens, héritier des troubadours) ; ou encore quand poètes, chanteurs et compositeurs s’associent (Olivier Cadiot et Rodolphe Burger, Olivier Cadiot et Pascal Dusapin. La poésie est peut-être le genre littéraire qui a fait le plus l’objet d’expérimentations et de transmutations en s’alliant à la musique et au chant en particulier. Nous y avons été habitués avec le chant lyrique : par exemple les lieder de Schubert et de Schumann sur des poèmes de Muller, Heine, Goethe, chantés par de grands interprètes. Ces poèmes nous sont le plus souvent parvenus, pour la première fois, comme chants.

Nous possédons aussi un répertoire de la chanson poétique française, par des auteurs- compositeurs-interprètes (tel Charles Trénet « le fou chantant » célébré par les surréalistes) ; et un répertoire de poèmes adaptés en chanson, ou poésie française chantée. S’il nous est difficile de chantonner les « Nuits d’été » de Théophile Gautier sur la musique de Berlioz (à moins d’avoir fait du chant classique), en revanche nous pouvons chanter Paul Fort presque comme Brassens dans « La mort du petit cheval ». Ces autres modes d’existence des poèmes, pas nécessairement voulus par leurs auteurs, attestent la présence, la mobilité et la dissémination de la poésie française dans le monde. Comme le lied schubertien (peut-être) elle est un bien commun, familier de tous ceux qui en fredonnant quelques bribes d’une chanson, apprivoisent et s’approprient des fragments de poèmes tout en ignorant le nom de l’auteur, rejoignant et prolongeant ainsi, par le mode d’appropriation qui en est fait, la poésie orale (les chants des troubadours, les chansons populaires, chansons des rues). Ceux-là même qui chantent avec Trénet « longtemps, longtemps, longtemps / après que les poètes ont disparu / leurs chansons courent encore dans les rues …» et puis font « la la la la la la ».

Malgré tout l’intérêt de ces variations formelles, nous nous attacherons principalement à la poésie dite par le poète lui-même, en public et dans notre présent.

II - 1 - 1 - Dire ses poèmes devant un public : une « moderne célébration ».

242 Dominique Rabaté, article « Lyrisme », in Dictionnaire de poésie de Baudelaire à nos jours, direction Michel

Le poète contemporain ne s’accompagne pas souvent d’une lyre. Il a une autre manière de faire entendre son chant : il le dit. Ce fut le cas en France, au cours de lectures privées, ou semi-privées, dans les cercles d’écrivains et poètes, à « La maison des amis des livres » d’Adrienne Monnier par exemple. Puis il y eut toute une période d’essais radiophoniques, de lectures enregistrées à la radio que nous pouvons désormais réentendre, grâce aux archives de l’INA et grâce à Internet.243 À un siècle de distance il nous est donné d’entendre la diction

d’Apollinaire dans Le pont Mirabeau, Marie et Le Voyageur. Les lectures publiques données par des poètes se sont développées en France dans la deuxième moitié du XXè siècle, d’abord

sous l’influence américaine de la « Beat Génération ». En 1963, à l’instar des lectures géantes de Ginsberg, Bernard Heidsieck - créateur de la poésie sonore avec Henri Chopin et François Dufrêne - organise trois manifestations à l’Américan Center pour donner à entendre, et à voir, une poésie « debout », une poésie qui renoue avec l’action. Plus tard, en 1976, il lance le premier « Festival international de poésie sonore » ; et des rencontres au Centre Pompidou, dans les années 1980, sur le thème « Transformer le poème, le rendre actif, le lire à voix haute ».244 Arrêtons-nous quelques instants sur l’œuvre et les pratiques lectrices de Heidsieck,

sur son combat pour faire connaître la poésie sonore et exister la poésie-action, selon son propre

credo, sans cesse rappelé : sortir le poème de la page.

« L’ARRACHER À LA PAGE… voilà …délibérément - sinon définitivement […] LE dévisser, LE déraciner, LE déboulonner, il n’est que temps, grand temps […] La poésie écrite est faite pour rester couchée. C’est son destin. Qu’elle s’y tienne. Passive. Patiente aussi. Dans l’attente du client […] Or donc la poésie-action, elle, en tout état de cause, est une poésie verticale ».245

La poésie « verticale » se manifeste physiquement, dans le corps « debout » du poète faisant une « lecture-performance », lui redonnant « une oralité perdue » qui l’installe dans le monde, dans la vie quotidienne. Mais Heidsieck ne lit pas à voix nue, ou a capella ; ses poèmes sont des partitions dans lesquelles entrent des objets non verbaux construits à partir des

243 Cf. Céline Pardo, thèse de doctorat « La poésie hors du livre : étude sur les médiations orales de la poésie en

France de 1945 aux années 60 », sous la direction de Michel Murat, 2012 (en particulier le rôle de la radio dans la formation d’une diction poétique : essais, enregistrements de poètes, de comédiens ; sous la houlette de Jean Tardieu (alors directeur du Centre d’études radiophoniques).

244 Cf. médiation.centrepompidou.fr/éducation/…/ENS-oeuvres-sonores.html ; ces rencontres ont fait l’objet du

film de Brigitte Cornand Est-ce que le son est bon ? 1998.

245 Marion Naccache, auteur d’une thèse de doctorat, « Bernard Heidsieck & cie : une fabrique du poétique ? »,

sous la direction de Jean Marie Gleize, 2011. Propos cités recueillis dans le n° 8 du 34 rue de Seine, journal de la galerie Natalie Seroussi , « édition spéciale Bernard Heidsieck », pour l’exposition qui lui a été consacrée à la galerie, du 12 octobre au 14 décembre 2013. Les citations proviennent de « Notes convergentes (poésie-action et magnétophone) », mars 1967/ mars 1968, paru dans les revues AXE1 et AXE2, Belgique, 1975 ; et Sacriphage n°

techniques électro-acoustiques. Non seulement il utilise le magnétophone comme outil de création, enregistrant des sons, des bruits de toute sorte (circulation automobile, marteau- piqueur etc.), mais il a aussi recours aux techniques de mixage, de montage, et aux amplificateurs. Ces expérimentations donnent naissance à des « poèmes-partitions » et à des séries, ayant tous fait l’objet de lectures publiques par l’auteur lui-même (les enregistrements de ces poèmes-partitions, d’abord effectués sur bandes magnétiques puis sur cassettes, sont maintenant gravés sur CD).246

Récemment, la galerie Natalie Seroussi à Paris donnait à voir et entendre des extraits du film Bernard Heidsieck. La Poésie en Action (qui présente, outre un portrait du poète, des témoignages, « des archives filmées, sonores et photographiques pour la plupart inédites »), dans lequel on le voit déambuler en costume trois-pièces de banquier, mains dans les poches, disant son poème comme s’il faisait une conférence devant des clients. On le voit aussi réciter à un carrefour en pleine circulation (celui de la Chaussée d’Antin peut-être).247 Heidsieck est

très attentif en effet à la dimension corporelle, à ses attitudes, à sa gestuelle de Lecteur, soulignant ainsi toute l’importance de « l’image » que fournit le poète en train de lire : car la mémoire de l’auditeur, dit-il, retient cette image qui reste indissociablement liée au texte entendu. Précisons que ce poète sonore, n’a cessé de dénoncer le poème figé sur la page tout en publiant ses écrits au format livre. Pas seulement ses poèmes-partitions mais aussi des textes intercalaires sur leur genèse, sur la façon dont il les a conçus et fabriqués en version sonore. Il décrit ainsi ses recherches formelles, les étapes, les techniques utilisées, les essais, les bévues … et nous fait pénétrer dans son atelier de création. Parfois avec humour (sa façon de nouer, dans ses partitions, ses deux activités, diurne et nocturne, son métier de banquier et sa poésie) ; parfois sur un ton didactique (une rhétorique bien rodée).

C’est toute une aventure personnelle qui se découvre en le lisant, par exemple dans le texte « Notes a posteriori » qui introduit Derviche / Le Robert : un texte d’une cinquantaine de pages où Heidsieck se raconte (fragments d’analyse d’une pratique, descriptions des lectures de chaque partition, commentaires). Contrairement aux poèmes ce texte n’est pas une partition pour la voix, il n’est pas destiné à des auditeurs-spectateurs : il repose définitivement sur la

246 On trouve la liste complète de ses lectures publiques, pour chaque partition, à la fin de ses livres, par exemple

Canal Street, Derviche/Le Robert et Partition V ;Romainville, éditions Al Dante /Niok, respectivement 2001 et 2004 pour les deux premiers ; Bordeaux, Le bleu du ciel, 2001, pour Partition V.

247 Film réalisé par Anne-Laure Chamboissier, Philippe Franck et Gilles Coudert, sortie prévue en 2014 ; ainsi

page, pour être lu en silence par des lecteurs anonymes. Tout à la fin Heidsieck constate d’ailleurs que les « 26 Lettres », objets des 26 partitions, ont regagné la page :

« Ces Notes se sont voulues, à chaud, concomitantes de la projection progressive dans l’espace des 26 Lettres. Elles ne m’en apparaissent pas moins, pour conclure, avoir concouru, ultime paradoxe, à leur réinsertion dans leur terrain d’origine : la page.

Les poèmes ont été conçus pour lui échapper. Ces « Notes a posteriori », d’évidence, n’ont eu de cesse de leur enjoindre de rentrer à la niche, de s’y réintégrer, de s’y récupérer.

La vie de ces poèmes est faite de ce va-et-vient. De ces sorties et de ces rentrées. De cette respiration. De cette complémentarité. De cette succession de tours de piste et de retours au foyer ».248

La question qui se pose alors est celle de la lecture de ces poèmes dans leur « foyer » : la simple lecture de la page d’une partition, silencieuse ou à voix basse pour soi, est-elle possible ? Peut-elle lui donner vie ? Le tenter serait une gageure, un exercice non seulement ardu mais sans doute stérile (comme si quelqu’un voulait exécuter une partition de musique sans en connaître les signes). Car ces poèmes (par exemple Derviche / Le Robert) n’ont pas été conçus seulement pour être lus de vive voix, mais pour être dits alors que défile simultanément un texte préenregistré contenant des bruitages (bruit de métro, de machine à écrire, de marteaux- piqueurs, « frappement lent de caisses de résonances » etc.). Heidsieck dit lui-même que sa principale difficulté lors de ses lectures publiques est de réussir à se « fourrer comme dans un gant » dans les textes préenregistrés qui passent « au même instant, par les enceintes ». « C’est, les dédoublant, m’y superposant, réussir à me couler, glisser dedans [… ] Deux lectures, simultanées, s’accrochent ainsi l’une à l’autre. Elles se cherchent, dialoguent, éventuellement fusionnent ».249

Mais il n’y a pas de place pour le lecteur, ou un autre Lecteur sonore, dans cette œuvre : elle s’adresse à des auditeurs et plus encore à des auditeurs-spectateurs. Heidsieck publie ses livres-partitions accompagnés des CD de ses propres enregistrements et il en donne également des lectures performances en public. Il est toujours le Lecteur de son œuvre, il en a la maîtrise exclusive. Le souci de cette maîtrise est évidente, ses créations sonores sont conçues et expérimentées en vue d’un seul interprète : lui-même. Le format de diffusion de ses créations - aujourd’hui le CD - même accompagné du texte imprimé, verrouille en fait l’accès au texte ou partition nu(e). C’est sans doute le propre de « la performance ». Nous avons là - et cela est lié intrinsèquement à sa curiosité et à sa passion pour les nouveaux outils et technologies acoustiques qu’il emploie systématiquement - une œuvre passablement totalisante, repliée sur

248 Ibid, Derviche/Le Robert, page 54. 249 Ibid, pages 20-21

elle-même, et, dans le même temps, sur l’auteur lui-même. Une œuvre narcissique. Nous y voyons une rupture du rapport originaire entre le scripteur et le lecteur. La lecture suppose la séparation des deux parties.250

Après les premiers mouvements de curiosité, après avoir écouté quelques CD, il nous semble que les lecteurs qui aiment à découvrir la poésie dans le silence de la page, et attachés à leur liberté, auront quelque réticence à adopter le mode de « participation requise de l’assistant » par la poésie-action de Heidsieck. Cette participation résulterait « du climat quasi- physique et concret dans lequel, de gré ou de force, [l’assistant] se trouve plongé, ses zones de sensibilité ou de réceptivité purement sensorielles ou émotionnelles devant être immédiatement touchées, concernées ».251 Sans doute le son ne suffit-il pas et faut-il avoir été soi-même un

« assistant » pour vivre une telle immédiateté de participation. Laquelle suppose la disparition des différentes diachronies qui jalonnent habituellement nos réceptions, de lectures solitaires et de lectures publiques, donc la disparition du contrat implicite scripteur - lecteur : la disparition du suspens, de la distance, et donc, peut-être aussi, de l’humour. Il se manifeste là, et très clairement, une volonté d’emprise sur les assistants, une volonté de pouvoir.

Marion Naccache précise d’ailleurs que l’expression « auditeur-spectateur » fait partie du lexique du poète alors que « "lecteur-auditeur" indique une dimension de la réception que Heidsieck passe sous silence » : « faire entendre visuellement » requiert la présence du poète, corps en action, « debout » ; pour Vaduz, la partition est « un long papyrus qu’il déroule quand il se place en play-back par rapport au déroulement de la bande magnétique ».252 Performance

à l’imitation de la lecture aux temps du volumen mais dont le déroulement est ici vertical (à l’instar du tapuscrit de Jacques Kérouac, Sur la Route), et non pas latéral comme chez les Grecs et les Romains. En écoutant les enregistrements de Canal Street ou Derviche / Le Robert avec le livre sous les yeux - en simple lecteur-auditeur donc - on peut se former quelque idée du travail de Heidsieck et de ses effets, ses montages acoustiques, ses exercices de diction, ses

250 cf. Dans la Grèce antique, le scripteur d’« objets inscrits » suppose, espère qu’un lecteur viendra, un jour, se

mettre au service de son écrit (comme aujourd’hui l’objet livre déposé sur un rayon de bibliothèque) en le déchiffrant à voix haute, en lui cédant son corps et sa voix. Aux temps de la lecture silencieuse l’écrivain espère toujours être lu, par d’autres que lui : écrire suppose une adresse à des lecteurs anonymes à venir (cf. dans le prologue, les références à Jesper Svenbro) ; cf. l’« Hypocrite lecteur » de Baudelaire).

251 Ibid., Partition V, page 74

252 Marion Naccache, Bernard Hiedsieck &cie : une fabrique du poétique, in WWW.thèses.fr/2011ENSL0666

performances ; mais il nous faut bien l’avouer, il nous est absolument impossible de « participer », même et surtout, « de gré ou de force ».

Ces performances sonores doivent être replacées dans leur contexte historique. Les années 1960-1980 ont vu se développer la poésie sonore et la poésie action. Une autre génération a pris la relève et les recherches formelles autour de la poésie et de sa diction se poursuivent ; des poètes performeurs explorent les possibilités offertes en particulier par les moyens multimédias les plus récents, tandis que d’autres se contentent de lire leurs poèmes à voix haute.

Les « célébrations » de poésie vues par les poètes

Il existe en France de multiples manifestations vouées à la poésie. Elles sont plus ou moins officielles, souvent soutenues par les pouvoirs publics, des rendez-vous annuels, tel Le

printemps des poètes au niveau national et en régions ; et bien d’autres rencontres ou festivals

dont les programmes conjuguent généralement entretiens et lectures à haute voix. Sans parler des Maisons de la poésie (au nombre de trente) et des colloques et festivals internationaux où les poètes se retrouvent pour donner à tour de rôle des lectures de leur œuvre. Des « célébrations » ? Le mot est repris entre autres termes par Mallarmé dans son projet, son « rêve », de livre total : il renvoie aux origines cultuelles et culturelles de la poésie. Le poète imagine en effet un rituel public de lectures par un opérator, un art scénique total dont le vocabulaire emprunte à la fois au rituel catholique (« messe », « office », « communion », « Mystère » « « Hymne ») et au théâtre comme « vrai culte moderne » (« représentation », « fête » « drame » avec « Héros » etc.).253 Jean-Pierre Siméon voit plus prosaïquement dans ces

lectures un moyen démocratique de faire connaître la poésie dans notre présent : « la lecture à voix haute est une belle et bonne chose, indispensable » car « elle a l’avantage de court-circuiter les représentations négatives [de la poésie] qui sont nombreuses » et de proposer à beaucoup de gens, en particulier à un public jeune, une façon « de tester la poésie », de l’éprouver dans « une réalisation sonore » faite par un comédien ou un poète.254

Voyons pour commencer, sous l’éclairage cru qu’en donne Jean-Jacques Viton, les lectures qui réunissent des poètes entre eux. Nonobstant les phénomènes inévitables de

253 Stéphane Mallarmé, « Notes en vue du "Livre" », in Œuvres complètes I, Paris, Gallimard « la Pléiade », 1998

(pages 947-1060). Et Divagations (en particulier « Richard Wagner, rêverie d’un poète français », « Quant au livre » et « Offices »), Paris, Fasquelle, « le club français du livre », p.196.