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Nous nous intéressons ici à une décision qui a mise en évidence une pratique de "cost shifting" et pour laquelle le "cost shifting" a généré un revenu sous le coût incrémental sur le marché concurrentiel. En reprenant les notations de la section précédente on se place donc dans le cas suivant :

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C’est à dire qu’il y a du "cost shifting" et que ce "cost shifting" a été su¢ samment important pour que la tari…cation sur le marché concurrentiel soit inférieur au coût incrémental moyen et puisse ainsi faire croire à l’existence d’une stratégie prédatrice. Une telle con…guration a été par exemple observée par le Conseil de la Concurrence

français dans une a¤aire concernant La Française des Jeux. Nous présentons dans le détail cette décision qui est intéressante sur plusieurs points.

A¤aire Française des Jeux34

Nous rappelons que les modélisations présentés dans ce chapitre ne s’appliquent pas qu’aux …rmes possédant des SIEG compensés par l’Etat mais à l’ensemble des …rmes dont les revenus sur l’un de leurs marchés sont controlés par une entité externe de façon à couvrir une certaine mesure du coût. Dans le cas de La Française des Jeux le Conseil de la Concurrence a noté que les charges de La Française des Jeux sont couvertes par « la part des mises allouées à l’organisation des jeux, …xée par l’Etat » , ce qui équivaut à un mécanisme de régulation basée sur les coûts. Rappelons par ailleurs que La Française des Jeux possède un monopole sur les marché des jeux de hasard (on renvoie à la décision pour plus de détail sur la dé…nition du marché pertinent).

La maintenance, principalement informatique, des points de vente de La Fran- çaise des Jeux est assurée par sa …liale, La Française de Maintenance. Alors que dans l’a¤aire Chronopost (décrite dans le détail dans le chapitre précédent), la ré- munération était versée de la …liale vers la maison mère, dans le cas présent, c’est La Française des Jeux qui rémunère sa …liale pour les services rendus. L’étude des conventions passées entre les deux entités a révélé que La Française des Jeux pre- nait en charge une partie des coûts variables subis par sa …liale dans des activités autres que les seuls services rendus à la maison mère. En e¤et les salariés de la fran- çaise de maintenance disposent de conditions salariales avantageuses par rapport à la moyenne du secteur privé. La maison mère prend à sa charge ce surcoût pour la …liale à travers une sur-rémunération des contrats qui la lie à cette dernière. Le problème vient du fait que la française de maintenance exerce également des ac- tivités en relation avec d’autres entreprises que sa maison mère et se retrouve sur ces marchés en concurrence avec les autres sociétés de maintenance informatique. Sur ces marchés concurrentiels, une partie du coût variable lié aux salaires est donc a¤ecté à La Française des Jeux. Par ailleurs, le Conseil de la Concurrence a observé que 17 de ces contrats concurrentiels ont été conclus dans des conditions telles que

les revenus générés ne permettaient pas de couvrir la totalité des coûts variables. L’examen par le conseil des paramètres du marché pertinent a amené le conseil à considérer qu’une politique prédatrice sur le marché de la maintenance informatique aurait très peu de chance d’aboutir. Ainsi, la française de maintenance ne possède que le 165ème chi¤re d’a¤aire parmi les entreprises de ce marché et possède une part de marché de 0.5%. Elle est donc loin de posséder une position dominante et la prédation est donc peu crédible. Par ailleurs les barrières à l’entrée sur ce marché sont très faibles.

Cette a¤aire est intéressante dans le sens où la totalité des éléments de notre modèle sont réunis. En e¤et le coût des salaires passés à la maison mère constitue le "cost shifting". On note que le "cost shifting" porte ici sur le coût variable, les résultats de notre modèle n’auraient pas pu être reproduits avec un "cost shifting" portant sur les coûts …xes. Par ailleurs on observe un revenu inférieur au coût variable sur le marché concurrentiel (dans notre modèle coût incrémental et coûts variables se confondent). En…n la pratique d’un prix inférieur aux coûts variables pourrait être interprétée comme le résultat d’une stratégie prédatrice mais la nature du marché est telle que la prédation est impossible. La tari…cation en dessous du coût incrémental peut par contre s’expliquer en suivant les résultats de notre modélisation, comme étant une conséquence directe du "cost shifting". En se faisant rembourser les coûts passés à la maison mère par une hausse de la part des mises qui lui sont allouées, La Française des Jeux peut se comporter comme si ses coûts étaient plus faibles qu’ils ne le sont en réalité, ce qui implique automatiquement une baisse du prix. Le "cost shifting" ne conduit pas toujours à une tari…cation inférieur au coût, il faut pour cela que le "cost shifting" soit important, et par ailleurs que la marge entre le coût variable et le prix concurrentiel en l’absence de "cost shifting" soit faible. Or ces deux conditions sont réunies dans l’a¤aire présente. Tout d’abord l’importance du "cost shifting" dans cette a¤aire s’observe par le fait que les coûts variables sont très importants dans l’activité de la française de maintenance (comme le note

le conseil35), et nous avons vu que le montant de "cost shifting" dépendra de la

taille des coûts variables. Par ailleurs, le marché de la maintenance informatique est

35On ne connait pas la répartition des coûts pour les activités extérieures, mais pour les contrats

passés avec la maison mère en se basant sur un exemple donné par le conseil on peut estimer que le coût variable représente 85% du coût total

fortement concurrentiel et les marges y sont donc réduites. Même si le Conseil de la Concurrence n’a pu conclure à l’existence d’une stratégie prédatrice, il a choisi de punir La Française des Jeux en notant que :

"une pratique de prix bas non prédatrice, de la part d’une …liale d’une entreprise disposant d’un monopole public, peut être anticoncurrentielle à la double condition qu’elle n’ait été rendue possible que par des subventions tirées de la rente dégagée dans l’activité monopolistique et qu’elle ait entraîné une perturbation durable du marché qui n’aurait pas eu lieu sans elle".

Le conseil a ainsi considéré que le prix bas n’était permis que par la subvention croisée (avec la, maintenant traditionnelle, di¢ culté concernant la dé…nition de la subvention croisée, il semblerait qu’ici il faille comprendre le "cost shifting"). Il a également considéré que les prix bas avaient mis en danger la viabilité des concur- rents et avaient permis d’accroître la réputation de la française de maintenance ce qui était susceptible de modi…er l’équilibre du secteur à son avantage. Cette a¤aire nous a donc permis de tirer deux enseignements. D’un point de vu théorique tout d’abord, elle semble conforter la modélisation présentée dans la partie précédente. D’un point de vue pratique ensuite, on a vu que le Conseil de la Concurrence fai- sait la di¤érence entre des prix bas prédateurs et non prédateurs et qu’il pouvait condamner ses derniers en présence de "cost shifting" si la concurrence est perturbée (on avait déja rencontré ce résultat dans le chapitre précédent).

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SIEG et pro…tabilité de la prédation

Nous allons étudier dans cette section si les …rmes assumant des missions de service public …nancées par l’Etat sont plus susceptibles de mener des stratégies prédatrices que des …rmes quelconques. Si cette conjecture est récurrente dans la littérature, elle n’a pas reçu de démonstration jusqu’ici, et nous verrons qu’elle mé- rite d’être nuancée. Dans une première partie nous examinerons les arguments qui ont été traditionnellement avancés dans la littérature pour expliquer le lien entre régulation et prédation (qui est formellement identique au lien entre …nancement du SIEG et prédation). Nous allons voir que les liens avancés sont pour la plupart peu convaincants, reposant sur des hypothèses restrictives souvent peu rappelées dans la littérature, et que par ailleurs les arguments avancés ne sont pas spéci…ques aux …rmes régulées mais peuvent plus généralement s’appliquer à l’ensemble des …rmes diversi…ées. Nous montrerons alors comment l’étude de la prédation des …rmes régu- lées doit être basée sur une comparaison du coût de la prédation et de la pro…tabilité de la prédation entre une …rme diversi…ée régulée et une …rme diversi…ée non régulée.