• Aucun résultat trouvé

A l’image de la diversité des témoignages recueillis, on se rend compte qu’on ne peut obéir à un schéma prédéfini. D’une part, parce que la relation qu’a chaque individu avec l’alcool est très personnelle. D’autre part, parce que la décision de l’objectif de soin et son maintien sont influencés par de multiples facteurs extrinsèques et intrinsèques.

Quoi qu’il en soit, il faut respecter la préférence des patients pour l’objectif de soin. La détermination de l’objectif par le patient lui-même serait le meilleur marqueur de succès et évolue souvent au cours du parcours de soins (16) (17). Certaines études indiquent que les patients restent intéressés par leur traitement quand il leur est donné un degré de responsabilité et de contrôle sur les décisions de traitement (3).

D’autres études montrent que la décision partagée donnerait de meilleurs résultats comparé au modèle paternaliste où le « thérapeute sait » : patient et thérapeute décident ensemble de l'objectif de traitement le plus prometteur et le plus approprié et de la modalité de traitement (33).

La mise en place d’un programme individualisé de soins addictologiques implique toujours l’élaboration d’un objectif idéal à atteindre, et éventuellement d’objectifs intermédiaires, selon le planning défini initialement. Sauf cas exceptionnel, le patient doit rester l’élaborateur central et le décideur ultime du plan de soins, le thérapeute dispose de pistes pour motiver et orienter. Lorsque le projet thérapeutique est élaboré avec le patient et choisi par lui dès le départ, le pronostic est considérablement meilleur (17).

81

CONCLUSION

Le parcours que chaque patient a avec l’alcool est très personnel. Le changement du comportement de consommation chez les personnes présentant une addiction à l’alcool est un processus long et complexe qui passe par différents stades.

Le repérage des troubles de l’usage d’alcool est à faire de façon systématique en soins premiers, dans le but d’identifier les patients et de réduire les dommages liés à l’alcool.

Le diagnostic d’un trouble de l’usage d’alcool doit s’accompagner d’une intervention brève, dont le contenu simple et court doit pouvoir s’intégrer dans une consultation de médecine générale, quitte à revoir le patient spécifiquement pour cela.

Selon les dires des patients rencontrés, le rôle du soignant est d’apporter une écoute non jugeante, empathique, laissant l’espace au patient pour se raconter dans ses valeurs, ses difficultés et ses perspectives. Il s’agit de comprendre la relation qu’entretient le patient avec l’alcool. Cette écoute témoigne de l’intérêt qu’on lui porte et qu’il mérite l’estime qu’il a du mal à s’accorder. Il s’agit du socle à partir duquel le soignant pourra essayer d’utiliser des outils et postures favorisant le changement : balance décisionnelle, entretien motivationnel, thérapies cognitivo- comportementales.

La détermination d’un objectif de soin de l’addiction à l’alcool doit se faire de façon partagée avec le patient. Le thérapeute expose à son patient les différentes possibilités de soin, mais c’est ensuite à l’intéressé de choisir vers quel objectif il s’oriente : l’abstinence ou la réduction contrôlée de sa consommation d’alcool. Ensemble, ils déterminent les modalités de traitement et de suivi.

L’abstinence est globalement envisagée par les patients comme un objectif idéalisé pour l’arrêt définitif et sécure de l’alcool. Il permet de tourner la page et d’obtenir un sentiment de liberté. Sa mise en place nécessite une détermination et une motivation sans faille, ainsi qu’une organisation d’un parcours personnalisé de soins. Cet idéal espéré n’est pas toujours l’idéal rencontré : l’abstinence entraîne une rupture avec les anciens amis buveurs, des difficultés à renouer des liens quand l’alcool permettait la désinhibition, un renoncement à la fête. Ceci amène certains à envisager une consommation contrôlée dans un deuxième temps.

82

La réduction contrôlée de la consommation d’alcool apparait comme un objectif plus pragmatique, plus facile à mettre en place. Cependant, l’auto limite de consommation, et le maintien du craving sont des difficultés qui exposent le patient aux rechutes. Certains patients apparaissent améliorés par les traitements de lutte contre le craving : nalmefène et baclofène. Les patients sont plus ambigus sur cet objectif qui est envisagé comme une étape intermédiaire possible ou une étape finale une fois « guéri », voire le plus souvent comme un objectif pragmatique le moins déstabilisant.

L’abstinence et la réduction contrôlée ont tous deux un impact positif dans l’amélioration de la qualité de vie des patients présentant une addiction à l’alcool et dans la réduction des dommages liés à la l’alcool (notamment la morbi mortalité).

Cependant, l’addiction à l’alcool est une maladie chronique, où le traitement est palliatif. Les choses sont mouvantes, un individu pouvant alterner entre différents objectifs de soin. Le but du suivi psychosocial et des traitements est de permettre le maintien d’une consommation en dessous des seuils à risques.

Si les nouveaux paradigmes de traitements ont apporté de nouvelles perspectives de soins aux patients addictes à l’alcool, la difficulté est de faire en sorte que les pratiques les plus contributives à leur santé et leur qualité de vie soient intégrées dans les soins premiers.

83

BIBLIOGRAPHIE

1. Aubin H, Gillet C, Rigaud A. Mésusage de l’alcool dépistage, diagnostic et traitement. Alcoologie Addictologie, 2015;37(1):5–84.

2. Saint-Maurice F, Moller L. Numéro thématique–L’alcool, toujours un facteur de risque majeur pour la santé en France Special issue–Alcohol remains a major risk factor for health in France.

3. Van Amsterdam J, Van den Brink W. Reduced-risk drinking as a viable treatment goal in problematic alcohol use and alcohol dependence. J Psychopharmacol (Oxf),

2013;27(11):987–997.

4. Société Française d’Alcoologie. Modalité de l’accompagnement du sujet

alcoolodépendant après un sevrage. Conférence de consensus 2001. 2001;23(2):109‑388. 5. Luquiens A, Reynaud M, Aubin HJ. Is controlled drinking an acceptable goal in the treatment of alcohol dependence? A survey of French alcohol specialists. Alcohol and Alcoholism, 2011;46(5):586–591.

6. Sobell M., Sobell L. Controlled drinking after 25 years: how important was the great debate? Addiction, 1995;90:1157–1177.

7. Aubin HJ. L’abstinence à tout prix ? Alcoologie Addictologie, 2000;4:279‑80. 8. Aubin-Auger I, Mercier A, Baumann L, Lehr-Drylewicz A, Imbert P, Letrilliart L, et al. Introduction à la recherche qualitative. Exercer, 2008;84(19):142–5.

9. Paillé P. L’analyse par théorisation ancrée. Cahiers de Recherche Sociologique. 1994;(23):147–181.

10. Goodman A. Addiction : definition and implications. Addiction, 1990;85(11):1403– 1408.

11. Dano C, Le Geay F, Brière M. Diagnostic et prise en charge des troubles de l’usage d’alcool : données récentes. L’Encéphale, 2014;40(3):276–285.

12. Santé publique France, Institut national du cancer. Avis d’experts relatif à l’évolution du discours public en matière de consommation d’alcool en France. Santé Publique Fr. 2017; Saint-Maurice:149.

13. Substance Abuse and Mental Health Services Administration. SAMHSA Results from the 2011 National Survey on Drug Use and Health: Mental Health Findings: US Department of Health and Human Services. Center for Behavioral Health Statistics and Quality; 2012. 14. Luquiens A, Aubin H-J. Patient preferences and perspectives regarding reducing alcohol consumption: role of nalmefene. Patient Preference and Adherence, 2014;8:1347.

84

15. Luquiens A, Whalley D, Crawford SR, Laramée P, Doward L, Price M, et al.

Development of the Alcohol Quality of Life Scale (AQoLS): a new patient-reported outcome measure to assess health-related quality of life in alcohol use disorder. Quality of Life

Research, 2015;24(6):1471–1481.

16. Hodgins DC, Leigh G, Milne R, Gerrish R. Drinking goal selection in behavioral self- management treatment of chronic alcoholics. Addictive Behaviours, 1997;22(2):247–255. 17. Adamson SJ, Heather N, Morton V, Raistrick D. Initial preference for drinking goal in the treatment of alcohol problems: II. Treatment outcomes. Alcohol and Alcoholism,

2010;45(2):136–142.

18. World Health Organization. Global strategy to reduce the harmful use of alcohol. Geneva: WHO; 2010 .

19. Aubin HJ. La réduction des risques et des dommages est-elle efficace et quelles sont ses limites en matière d’alcool? Alcoologie et Addictologie, 2017;39(1):57–67.

20. Shield KD, Rehm J, Rehm MX, Gmel G, Aubin HJ. Alcohol consumption, alcohol dependence and related harms in France: increasing public health by increasing the

availability of treatment for dependence. J Addict Res Ther S, 2013;7:2.

21. Rehm J, Zatonksi W, Taylor B, Anderson P. Epidemiology and alcohol policy in Europe. Addiction, 2011;106(s1):11–19.

22. Rehm J, Roerecke M. Reduction of drinking in problem drinkers and all-cause mortality. Alcohol and Alcoholism, 2013;48(4):509–513.

23. François C, Rahhali N, Chalem Y, Sørensen P, Luquiens A, Aubin H-J. The effects of as-needed nalmefene on patient-reported outcomes and quality of life in relation to a

reduction in alcohol consumption in alcohol-dependent patients. PloS One, 2015;10(6):e0129289.

24. Prochaska J, DiClemente C, Norcross J. In search of how people change: Applications to addictive behaviors. American Psychologist, sept 1992;47(9):1102‑14.

25. De Sousa C, Romo L, Excoffier A, Guichard J-P. Lien entre Motivation et Insight dans la prise en charge des addictions. Psychotropes, 2012;17(3):145–161.

26. Le cercle de Prochaska et Di Clemente [Internet]. intervenir-addictions.fr, le portail des acteurs de santé. [cité 16 janv 2017]. Disponible sur: https://intervenir-

addictions.fr/intervenir/faire-face-usage-problematique-cannabis/

27. Miller WR. Motivational interviewing with problem drinkers. Behavioural Psychotherapy, 1983;11(02):147–172.

28. Miller WR, Rollnick S. L’entretien motivationnel : aider la personne à engager le changement. Paris: InterEditions-Dunod; 2016.

85

29. Castera P, Paille, F. Mésusage de l’alcool: repérer, évaluer, motiver, accompagner. Rev Prat Médecine Générale, 2014;28(931):813–818.

30. Benyamina A, Reynaud M. Stratégie de prise en charge de l’alcoolodépendance en ambulatoire: quel suivi et quelle durée de traitement? L’Encéphale, 2016;42(1):67–73. 31. Nguon M. Le patient alcoolique: entre représentation médicale et prise en charge: enquête auprès des médecins généralistes de Picardie. [Thèse de Doctorat de médecine]. Amiens: Université de Picardie Jules Verne Faculté de Médecine d'Amiens; 2016. 32. Accueil | Addictoclic [Internet]. [cité 9 janv 2018]. Disponible sur:

http://www.addictoclic.com/

33. Perestelo-Perez L, Gonzalez-Lorenzo M, Perez-Ramos J, Rivero-Santana A, Serrano- Aguilar P. Patient involvement and shared decision-making in mental health care. Current clinical pharmacology, 2011;6(2):83–90.

87